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Colette, « Partie de pêche » , Les Vrilles de la vigne, 1908

Publié le 23/04/2023

Extrait du document

« Colette, « Partie de pêche » , Les Vrilles de la vigne, 1908 Nous avons atteint le bout du monde.

La dune, toute nue, abrite entre ses genoux ronds les cabanes noires, et devant nous fuit le désert, qui déçoit et réconforte, le désert sous un soleil blanc, dédoré par la brume des jours trop chauds… 10 heures – « Tribu papoue 1 conjurant l’Esprit des Eaux amères.

» C’est la légende que j’écrirai au verso de l’instantané que vient de prendre Maggie.

Les « indigènes », à têtes de phoques mouillés, dans l’eau jusqu’au ventre, la battent avec de longues perches, en hurlant rythmiquement.

Ils rabattent le poisson dans le filet tendu en travers d’un grand lac allongé, un grand bout de mer qu’abandonne ici la marée négligente. Le carrelet y grouille, et la crevette grise, et le flet et la limande 2… Marthe s’y rue et fouit 3 les rives de sable mouvant, avec une activité de bon ratier 4.

Je l’imite, à pas précautionneux d’abord, car toute ma peau se hérisse, à sentir passer entre mes chevilles quelque chose de plat, vif et glissant…. - À vous ! à vous, bon Dieu ! vous ne la voyez donc pas ? - Quoi ? - La limande, la limande, là !... Là ! … Oui, une assiette plate nacrée, qui miroite et file entre deux eaux… Héroïque, je fouille le fond de l’eau, à quatre pattes, à plat ventre, traînée sur les genoux… Un bref jappement : c’est Marthe qui crie de triomphe et lève au bout de son bras ruisselant l’assiette plate qui se tord et fouette… Je crèverai de jalousie, si je reviens bredouille ! Où est le Silencieux 5 ? oh ! le lâche, il pêche au haveneau 6 ! Et Maggie ? ça va bien, elle nage, soucieuse uniquement de sa plastique et de son maillot de soie framboise… C’est contre Marthe seule que je lutte, Marthe et son calot 7 de cheveux rouges collés, Marthe ficelée dans du gros jersey bleu, petit mathurin 8 à croupe ronde… Les bêtes, les bêtes, je les sens, elles me narguent ! Un gros lançon 9 de nacre jaillit du sable mou, dessine en l’air, de sa queue de serpent, un monogramme 10 étincelant et replonge… Je n’ai pas pu lire ce qu’il a écrit, mais je suis sûre que ça voulait dire « zut !...

». 10 heures – La tribu papou a fini ses conjurations.

L’Esprit des Eaux amères, sensible aux hurlements rituels 11, a comblé de poissons plats leurs filets. Notes : 1.

les Papous : tribu de Nouvelle-Guinée (Océanie).

2.

carrelet, flet, limande : noms de poissons.

3.

fouir : creuser, fouiller.

4. ratier : chien qui chasse les rats.

5.

le Silencieux : personnage masculin que Colette désigne ainsi car il ne parle pas beaucoup.

6. haveneau : longue épuisette dont on se sert pour pêcher.

7.

calot : partie supérieure du chignon.

8.

mathurin : religieux 9.

Lançon : long et mince poisson vivant dans le sable.

10.

monogramme : chiffre unique, formé des initiales ou de lettres combinées ou entrelacées.

11.

rituels : réglés comme un rite, une cérémonie sacrée, religieuse. Etude linéaire : « Partie de pêche », Les Vrilles de la vigne, 1908 Cinq étés de suite, à compter de 1906, Colette séjourne au Crotoy en baie de Somme dans la villa « Belle plage » que loue son amante Missy.

Elles y reçoivent de nombreux amis parisiens.

