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Commentaire composé de l'incipit d'Aurélien, Aragon.

Publié le 03/08/2012

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L’œuvre d’Aragon Aurélien a été publiée en 1944 et est le 4ème volume du cycle intitulé Le Monde Réel. Il s’agit de l’histoire d’amour entre un jeune bourgeois, Aurélien Leurtillois, et d’une provinciale mariée, Bérénice. Ce roman annonce l’arrivée du mouvement réaliste, avec une description plutôt cynique de la société d’entre-deux guerres. Un incipit a pour rôle d’informer le lecteur sur les personnages, le contexte, le lieu de l’action, et de susciter son intérêt afin de l’encourager à lire la suite. Celui d’Aurélien remplit ces deux fonctions, mais en s’affranchissant des critères habituels de début de roman. Dans ce cas, quels sont les éléments qui contribuent à son originalité ? Le texte débute sur le bilan d’une relation amoureuse qui semble avoir été un véritable échec ; cependant, c’est le portrait d’Aurélien qui est dépeint implicitement à travers ses réflexions. Enfin, Aragon a choisi de traiter les fonctions informative et émotive de l’incipit d’une manière bien particulière.

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« que, puisqu'elle porte son nom, Bérénice doit ressembler au personnage de Racine.

Aurélien semble plaire aux femmes et en avoir connu quelques-unes : «une étoffequ'il avait vue sur plusieurs femmes.

» (l.5-6), très certainement pour se rassurer et tenter de trouver un but à sa vie après la guerre ; ainsi, le vers de Racine,« longtemps errant ...

» semble caractériser Aurélien, perdu dans sa propre vie dont il ne comprend plus le sens. Son avis sur Bérénice participe à cet amalgame entre rêve et réalité dont il est la victime.

Il ne fait aucun doute que la description de celle-ci se fait uniquement dupoint de vu d'Aurélien ; tout d'abord, la présence du discours indirect-libre, « une étoffe qu'il n'aurait pas choisie » (l.

4), montre un avis tout à fait personnel, toutcomme l'utilisation de la première personne du singulier à la ligne 16 : « Plutôt petite, pâle, je crois… ».

Le champ lexical du regard : « Aurélien vit » (l.1) « il latrouva » (l.2), « qu'il avait vue » (l.5), « il l'avait mal regardée » (l.13) et celui des sentiments : « franchement laide » (l.1) « elle lui déplut » (l.2), « il n'aima pas »(l.3), « impression vague, générale, d'ennui et d'irritation » (l.14), « ce qui l'irritait » (l.19) ne laissent plus aucun doute quant à la subjectivité de cette description.Description nettement péjorative, renforcée par la dépersonnification de Bérénice : « qu'elle se fût appelée Jeanne ou Marie » (l.17), « l'autre, la vraie… » (l.31) ;plus encore que la dénigrer, il la méprise.

Et pourtant, une certaine ambiguïté s'installe.

D'une certaine manière, elle ne l'a pas laissé indifférent puisqu'elle lui a laissé« une impression vague, générale, d'ennui et d'irritation » (l.14), « voilà bien ce qui l'irritait » (l.19) ; de plus, tout un paragraphe lui est consacré, et il s'agit despremiers mots du roman, preuve qu'elle a son importance pour Aurélien.

Ajoutons que, bien qu'il sache que « ses cheveux étaient ternes ce jour-là, mal tenus » (l.9-10), il est paradoxalement incapable de dire si « elle était blonde ou brune » (l.12), puisqu' « il l'avait mal regardée » (l.13), et qu'elle lui a laissé « une impressionvague, générale » (l.14).

Dans la progression du texte, il se rend compte qu'il n'a pas beaucoup prêté attention à Bérénice étant donné qu'elle lui a déplu ; et pourtant,il repense à elle, de la même manière qu'il repense au vers.

Il ne l'apprécie pas, il l'a apparemment presque ignorée, mais elle l'obsède malgré tout ; l'ambiguïté estpalpable, et le lecteur comprend que l'incipit présage l'histoire d'amour entre les deux personnages.

