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CINGRIA Charles-Albert : sa vie et son oeuvre

Publié le 21/11/2018

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CINGRIA Charles-Albert (1883-1954). Chroniques de voyage, textes érudits, nouvelles et fables dispersés au hasard de revues souvent éphémères, peu d’ouvrages élaborés, une correspondance pittoresque, humoristique, telle se présente la production littéraire de Charles-Albert Cingria, collectée entre 1967 et 1978 en onze volumes à.' Œuvres complètes et cinq volumes de Correspondance. Cette œuvre d’un styliste, doué d’une imagination et d’une acuité sensorielle peu communes, suit les méandres d’une « vie ambulatoire » coupée de haltes que Cingria consacre à des recherches minutieuses sur le Moyen Age, le monachisme et le plain-chant.

 

Errances d'un Genevois

 

Charles-Albert Cingria naît à Genève dans une famille aisée, originaire de Raguse (aujourd'hui Dubrovnik). Sa mère est polonaise; son oncle maternel, Casimir Stryienski, un stendhalien érudit; son frère aîné, Alexandre (1879-1945), un excellent peintre doublé d’un pamphlétaire anti-calviniste. Milieu peu conventionnel où règne le goût des fêtes, des déguisements et des voyages.

 

Au collège de l'abbaye de Saint-Maurice, en Valais, Charles-Albert découvre la liturgie et la musique sacrée, et prend conscience d’appartenir à une tradition remontant à l’unité chrétienne du Moyen Age. Il devient lui-même bon musicien mais dans ses lettres de Rome — où il étudie le piano — éclatent surtout, en anecdotes cocasses ou en descriptions impressionnistes, ses dons d’écrivain. D’Italie, il passe en Espagne, en Afrique du Nord et visite Constantinople. De retour à Genève, Cingria mène une vie de dandy, participant avec son frère Alexandre et les amis de celui-ci, Ramuz, A. Bovy, Gonzague de Reynold, à la renaissance culturelle vaudoise (fondation de la revue la Voile latine, 1904). Il collabore à plusieurs publications, signe un violent pamphlet (A propos de la langue Espéranto dite langue universelle, 1906), fonde sa propre revue, la Voie clémentine (1910), qui n’aura que deux numéros, puis rejoint Ramuz aux anticonformistes Cahiers Vaudois. Bientôt ses liens se resserrent avec la France : Claudel, Modigliani, Max Jacob surtout, dont il partage la foi, deviennent ses amis. Causeur éblouissant, Cingria figure parmi les personnages d’un monde où brillent des esprits aussi différents que Cocteau, Satie, Milhaud, Desnos, Tzara, Lurçat (cf. Lurçat ou la peinture avec des phares, 1927). Mais la fortune familiale a fondu pendant la guerre. Désargenté, l’écrivain s’installe dans une mansarde, rue Bonaparte. Il publie alors sa première œuvre élaborée, Autobiographies de Brunon Pomposo (1928). On le retrouve sillonnant les routes d’Europe à bicyclette, ou encore à Saint-Gall, feuilletant les antiphonaires avec une patience de bénédictin. Dans la Civilisation de Saint-Gall (1929) et

 

Pétrarque (1932), il fait audacieusement remonter l’origine de la lyrique provençale et même de toute la poésie moderne aux séquences des troubadours, Notker le Bègue notamment.

 

Cependant, jaloux de sa liberté et toujours en mouvement, Cingria ne se soucie guère de son œuvre. Mermod publie des plaquettes confidentielles où l’écrivain livre ses observations de flâneur et de « vélocipédiste » : le Canal exutoire (1931), Impressions d'un passant à Lausanne (1932), l'Eau de la dixième milliaire (1932), une savoureuse et érudite promenade dans Rome dont le Comte des formes (1939) est une deuxième version; Paulhan accueille ses chroniques à la N.R.F. (« Airs du mois », 1933-1940) et la collation des œuvres complètes montre que le Genevois collaborait à nombre d’autres revues (Aujourd'hui, Cahiers du Sud, Cahiers de la Pléiade, la Licorne, Mesures, la Parisienne, Labyrinthe, etc.).

