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Charles BAUDELAIRE, Petits Poèmes en prose

Publié le 05/06/2011

Extrait du document

baudelaire

Tout n'était que lumière, cris, joie, tumulte; les uns dépensaient, les autres gagnaient, les uns et les autres également joyeux. Les enfants se suspendaient aux jupons de leurs mères pour obtenir quelque bâton de sucre, ou montaient sur les épaules de leurs pères pour mieux voir un escamoteur éblouissant comme un dieu. Et partout circulait, dominant tous les parfums, une odeur de friture qui était comme l'encens de cette fête. Au bout, à l'extrême bout de la rangée de baraques, comme si, honteux, il s'était exilé lui-même de toutes ces splendeurs, je vis un pauvre saltimbanque (1), voûté, caduc, décrépit, une ruine d'homme, adossé contre un des poteaux de sa cahute; une cahute plus misérable que celle du sauvage le plus abruti; et dont deux bouts de chandelles, coulants et fumants, éclairaient trop bien encore la détresse. Partout la joie, la débauche; partout la certitude du pain pour le lendemain; partout l'explosion frénétique de la vitalité. Ici la misère absolue, la misère affublée, pour comble d'horreur, de haillons comiques, où la nécessité, bien plus que l'art, avait introduit le contraste. Il ne riait pas, le misérable! Il ne pleurait pas, il ne dansait pas, il ne gesticulait pas, il ne criait pas; il ne chantait aucune chanson, ni gaie, ni lamentable; il n'implorait pas. Il était muet et immobile. Il avait renoncé, il avait abdiqué. Sa destinée était faite.

Charles BAUDELAIRE, Petits Poèmes en prose

(1) Saltimbanque : personne qui fait des tours d'adresse, des acrobaties sur les places publiques, dans les foires.

baudelaire

« RÉPONDRE1.

a) Im- est un préfixe privatif.

Immobile = qui ne bouge pas.b) Immodéré, immature, immuable, immérité...2.

a) Gagner a ici le sens de percevoir de l'argent.b) Le navire gagne la côte.3.

Des haillons ce sont des vêtements en loques, qui ne sont plus que des chiffons.

Comique signifie qui prête à rire.Il y a une antinomie entre les deux termes.

L'auteur par ce rapprochement souligne la détresse du personnage. C — COMPRÉHENSION1.

Donnez un titre à ce texte.

(1 point)2.

Qu'exprime l'accumulation des tournures négatives dans les phrases : « II ne riait pas...

il n'implorait pas.

» (lignes16 à 18) (2 points)3.

Sur quelle opposition est bâti cet extrait ?Justifiez votre réponse en vous appuyant sur le texte.

(2 points) REAGIR— Un titre ne doit pas comporter de verbe conjugué.

En quelques mots il faut que l'essentiel du texte soit souligné.— Ne relevez pas tous les termes qui appuient votre explication, choisissez les plus significatifs. RÉPONDRE1.

La misère du vieux saltimbanque.2.

L'accumulation des tournures négatives marque la résignation du saltimbanque.3.

D'un côté se trouve la joie de la foule, la gaîté de la fête (« lumière, joie, tumulte, joyeux, éblouissant, encens,splendeurs...

»).

De l'autre la solitude et la misère du vieil homme (« honteux, exilé, caduc, décrépit, ruined'homme...). D — RÉDACTION (15 points)1.

Le vieux saltimbanque raconte à un passant l'histoire de sa vie et ce qui l'a amené là ; imaginez son récit.2.

« Il y a une espèce de honte d'être heureux à la vue de certaines misères » a écrit La Bruyère.Avez-vous déjà éprouvé ce sentiment? Dites avec précision dans quelles circonstances, en face de quellessouffrances physiques ou morales .

Quelle attitude, selon vous, devrait-on avoir et quelles actions pourrait-onenvisager face à la misère des autres ?RÉAGIR— Vous n'avez pas le temps de raconter, dans les détails, la vie du personnage.

Tenez-vous en aux épisodes lesplus significatifs.— Le sujet est dans deux parties distinctes : d'abord l'évocation d'un souvenir personnel, puis la proposition de cequ'il faudrait faire. RÉDIGER Premier sujetUn passant, que le désoeuvrement avait attiré à la fête, s'arrêta non loin du vieil homme.

Celui-ci se sentantobservé, repéra l'homme et lui fit signe d'approcher.

Il avait soudain envie de parler et cet homme lui en donnaitl'occasion.

« Vous voyez devant vous ce qui reste après une vie à amuser les gens.

Je suis devenu un inutile, alorsqu'avant...

Il faut vous dire que je suis né dans une famille de saltimbanques, comme la plupart d'entre nous ici.

Dèsma petite enfance j'ai appris à faire des tours, des équilibres, des figures invraisemblables avec mon corps.

Ah !J'étais souple alors ! Au fil de la route nous nous arrêtions dans les villages, des villes petites ou grandes, et moi,dès l'âge de quatre ans je me donnais en spectacle.

Si vous saviez le plaisir qu'il y a à apporter la joie, la fête, dansdes lieux où sans nous il n'y aurait jamais d'amusement.

C'est pour cela que j'ai toujours préféré les villages, leshameaux, car là on nous attendait, et avec quelle impatience.

Toute ma vie s'est déroulée ainsi.

J'ai été heureux. Mais j'ai vécu comme tous les autres ici sans souci du lendemain.

Ce que j'ai gagné au cours de ma vie n'a jamaisété important, mais ça me permettait de manger, d'acheter du matériel quand le besoin s'en faisait sentir.

Nousautres saltimbanques nous savons que notre avenir ce sont nos enfants.

Lorsque nous sommes trop vieux pourtravailler, la tradition veut que nos fils et nos filles nous nourrissent.

Alors je mange, puisque j'ai eu des enfants.Mais ma femme est morte et je n'ai personne auprès de moi à qui parler.

Et puis de vivre continuellement près d'unefête à laquelle on ne participe plus, quel cauchemar ! Je revis en permanence les moments de ma carrière, je merevois, le corps comme une liane qui faisait ce que je lui commandais.

Et maintenant plus moyen même du plus petitsaut.

Je suis devenu un fantôme.

Le fantôme d'un jeune homme qui est oublié.

Alors j'attends et j'écoute.

J'écouteles bruits de cette fête qui a été la mienne pendant cinquante ans et que j'ai dû quitter depuis déjà dix ans.

Je nesers à rien, je reste là tout le jour et le soir quand l'un de mes enfants m'apporte mon dîner je me retire dans cettecabane et à nouveau j'attends le matin parce qu'alors renaîtra la fête et que j'ai besoin de la sentir près de moi.

»Le passant qui un instant avait eu la tentation de glisser une pièce dans la paume du vieux, n'en fit rien, et sans un. »

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