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Chateaubriand. Méditation sur l'Acropole (Itinéraire de Paris à Jérusalem)

Publié le 04/07/2011

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chateaubriand

J'ai vu, du haut de l'Acropolis, le soleil se lever entre les deux cimes du mont Hymette; les corneilles qui nichent autour de la citadelle, mais qui ne franchissent jamais son sommet, planaient au-dessous de nous ; leurs ailes noires et lustrées étaient glacées de rose par les premiers reflets du jour; des colonnes de fumée bleue et légère montaient dans l'ombre le long des flancs de l'Hymette et annonçaient les parcs ou les chalets des abeilles; Athènes, l'Acropolis et les débris du Parthénon se coloraient de la plus belle teinte de la fleur du pêcher; les sculptures de Phidias, frappées horizontalement d'un rayon d'or, s'animaient et semblaient se mouvoir sur le marbre par la mobilité des ombres du relief; au loin la mer et le Pirée étaient tout blancs de lumière ; et la citadelle de Corinthe, renvoyant l'éclat du jour nouveau, brillait sur l'horizon du couchant comme un rocher de pourpre et de feu. Du lieu où nous étions placés, nous aurions pu voir, dans les beaux jours d'Athènes, les flottes sortir du Pirée pour combattre l'ennemi ou pour se rendre aux fêtes de Délos; nous aurions pu entendre éclater au théâtre de Bacchus les douleurs d'Oedipe, de Philoctète et d'Hécube; nous aurions pu ouïr les applaudissements des citoyens aux discours de Démosthéne. Mais, hélas ! aucun son ne frappait notre oreille... Je me disais, pour me consoler, ce qu'il faut se dire sans cesse : Tout passe, tout finit en ce monde. Où sont allés les génies divins qui élevèrent le temple sur les débris duquel j'étais assis?... Ce tableau de l'Attique, ce spectacle que je contemplais, avait été contemplé par des yeux fermés depuis deux mille ans. Je passerai à mon tour; d'autres hommes aussi fugitifs que moi viendront faire les mêmes réflexions sur les mêmes ruines. Notre vie et notre cœur sont entre les mains de Dieu ; laissons-le donc disposer de l'une comme de l'autre. (CHATEAUBRIAND, Itinéraire de Paris à Jérusalem)

Par un commentaire de ce passage, Vous vous efforcerez de montrer l'art de Chateaubriand, son talent de peintre, son don d'évoquer le passé et de faire jaillir de la contemplation des ruines ou de la nature une méditation lyrique.

La matière est un guide précieux. Elle vous demande : 1° de faire comprendre le talent de peintre que Chateaubriand a montré dans cette page; 2° le don qu'il a d'évoquer le passé et de faire jaillir de la contemplation des ruines ou de la nature une méditation lyrique; 3° de caractériser,toujours d'après cette page, l'art de Chateaubriand écrivain.  Le lien entre les trois parties est très étroit. La méditation est inspirée par le paysage, et vous aurez en effet à chercher comment; et, d'autre part, à côté et au-dessus des éléments pittoresques, réalistes et lyriques de la forme, vous devrez étudier par quel procédé l'écrivain a traduit musicalement les teintes de son tableau et les sentiments de son âme.

chateaubriand

« l'Acropole, la citadelle sainte où se pressent les ruines des chefs-d'œuvre qui s'imposent à l'admiration des siècles.Là, longuement il contemple, il se souvient, il médite.

Pages justement immortelles.

Celle que nous étudions est unedes plus connues ; on la citera sans cesse pour montrer l'art de Chateaubriand, son talent de peintre, le don qu'il ad'évoquer le passé et de faire jaillir de la contemplation des ruines ou de la nature une méditation lyrique. II Le passage, en effet, se divise tout naturellement en deux.

Chateaubriand est venu non seulement pour faireprovision de couleurs, mais aussi pour bercer son ennui poétique dans les rêveries grandioses que suggèrent lespaysages historiques et les débris des illustres monuments.

Il est d'abord tout entier à ses sensations, puis à ce quel'on peut appeler: les prolongements sentimentaux de ses sensations.

La deuxième partie sort de la première : lepeintre ne s'efface pas dès que le penseur intervient.

Ici et là, c'est le même artiste.

Il a tout simplement changé depalette, il n'a pas changé de « manière ».

Le même paysage inspire le tableau et la méditation.Tableau inondé de lumière.

Nous sommes bien devant un paysage grec.

Le soleil est au premier plan, le soleilresplendissant de l'aurore.

Il ruisselle, éclatant, sur la toile.

Il se lève à peine, et déjà il fait tout vivre et toutreluire.

Deux détails caractéristiques, sur lesquels s'est posé le regard du voyageur et sur lesquels il veut aussiarrêter le nôtre, l'ont surtout frappé, deux détails réels, vus, reproduits avec une précision sûre : notations quel'artiste retrouve sur son album, aussi fraîches qu'au moment où il les a prises La couleur noire des ailes descorneilles est non pas teintée, mais glacée (c'est-à-dire finement vernie) de rose, non par les premiers rayons dujour, mais par leurs reflets (c'est-à-dire par la réflexion de la lumière).

Cette exactitude nous ravit.

Chateaubriandne manque pas d'observer que ces corneilles sont les hôtes ordinaires de la citadelle et de donner la raison pourlaquelle il les aperçoit de bas en haut, et non au-dessus de sa tête.

