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Chatterton, III, I (commentaire composé)

Publié le 28/05/2015

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Chatterton, III, I

Chatterton s'est engagé à achever un manuscrit pour payer ses dettes. Mais la faim le tenaille et il est torturé par l'image de celle qu'il aime, Kitty Bell. La veille du jour fixé, il passe la nuit à essayer d'écrire, en vain. (Voir le résumé de la pièce, p. 20).

La chambre de Chatterton, sombre, petite, pauvre, sans feu; un lit misérable et en désordre.

Scène première. — CHATTERTON est assis sur le pied de sou et écrit sur ses genoux.

Il est certain qu'elle ne m'aime pas. — Et moi... je n'y veux plus penser. — Mes mains sont glacées, ma tête est brûlante. — Me voilà seul en face de mon tra¬vail. — Il ne s'agit plus de sourire et d'être bon ! de saluer et de serrer la main ! Toute cette comédie est jouée : j'en commence une autre avec moi-même. —

5 Il faut, à cette heure, que ma volonté soit assez puissante pour saisir mon âme, et l'emporter tour à tour dans le cadavre ressuscité des personnages que j'évoque, et dans le fantôme de ceux que j'invente ! Ou bien il faut que, devant Chatterton malade, devant Chatterton qui a froid, qui a faim, ma volonté fasse poser avec prétention un autre Chatterton, gracieusement paré

10 pour l'amusement du public, et que celui-là soit décrit par l'autre: le trou-badour par le mendiant. Voilà les deux poésies possibles, ça ne va pas plus loin que cela! Les divertir ou leur faire pitié ; faire jouer de misérables pou¬pées, ou l'être soi-même et faire trafic de cette singerie ! Ouvrir son coeur pour le mettre en étalage sur un comptoir ! S'il a des blessures, tant mieux !

15 il a plus de prix; tant soit peu mutilé, on l'achète plus cher. (Il se lève). Lève-toi, créature de Dieu, faite à son image, et admire-toi encore dans cette condition ! (Il rit et se rassied. — Une vieille horloge sonne une demi-heure, deux coups.) Non, non !

L'heure t'avertit; assieds-toi, et travaille, malheureux ! Tu perds ton temps en 20 réfléchissant: tu n'as qu'une réflexion à faire, c'est que tu es pauvre. — Entends-tu bien ? un pauvre !

Chaque minute de recueillement est un vol que tu fais ; c'est une minute sté¬rile. — Il s'agit bien de l'idée, grand Dieu! Ce qui rapporte, c'est le mot. Il y a tel mot qui peut aller jusqu'à un schelling; la pensée n'a pas cours sur la 25 place.

Oh ! loin de moi, — loin de moi, je t'en supplie, découragement placé ! Mépris de moi-même, ne viens pas achever de me perdre ! détourne-toi ! détourne-toi ! car, à présent, mon nom et ma demeure, tout est connu! et, si demain ce livre n'est pas achevé, je suis perdu! oui perdu! sans espoir!

30 — Arrêté, jugé, condamné ! jeté en prison !

Ô dégradation ! ô honteux travail ! (Il écrit.) Il est certain que cette jeune femme ne m'aimera jamais. — Eh bien, ne puis-je cesser d'avoir cette idée ? (Long silence.)J'ai bien peu d'orgueil d'y penser encore. — Mais qu'on me dise donc pourquoi j'aurais de l'orgueil ! De l'orgueil de quoi ? Je ne tiens aucune

35 place dans aucun rang. Et il est certain que ce qui me soutient, c'est cette

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LE DRAME ROMANTIQUE

fierté naturelle. Elle me crie toujours à l'oreille de ne pas ployer et de ne pas avoir l'air malheureux.— Et pour qui donc fait-on l'heureux quand on ne l'est pas? Je crois que c'est pour les femmes. Nous posons tous devant elles. — Les pauvres créatures, elles te prennent pour un trône, à Publicité, vile Publicité ! toi qui n'es qu'un pilori où le profane passant peut nous souffleter. En géné¬ral les femmes aiment celui qui ne s'abaisse devant personne. Eh bien, par le Ciel, elles ont raison. — Du moins celle-ci qui a les yeux sur moi ne me verra pas baisser la tête. — Oh ! si elle m'eût aimé ! (Il s'abandonne à une longue rêve¬rie, dont il sort violemment.) Ecris donc, malheureux, évoque donc ta volonté !

45 - Pourquoi est-elle si faible? N'avoir pu encore lancer en avant cet esprit rebelle qu'elle excite, et qui s'arrête ! — Voilà une humiliation toute nouvelle pour moi ! — Jusqu'ici je l'avais toujours vu partir avant son maître ; il fallait un frein et, cette nuit, c'est l'éperon qu'il lui faut.— Ah ! ah ! l'immortel ! ah ! ah ! le rude maître du corps! Esprit superbe, seriez-vous paralysé par ce misérable

30 brouillard qui pénètre dans une chambre délabrée? Suffit-il, orgueilleux, d'un peu de vapeur froide pour vous vaincre ? (Il jette sur ses épaules la couver¬ture de son lit.) L'épais brouillard ! il est tendu au dehors de ma fenêtre comme un rideau blanc, ou comme un linceul. — Il était pendu ainsi à la fenêtre de mon père, la nuit de sa mort. (L'horloge sonne trois quarts.) Encore !

