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CHRISTINE DE PISAN (ou PIZAN) : sa vie et son oeuvre

Publié le 21/11/2018

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CHRISTINE DE PISAN (ou PIZAN) (vers 1364-vers 1431). On Ta traitée d’« authentique bas-bleu» et de « premier homme de lettres du Moyen Age ». Son « féminisme » et ses désespoirs (« seulete suy et seulete vueil estre ») expriment des préoccupations et une sensibilité qui nous semblent modernes. C’est l’auteur médiéval que nous avons le plus tendance à lire selon nos critères de sincérité, d’émotion et d’engagement : catégories sans doute trop récentes, mais auxquelles elle fait songer, pour avoir manié le langage et les formes poétiques de son temps de façon très personnelle.

 

La femme écrivain

 

Fille de l’astrologue de Charles V, Tommaso di Benvenuto da Pizzano, elle passe son adolescence à la cour de ce roi, de qui elle fera l’éloge. Mariée à Etienne de Castel, notaire royal, elle en est veuve dès 1389. Elle se met alors à vivre de ses écrits. Nul n’avait encore autant parlé métier : elle fait exécuter des copies de ses œuvres pour les princes français et étrangers. Son existence est au centre de ses préoccupations : l’Advzszon évoque les procès et la honte des démarches, la Mutacion offre une autobiographie symbolique. Sa production est pléthorique : sur une quarantaine d’années, on a les Ballade du veuvage, les Cent Ballades d'Amant et de Dame, le Livre des trois jugements, le Dit de Poissy, le Dit de la pastoure, l'Épistre au dieu d’amours (1399), le Dit de la rose (1400), le Chemin de longue estude (1402), le Livre de mutacion de Fortune (1403), le Livre des faits et bonnes mœurs du roi Charles (1405), la Cité des dames (1405), l’Advmon (1405), le Livre des faits d'armes et de chevalerie (1410), le Livre de paix (1412), les Lamentations sur les maux de la guerre (1420), le Dictié en l'honneur de la Pucelle (1429). Christine écrit sur commande et cherche la protection des grands. Plus que d’autres, elle est tributaire de son public aristocratique.

 

Variations sur l'amour et la douleur d'être seule

 

Admirerons-nous son art ou — ce serait une innovation — la sincérité de sa confession? Poésie personnelle et tradition courtoise sont inséparables ici. Les pleurs de la femme délaissée s’inscrivent dans les formes fixes du rondeau, de la ballade, du virelai. La technique est savante : coupes brisant le vers, enjambements audacieux. Dans les pièces les plus émouvantes, Christine de Pisan déplore la perte de son mari; elle exprime sa solitude (« Seulette m’a laissée en grant martyre », «je suis veuve, seulette et noir vetue »), parfois sa révolte (« O dure Mort, or as tu trait à chief/Tous mes bons jours ») et souvent une tristesse sans issue (« Dueil angoisseux, rage desmesurée... »). Plainte « authentique » que ces « larmes et souspirs » qui « [lui] troublent/Cuer et face... »? Ne transposons pas trop vite nos réactions de lecteurs actuels. Le lyrisme courtois ressasse la solitude malheureuse, l’éloignement : Christine le rénove; elle chante non pas l’absence de l’aimé(e), mais la perte du mari. Au temps de la femme inspiratrice, elle est créatrice, et elle donne au motif de la séparation un ton tragique en l’incarnant dans son sort personnel. La convention se banalise dans l’émergence constante du

 

souci quotidien; elle se dramatise aussi (la mort n’est plus métaphore, mais expérience) et redonne vie au symbole épuisé. Mais il n’y a là point de rupture avec les exigences du langage courtois : à aucun moment le désespoir ne se fait subversif; le cri s’intégre sans heurt dans le cadre de la forme fixe. Les Cent Ballades d'Amant et de Dame s’ordonnent en une suite narrative, selon les étapes classiques des épreuves, de la joie, du doute, de la trahison et de la mort. Le poète sait « de triste cuer chanter joyeusement ».

 

La casuistique amoureuse est pour elle l’occasion de prendre parti pour la femme. L’héroïne du Livre des trois jugements a-t-elle trahi en quittant pour un autre l’infidèle qui l’a séduite et délaissée? Qui a le plus souffert, de l’écuyer ou de la dame qui racontent leurs mésaventures dans le Dit de Poissy? Le code de la pastourelle (une bergère gardant son troupeau est courtisée puis abandonnée par un chevalier) répond tout à fait, dans le Dit de la pastoure, à une inspiration qui voit surtout l’aspect mélancolique du service d’amour : celui-ci est souvent une fatalité; nul n’échappe à la souffrance. Le Lai mortel condamne la violence amoureuse. Sous le registre courtois affleure le destin individuel de celle qui « chante par couverture » et dont « mieux pleureraient (les) yeux », aussi bien que la méfiance féminine devant une éthique qui reste masculine. Peu de pièces sont vraiment gaies, si l’on excepte les Jeux à vendre, exercice de virtuosité, et quelques rondeaux (« Hé lune! trop luis longuement... »).