Dès la première phrase en effet, « La première fois qu'Aurélien vitBérénice, il la trouva franchement laide », plusieurs indices sont présents : elle sous-entend qu'il y aura au moins une autre fois où ils se verront, lors de laquelle ilressentira autre chose pour elle.

Puis le complément circonstanciel de temps, à la ligne 9-10, « ses cheveux étaient ternes ce jour-là », laisse à penser que la ou lesautres fois qu'Aurélien a vu Bérénice, la situation était différente, ses cheveux plus soignés.

Enfin, lui-même avoue qu' « il l'avait mal regardée » (l.13) ; il n'est doncpas très sûr qu'elle lui déplaise autant, et la suite de l'histoire prouvera que tel était le cas.

Mais pour cela, le lecteur doit avoir envie de lire la suite, et il doit lacomprendre ; c'est dans ce contexte que l'importance de l'incipit est primordiale. L'une de ses fonctions est en effet d'informer le lecteur, afin qu'il ne se sente pas perdu une fois l'élément perturbateur arrivé et le déroulement des péripétiescommencé.

Aragon a toutefois choisi de surprendre en détournant cette fonction de son rôle initial.

Le cadre spatio-temporel est par exemple très flou.

Le lecteur n'aaucune information sur le lieu de l'histoire.

Le seul endroit mentionné se reporte à une ville orientale, et l'on sait justement que l'histoire ne s'y déroule pas, puisque lenarrateur nous donne des informations sur sa situation géographique et politique : « Césarée, c'est du côté d'Antioche, de Beyrouth.

Territoire sous mandat.

» (l.34-35).

On ne dispose guère plus d'informations sur la période, la date ou l'heure à laquelle Aurélien nous livre ses pensées.

La seule information dont dispose le lecteurest que l'histoire se déroule après la première guerre mondiale, puisque le personnage en parle au passé, avec l'utilisation du plus-que-parfait : « un vers qui l'avaithanté pendant la guerre, dans les tranchées » (l.21-22).

Les personnages sont eux-mêmes très peu caractérisés.

Pour Aurélien, le lecteur doit se forger son propre avisd'après les déductions qu'il fait de son comportement et de ses pensées.

C'est un personnage qui a fait la guerre, qui s'est évadé dans la poésie, qui a rencontré unecertaine Bérénice qui ne lui a pas plu, et qui semble avoir des préjugés sur l'Orient.

Aucune information n'est livrée quant à son physique ou sa vie sociale.

L'autrepersonnage mentionné, Bérénice, n'est perçu qu'à travers les yeux d'Aurélien, ce qui empêche le lecteur d'avoir une idée précise de son physique, puisqu'elle estdécrite d'une manière extrêmement subjective, presque sans aucun caractère précis tel que la couleur des cheveux ou la forme du visage.

Sa personnalité n'est toutsimplement pas abordée, Aurélien ne s'y intéressant pas.

Pour finir, l'intrigue même reste floue.

Il s'agit d'une rencontre relatée entre un homme et une femme qui s'estplutôt mal déroulée, mais plusieurs indices font penser au lecteur qu'une histoire d'amour va voir le jour entre les deux personnages présentés, histoire d'amour qui vaêtre perçue du point de vue d'Aurélien, comme le laisse supposer le titre éponyme. En somme, la fonction informative instaure volontairement une atmosphère de doutes alors qu'elle devrait au contraire éclairer le lecteur sur le cadre spatio-temporel,les personnages et l'intrigue.

Ce peu d'informations contribue en fait à la mise en attente, et le lecteur se pose des questions : qui est Bérénice ? Aurélien va-t-ilfinalement tomber amoureux d'elle, puisque l'auteur en parle dès les premières pages ? Comment ? Et elle, va-t-elle l'aimer ? Aurélien va-t-il trouver pourquoi le versde Racine l'obsède à ce point ? Il sait qu'il va devoir lire la suite pour y répondre ; tel est le but de la fonction émotive de l'incipit.