Mais, plus encore que cela, le mot : lustréestémoigne d'un goût très vif pour la précision et indique le brillant, le poli de ce noir éclairé par le soleil athénien.Second détail caractéristique.

Sur les maisons, sur les temples et sur les ruines le soleil de l'Attique répand, aupremier jour: une teinte particulière dont il est difficile peut-être d'obtenir l'équivalent par les procédés de l'atelier.Supériorité incontestable de la poésie sur la peinture : ce que le pinceau ne pourrait pas suffisamment exprimer, unecomparaison poétique le suggère à notre imagination et le fera apparaître à nos regards.

Avez-vous vu la fleur dupêcher quand elle est parée de sa plus belle teinte? Souvenez-vous, et vous aurez la vision des monumentsd'Athènes baignés par le soleil.

A ces nuances de coloris : noir, rose, or jaunissant, une autre se mêle : le bleu de lafumée qui monte, nuance non ajoutée pour faire valoir les autres ou pour introduire de la variété, mais aussi vraieque les autres, puisque, l'écrivain l'a marqué, la fumée annonce les chalets des abeilles qui peuplent l'Hymette àl'époque de Chateaubriand comme au siècle de Platon.Ce sont encore les jeux de couleur et de lumière que suit le voyageur sur les statues de Phidias ; impressions depeintre plutôt que de sculpteur : il note la direction de la lumière (horizontalement), sa couleur (un rayon d'or) ; lamobilité des ombres du relief, c'est-à-dire le miroitement incessant et rapide des rayons le long des ouvrages deronde-bosse, donne la vie, le mouvement (s'animaient et semblaient s'émouvoir) à ces figures, sur le marbre dumonument où elles sont sculptées.Ainsi le ton local du tableau est remarquablement reproduit.

Le soleil, plus clair et plus lumineux en Grèce que dansles autres contrées, le soleil que les héros de l'Hellade les plus intrépides saluent en pleurant avant de mourir, règneen maître sur ce paysage (Faculté Aix-Marseille, octobre 1913.).

Au-dessous du voyageur, autour de lui, auprès delui, le soleil distribue son éclat, et revêt les êtres animés, les maisons et les monuments, les statues des grandsmaîtres, d'une lumière vibrante et chaude, et aussi d'une grâce et d'une finesse exquises.

Mais où éclate sasplendeur et sa puissance, c'est lorsque le regard s'élance vers le lointain.

Brusquement, la vision s'élargit.

La mer,le Pirée, étaient tout blancs de lumière.

Quel horizon magnifique, subitement apparu ! La vue s'étend plus au large ;par delà la mer, par delà le Pirée, à l'horizon du couchant, surgit la citadelle de Corinthe, tout étincelante de rayons,et, dans le fond de la scène, se dresse impérieusement ce rocher de pourpre et de fer, que le pinceau du plus grandpeintre ne rendrait pas plus imposant ni plus hardi.Cette pluie de lumière va envelopper aussi la première partie de la méditation.

Comment ne pas songer, en effet,devant cette joie de la nature, aux années radieuses où Athènes était la parure du monde grec? Et, d'autre part,comment ne pas réfléchir, en face de ces ruines, à la fragilité de tout ce qui nous entoure, de tout ce qui meurtavec nous ? L'imagination du voyageur ne s'écarte pas de la sensation présente lorsqu'elle réveille les grandesépoques dans toute leur puissance et toute leur beauté.

C'est le même soleil qui éclairait jadis les héros deSalamine, les pèlerins de Délos, les spectateurs de Sophocle et d'Euripide, les auditeurs de Démosthène.

Voilà lepremier thème.

Il se dégage du spectacle qui se déroule sous le regard de Chateaubriand.

Mais vienne l'incident leplus banal, quelques cris qui s'élèvent, là-bas, dans la ville, et la réflexion prend un autre cours.

La mélancolie naîttout naturellement de la contemplation des crépuscules mystérieux et des nuits troublantes.

Elle naît aussi ducontraste entre la fête de la lumière et la tristesse du cœur, entre le passé qu'enrichit la tradition et le présent dontnous voyons toutes les laideurs, entre la nature immuable et indifférente et les cadavres des édifices que le temps,ou la main des hommes plus cruelle encore, a jetés sur le sol.

Voilà le second thème.

L'un et l'autre se relientétroitement, se rejoignent, et se complètent.Ils s'entrelacent aussi.

Le premier est tout pénétré de mélancolie.

Que de regrets dans ce conditionnel : nousaurions pu! Regrets d'autant plus profonds que le passé apparaît plus admirable, plus digne d'avoir résisté.

Nonseulement le voyageur évoque le passé, mais il le revoit, mais il le fait renaître tout jeune d'immortalité et de gloire.Ce pèlerin, qui veut être l'apôtre du christianisme poétique, retrouve, sur la terre de l'Hellade, une âme sincèrementpaïenne, enthousiaste pour l'héroïsme de la flotte des Athéniens, pour la beauté de leurs cérémonies divines, pour lagrandeur de leur poésie dramatique et de leur éloquence.

Salamine et Délos, Sophocle et Euripide, Démosthène,quels noms oserait-on placer à côté de ceux-là, et quels souvenirs que ceux des années où tout un peuple se. »

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