 

La première féministe

 

Sa vie a rendu Christine sensible au statut de la femme dans l’idéologie courtoise. Aussi s’en prend-elle à Jean de Meung et lance-t-elle la « Querelle du Roman de la Rose » en 1399. On s’indigne du sacrilège : « O très folle outrecuidance! O parole trop tôt issue et sans avis de bouche de femme! » La discussion dépassera ce cadre et se poursuivra longtemps. Christine, par ses écrits, prouvera que la femme n’a pas moins de qualités que l’homme et que la faiblesse du corps n’est pas celle de l’esprit. « Parce que sont ainsi les femes diffamées », elle compose VEpistre au dieu d'amours : la divinité protège contre la perfidie masculine. « Se femes eussent les livres fait/... Autrement fust du fait » : ainsi fera-t-elle, rappelant les figures du passé et leurs vertus. Le Dit de la rose invente un ordre consacré à l’honneur des femmes; dans la Cité des dames, Raison, Justice et Droiture demandent à la poétesse son concours pour une cité où seront recueillies les femmes sans défense. Le Livre des trois vertus explique aux femmes leurs devoirs.

 

Le triste sort du pays

 

La défaite, l’invasion, Christine les évoque, mais indirectement. Elle connaît l’absurdité de la guerre : « [je] n’ai danger de devenir trop gras » se plaint le soldat. Mais l’idéal de la chevalerie est encore son principal guide pour l’évocation de la réalité, et c’est sur un plan très classique qu’elle fait le panégyrique de Charles V que lui a commandé Philippe le Hardi en 1405 (noblesse de cœur, chevalerie et sagesse). Les pièces de circonstance (Ballade sur la mort de Philippe) livrent un écho

« de l'actualité.

L'Advision trace un sombre tableau des misères du temps; la Lamentation sur les maux de la guerre civile appelle les femmes à l'aide contre la lutte fratricide entre Armagnacs et Bourguignons.

Le Livre de paix est plus une réflexion sur les vertus du prince et ses devoirs qu'un appel.

Moins polémique qu'Alain Char­ tier, elle récupère autant que lui l'histoire dans le cadre préétabli de la morale.

Devant le malheur, elle se tourne vers ses consœurs, console (Épistre de la prison de vie humaine, 1416:0, prêche la patience (Heures de contem­ plation sur la Passion, 1420).

Le Dictié en l'honneur de la Pucelle célèbre et le relèvement du pays et 1 'archétype de la féminité héroïque, Jeanne, digne de 1' Antiquité.

La réflexion L'événement sert à vérifier la validité de notions telles que la Fortune ou la décadence des vertus.

Morale et érudition envahissent l'œuvre.

L'allégorie lui fournit le mode d'expres�ion approprié, qui place d'emblée le texte sur le plan général de l'idée.

L' Epistre d 'Otlua ( 1400) glose les histoires de la mythologie leur accordant un « sens moral » et « allégorique ».

Le Chemin de long estude relate un voyage dans l'au-delà, oi:1 les Vertus débattent du choix du prince digne de gouverner le monde pour remédier aux maux de l'humanité.

La Muta­ cion de Fortune est une autobiographie allégorique sur sa « mutation en homme » après la « perte du patron de sa nef», mais aussi une variation sur la Fortune maî­ tresse du monde, ainsi qu'une «histoire» des plus anciens royaumes.

L'Advision rapporte l'entretien de Christine avec dame Opinion, qui régit la terre, et nous propose le réconfort de Philosophie.

Là aus i, il y a une transposition de sa vie, ainsi qu'une description sans complaisance de la France.

Deux ouvrages concernent les problèmes de la cité : le Livre des faits d'armes.

manuel d'éducation militaire et code du droit des gens; le Livre du corps de poli cie ( 1 404).

sur l'art de gouverner et les vertus du prince.

Christine a beaucoup écrit, mais, dans chacun de ses rôles, elle a imposé son originalité.

Quand elle reprend le langage -codifié à l'extrême -de la chanson cour­ toise, elle lui donne un souffle nouveau.

Elle participe aux débats d'idées de son époque et reflète les préoccu­ pations d'un temps troublé.

Ses œuvres encyclopédiques et morales ne portent pas autant son empreinte person­ nelle, mais or.

peut y suivre un effort constant pour appréhender les problèmes de l'heure à la manière géné­ ralisante de son temps.

[Voir aussi ALLtGORIE MÉDIÉVALE].

BIBLiOGRAPHIE Éditions .-Livre de la Paix, éd.

C.

Cannon-Willard, La Haye, Mou to n , 1958; Éoître de la prison de vie humaine, éd.

S.

Solente.

Paris, B.E.C., 1924; le Livre des faits et bonnes mœurs du sage roy Charles V, éd.

S.

Solente, Genève, Slatkine Reprints, 1977; le Livre du chemin de longue étude, éd.

R.

PUschel, Genève, Slatkine Reprint:;, 1974; Cent Ballades d'amant et de dame, éd.

J.

Cerq uigl in i,. »

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