Aragon donne juste assezd'information au lecteur pour qu'il se pose les bonnes questions.

L'originalité de ce début de roman contribue aussi à la curiosité du lecteur.

En effet, il s'agitapparemment plus d'une histoire de haine que d'une histoire d'amour ; mais l'auteur, par plusieurs procédés, fait comprendre au lecteur qu'une histoire d'amour vafinalement se dérouler entre Aurélien et Bérénice.

Cependant, le lecteur remarque aussi que les préjugés et les rêves qu'Aurélien s'est créé pour échapper à la réalitéde la guerre, notamment sur le prénom « Bérénice » et sur l'Orient, vont poser problème à leur relation.

Aurélien ne va pas être capable de voir la vraie Bérénice,mais va vouloir croire en elle la princesse d'Orient.

La narration, quant à elle, fait également partie de l'originalité de l'incipit d' Aurélien , et suscite l'intérêt du lecteur. En effet, le point de vue interne du personnage et le discours indirect-libre ont pour avantage de nous livrer ses pensées, ses réflexions, son humour cynique et sonvocabulaire tranchant.

En revanche, le lecteur assiste aux évènements en même temps qu'Aurélien, et les perçoit à travers ses yeux : il sait qu'il n'en saura pas plusque lui sur les éléments extérieurs, comme les sentiments de Bérénice, par exemple.

Cet effet de style produit une mise en attente pour le lecteur qui voudraitconnaître l'ensemble de l'histoire et des pensées des personnages.

Mais ce n'est pas la seule originalité de la narration.

Certes, le point de vue est toujours interne, maistantôt le narrateur parle à la troisième personne « La première fois qu'Aurélien vit Bérénice » (l.1), tantôt il se confond complètement avec le personnage et utilise lapremière personne du singulier : « plutôt petite, pâle je crois… » (l.16), puis il entame un monologue : « Brune alors, la Bérénice de la tragédie.

[…] Césarée…unbeau nom pour une ville.

Ou pour une femme.

» (l.33 à 38).

De plus Aurélien semble avoir des pensées qui l'assaillent soudainement et passe d'un sujet à l'autre :d'abord la description de la rencontre avec Bérénice, puis l'impression qu'elle lui a laissé, ensuite, le vers, et enfin, une description brève du personnage Raciniensuivie de son avis sur le nom « Césarée ».

Plus on avance, plus les parties dédiées à chaque sujet sont courtes, plus le narrateur change rapidement d'idée, de pensée.Tout cela laisse le lecteur perplexe ; il a donc du mal à comprendre toutes ces informations et le rapport qu'elles entretiennent.

Aragon l'encourage ainsi à lire la suitepour comprendre ce passage et les mystères qu'il soulève.

La fonction émotive de l'incipit prime sur la fonction informative, et les deux se confondent pour attirer lelecteur vers les pages suivantes du roman. L'incipit d' Aurélien tient donc son originalité de plusieurs éléments.

L'intrigue tout d'abord, peu commune, qui est une rencontre où deux personnages auraient dû s'éprendre l'un de l'autre, et où le contraire s'est produit.

Ensuite, l'ambiguïté du personnage d'Aurélien, qui semble se mentir à lui-même sur plusieurs points, oblige lelecteur à faire la part des choses entre le réel et l'imaginaire à sa place, le point de vue étant interne.

Enfin, Aragon choisit d'entremêler les fonctions traditionnelles del'incipit pour créer une mise en attente particulière où le lecteur s'interroge sur tous les fronts.

On note plusieurs éléments appartenant au réalisme dans l'œuvred'Aragon, qui ne cache pas son engagement.

On peut ainsi dire qu'il appartient au cercle des écrivains réalistes engagés, auquel Sartre appartient également, ainsi qued'autres auteurs souhaitant témoigner de leur temps.. »

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