Dans « Partie de pêche » extrait du recueil Les Vrilles de la vigne, paru en 1908, Colette rapporte une de ces excursions. D’une manière un peu autoritaire, Marthe a décidé de partir au petit matin défier les pêcheurs locaux et d’embarquer le petit groupe, Colette, Maggie et le dit « Silencieux » dans cette aventure. Comment Colette transforme t-elle avec humour cette simple partie de pêche en véritable combat héroïque ? Ou utiliser comme pb le parcours « célébration du monde » ….. Mouvement 1 : « Nous avons atteint le bout du monde ». Le texte s’ouvre sur une expression hyperbolique , assez vague, mystérieuse , associant la destination du groupe d’amis au « bout du monde », clin d’œil amusé de la narratrice associant l’excursion à une quête digne des grands explorateurs partant à la conquête de territoires nouveaux. « La dune, toute nue, abrite entre ses genoux ronds les cabanes noires, et devant nous fuit le désert, qui déçoit et réconforte, le désert sous un soleil blanc, dédoré par la brume des jours trop chauds… » C’est ici le regard poétique de la narratrice qui prend le relais : elle nous offre dans une longue phrase, une vision très sensuelle du paysage maritime « La dune, toute nue, abrite entre ses genoux ronds les cabanes noires, » La dune est personnifiée comme le montre l’expression « entre ses genoux » verbe « abrite » laisse penser à un rôle protecteur, telle une mère. ; le Le sensualité , voire même l’érotisme de la scène, est présente à travers l’expression « toute nue », et l’adjectif « ronds » qui fait penser aux rondeurs féminines.

On peut y voir aussi à travers l’adverbe « toute (= entièrement) nue » l’idée d’un éloge de la vie sauvage. La couleur des cabanes : « noires », fait contraste avec la couleur sable des dunes, comme si ces constructions humaines entachaient le paysage naturel. La marée est certainement basse, la plage sable semble s’étendre à l’infini comme le suggère la personnification « et devant nous fuit le désert, ».

L’antithèse « qui déçoit et réconforte, » montre les sentiments ambiguë de Colette face à ce paysage, entre déception et bien être .

La répétition du mot « désert » renforce cette impression de vide qui ne semble pas avoir de limite. « le désert (…) , le désert sous un soleil blanc, dédoré par la brume des jours trop chauds… » Le soleil semble exercer une sorte pouvoir néfaste sur l’étendue de sable comme le suggère le verbe « fuit le désert » comme si celui ci craignait l’astre solaire , la préposition « sous un soleil » évoque une sorte de poids, lourd, ou encore l’adverbe marquant l’excès « trop chauds ».

La narratrice transpose sûrement son inconfort dans ce décor estival.

Elle se sent accablée par la chaleur déjà.

Elle fait appel à ses sensations tactiles Les sensations visuelles sont sollicitées créent un contraste de couleurs « cabanes noires » , « un soleil blanc » ; la négation « dédoré » et la présence de « brume » viennent atténuer les couleurs du paysage, et pourrait évoquer un tableau impressionniste. Les sonorités évoquent, elles aussi une grande sensualité du paysage : l’allitération en « s » et les assonances en « a » « o » pourraient évoqué le plaisir A la vue de ce paysage, la narratrice laisse parler ses émotions, fait appel à ses sens, à sa sensualité, ce passage est teinté de lyrisme 10 heures – « Tribu papoue 1 conjurant l’Esprit des Eaux amères.

» C’est la légende que j’écrirai au verso de l’instantané que vient de prendre Maggie. 10 heures – le tiret précédant l’indication temporelle précise renvoie à la forme d’un journal de bord, rappelant le côté journalistique de cette anecdote rapportée par Colette.

Cependant l’anecdote perd vite de son sérieux : « Tribu papoue 1 conjurant l’Esprit des Eaux amères.

» En associant de façon métaphorique la population locale à une « Tribu papoue » (population autochtone de la Nouvelle-Guinée) et la Manche, la mer à « des Eaux amères » Colette détourne avec humour cette partie de pêche … En suggérant l’existence d’un « Esprit des Eaux amers » , c’est à dire un Dieu maritime pour les tribus papoues, Colette fait un joyeux mélange de cultures : en effet, « Eaux amères » est une expression que l’on retrouve dans la bible, elles sont le symbole de la malédiction, la trahison.

La culture papoue et biblique sont très éloignées l’une de l’autre ! « C’est la légende que j’écrirai au dos de l’instantané » : l’autrice joue sur le mot « légende » qui donne une dimension mythique à l’instant. Cette partie de pêche prend la dimension d’une exploration en terres inconnues : manière humoristique de dire que la Manche est un continent exotique pour des parisiens ! Il faut s’assurer la bienveillance de « L’ Esprit des eaux amers » pour espérer une bonne pêche … « Les « indigènes », à têtes de phoques mouillés, dans l’eau jusqu’au ventre » - les « indigènes » : l’expression est mise entre guillemets pour souligner que cela n’en est pas réellement, elle désigne avec humour les habitants de la baie de Somme, rappelant la légende « Tribu Papoue » - la métaphore « à tête de phoques mouillés, dans l’eau jusqu’au ventre » associe de façon comique les pêcheurs aux animaux emblématiques présents en baie de Somme :.... »

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