55 le temps me presse ; et rien n'est écrit ! (Il lit): «Harold! Harold!... ô Christ ! Harold... le duc Guillaume... «

Eh! que me fait cet Harold, je vous prie? —Je ne puis comprendre comment j'ai écrit cela. (Il déchire le manuscrit, en parlant. — Un peu de délire le prend.)J'ai fait le catholique ; j'ai menti. Si j'étais catholique, je me ferais moine et trap 

60 piste. Un trappiste n'a pour lit qu'un cercueil, mais au moins il y dort. — Tous les hommes ont un lit Où ils dorment: moi, j'en ai un où je travaille pour de l'argent. (Il porte la main à sa tête.) Où vais-je? où vais-je ? Le mot entraîne l'idée malgré elle... O Ciel ! la folie ne marche-t-elle pas ainsi? Voilà qui peut épouvanter le plus brave... Allons! calme-toi. — Je relisais ceci... Oui... Ce

65 poème-là n'est pas assez beau !... Ecrit trop vite ! Ecrit pour vivre ! — Ô sup¬plice! La bataille d'Hastings !... Les vieux Saxons!... Les jeunes Normands! Me suis-je intéressé à cela? Non. Et pourquoi donc en as-tu parlé ? — Quand j'avais tant à dire sur ce que je vois! (Il se lève et marche à grands pas.) — Réveiller de froides cendres, quand tout frémit et souffre autour de moi;

70 quand la vertu appelle à son secours et se meurt à force de pleurer ; quand le pâle travail est dédaigné ; quand l'espérance a perdu son ancre ; la foi, son calice ; la charité, ses pauvres enfants ; quand la loi est athée et corrompue comme une courtisane ; lorsque la terre crie et demande justice au poète de ceux qui la fouillent sans cesse pour avoir son or, et lui disent qu'elle peut se

75 passer du Ciel.

Et moi! moi qui sens cela, je ne lui répondrais pas? Si! par le Ciel ! je lui répondrai. Je frapperai du pied les méchants et les hypocrites. Je dévoilerai Jérémiah-Miles et Warton.

Ah ! misérable ! Mais... c'est la satire ! Tu deviens méchant. (Il pleure longtemps 80 avec désolation.) Ecris plutôt sur ce brouillard qui s'est logé à ta fenêtre comme à celle de ton père. (Il s'arrête. — Il prend une tabatière sur sa table.) Le voilà, mon père ! — Vous voilà! bon vieux marin ! franc capitaine de haut 

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bord, vous dormiez la nuit, vous, et, le jour, vous vous battiez ! vous n'étiez pas un paria intelligent comme l'est devenu votre pauvre enfant. Voyez-vous,

85 voyez-vous ce papier blanc ? S'il n'est pas rempli demain, j'irai en prison,

mon père, et je n'ai pas dans la tête un mot pour noircir ce papier, parce que j'ai faim. — J'ai vendu, pour manger, le diamant qui était là, sur cette boîte, comme une étoile sur votre beau front. Et, à présent, je ne l'ai plus, et j'ai toujours la faim. Et j'ai aussi votre orgueil mon père, qui fait que je ne le dis

90 pas. — Mais, vous qui étiez vieux et qui saviez qu'il faut de l'argent pour vivre, et que vous n'en aviez pas à me laisser, pourquoi m'avez-vous créé ? (Il jette la boîte. Il court après, se met à genoux et pleure.) Ah ! pardon, pardon, mon père ! mon vieux père en cheveux blancs ! — Vous m'avez tant embrassé sur vos genoux ! — C'est ma faute ! J'ai cru être poète ! C'est ma faute ; mais je vous

95 assure que mon nom n'ira pas en prison ! Je vous le jure, mon vieux père. Tenez, tenez, voilà de l'opium ! Si j'ai par trop faim... je ne mangerai pas, je boirai. (Il fond en larmes sur la tabatière où est le portrait.) Quelqu'un monte lour¬dement mon escalier de bois. — Cachons ce trésor. (Cachant l'opium.) Et pour¬quoi ? Ne suis je donc pas libre ? plus libre que jamais? — Caton n'a pas caché

100 son épée. Reste comme tu es, Romain, et regarde en face. (Il pose l'opium au milieu de sa table.)

Une grande théâtralisation. L'irruption du délire, notamment avec le surgissement de l'image paternelle, conduit Chatterton à se donner en spectacle : il court après, se met à genoux, pleure; il fond réellement en larmes, pris au jeu d'une émotion qu'il provoque lui-même en se chapitrant («Et pourquoi donc en as-tu parlé ? «) ou en s'accusant devant l'ombre de son père ( « C'est ma faute; mais je vous assure que mon nom n'ira pas en prison ! «). Les images romantiques abondent pour renforcer le climat de désespoir (« les blessures du coeur «, «le brouillard« où la nature se confond avec l'état d'âme, «la chambre délabrée «, «le linceul «). Le champ lexical du théâtre, important surtout au début du monologue (« les divertir «, «faire jouer de misérables pou­pées «, «gracieusement paré pour l'amusement du public «, «avoir l'air malheu­reux

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