 

La Seconde Guerre mondiale le ramène à Fribourg : illustré par Auberjonois, Stalactites (1941) est enfin un livre à grand tirage. Puis viennent, en 1944, Florides helvètes, recueil d'articles; le Parcours du haut Rhône ou la Julienne et l'Ail sauvage, croquis valaisans; et le Camp de César (1945). Après la guerre, Cingria retrouve ses amis parisiens, Michaux, Stravinski, Paulhan et la N.R.F. Après Modigliani, Dubuffet peint son portrait. Il publie encore le Bey de Pergame et l’hagiographie d'une héroïne médiévale, la Reine Berthe et sa famille (1947). Enveloppes (1946), Bois sec Bois vert (1948) regroupent plusieurs de ses textes. Cingria s’éteint à Genève d'une cirrhose du foie, laissant une œuvre encore peu connue du grand public.

« n'entamant ni leur mattere, ni leur forme, comme sur cet obélisque abandonné à l'éternel retour du même: « Autant de fois cent fois qu'il y a eu de siècles, l'été l'a fait se peupler de sifflantes couleuvres, l'hiver se couvrir de givre ...

, l'automne servir de champ à la procession des feuilles crispées » (ibid.).

Avec leurs minces intri­ gues, les nouvelles flottent elles aussi, malgré de constantes références aux détails concrets, dans le no man's land du temps et de l'espace (cf.« Son père, son frère, son village, sa steppe, sa vie.

Tout cela est sans importance» ...

« Xénia et le diamant >>, dans Bois sec Bois ve rt), dans une durée non mesurable jalonnée de « chances >> dont les conséquences imprévisibles défient toute approche rationnelle d'une nature humaine, et d'une nature tout court, éternellement livrée à l'« accident >>.

Unité de temps, unité de ton Car le fantastique aussi bien que le merveilleux affleurent continuellement dans l'univers de Cingria, réglé par une cosmologie cohérente : que Dieu ait créé un monde paraît déjà au poète >; les qui s'y rencontrent ne sont rien de plus «qu'un autre extraordinaire dans le pre­ mier >> ( « Recensement >>, dans Bois sec Bois vert).

D'où ce regard de visionnaire que Cingria jette sur les specta­ cles les plus usuels, prégnants de significations cachées ( sur laquelle est brodée cette œuvre et c'est de celui-ci qu'elle tire son unité de temps.

Son unité de ton également.

Car un monde merveilleux, fût-il ancré dans l'histoire, s'apparente au monde onirique et Cingria mêle les strates du rêve à celles de la conscience aussi aisément qu'il superpose les moments dans la durée.

Son art du suspense (cf.

« le Petit labyrinthe har­ monique >>, Bois sec Bois vert), l'accumulation décousue de mots en «Inventaire>) (, etc., > et ce bras d'une machine à écrire qualifié de «violette exténuée qu'étreint une fourmi albinos >) dans « Recen­ sement » ).

S'y ajoutent des mots baroques sertis de loin en loin dans ses textes (la « nainte >> de « Xénia et le diamant ») e�: une syntaxe savante dont Cingria, par un don inné (ses manuscrits témoignent de la sOreté chez lui du premier jet), sait tirer des effets qui surprennent le lecteur par ses ruptures de rythme, ses inversions, son ordre à la fois logique et contourné.

En définitive, cette œuvre ne peut être annexée par aucune école littéraire.

Des surréalistes la sépare une conscience tournée davantage vers l'émerveillement devant l'énig.me du monde que vers l'exploration du moi profond.

Lorsque Cingria se laisse aller à la spontanéité onirique, il vaticine sur un cosmos imprégné du vitalisme latent dans les métaphysiques dérivées d'Aristote et de saint Thoma>.

En revanche, les allusions à son moi (cf.

sa Correspondance) sont discrètes et traitées sur le ton d'un humour tëpfférien.

On l'a comparé à F.

Ponge dont il partage le goOt du coq-à-l'âne,. »

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