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Commentaire de texte sur un extrait du chapitre 3 du livre III des Misérables, de Victor Hugo : Le jardin de la rue Plumet. Il s'agira de voir quelle signification revêt ce jardin dans l'économie du roman et dans l'esthétique romanesque hugolienne.

Publié le 17/01/2022

Extrait du document

Le jardin de la rue Plumet : un jardin abandonné, refuge idéal pour Jean Valjean et Cosette.
 Ce jardin ainsi livré à lui-même depuis plus d\'un demi-siècle était devenu extraordinaire et charmant. Les passants d\'il y a quarante ans s\'arrêtaient dans cette rue pour le contempler, sans se douter des secrets qu\'il dérobait derrière ses épaisseurs fraîches et vertes. Plus d\'un songeur à cette époque a laissé bien des fois ses yeux et sa pensée pénétrer indiscrètement à travers les barreaux de l\'antique grille cadenassée, tordue, branlante, scellée à deux piliers verdis et moussus, bizarrement couronnée d\'un fronton d\'arabesques indéchiffrables.
 Il y avait un banc de pierre dans un coin, une ou deux statues moisies, quelques treillages décloués par le temps pourrissant sur le mur; du reste plus d\'allées ni de gazon ; du chiendent partout. Le jardinage était parti, et la nature était revenue. Les mauvaises herbes abondaient, aventure admirable pour un pauvre coin de terre. La fête des giroflées y était splendide. Rien dans ce jardin ne contrariait l\'effort sacré des choses vers la vie ; la croissance vénérable était là chez elle. Les arbres s\'étaient baissés vers les ronces, les ronces étaient montées vers les arbres, la plante avait grimpé, la branche avait fléchi, ce qui rampe sur la terre avait été trouver ce qui s\'épanouit dans l\'air, ce qui flotte au vent s\'était penché vers ce qui se traîne dans la mousse ; troncs, rameaux, feuilles, fibres, touffes, vrilles, sarments, épines, s\'étaient mêlés, traversés, mariés, confondus ; la végétation, dans un embrassement étroit et profond, avait célébré et accompli là, sous l\'oeil satisfait du créateur, en cet enclos de trois cents pieds carrés, le saint mystère de sa fraternité, symbole de la fraternité humaine. Ce jardin n\'était plus un jardin, c\'était une broussaille colossale, c\'est-à-dire quelque chose qui est impénétrable comme une forêt, peuplé comme une ville, frissonnant comme un nid, sombre comme une cathédrale, odorant comme un bouquet, solitaire comme une tombe, vivant comme une foule.

« B/ La solitude et l'abandon* L'absence de l'homme est frappant dans la description.

Toute trace de l'homme est également bannie : les statuessont « moisies », les treillages « décloués », « du reste plus d'allées ni de gazon ».

Une phrase résume cettedésertion : « Le jardinage était parti, et la nature était revenue ».

C'est ici un hymne à la nature sauvage paropposition à la nature civilisée (jardin à la françaises) qui est développé à travers la description.* Une opposition parcourt le texte entre la présentation chétive et malingre du lieu d'une part, et la richesse decelui-ci d'autre part.

Ce « pauvre coin de terre » devient à la fin du texte une « broussaille colossale »,retournement de situation illustrant l'hymne à la vie chanté par le narrateur dans cette description.

Pareillement, ladésertion de l'homme se trouve contrebalancée finalement par l'expression « peuplé comme une ville » qui ouvre uneperspective inverse. C/ L'exubérance du lieu : les « arabesques indéchiffrables »* Le procédé cumulatif est une des forces types de la description.

Il permet d'offrir dans le texte même une imaged'un lieu à travers la multiplicité des éléments qui le composent.

Ainsi l'accumulation, comme figure de style, estomniprésente dans ce passage des Misérables où Hugo transcrit l'abondance et l'exubérance de la nature dans lejardin de la rue Plumet.

Les lignes 15 et 16 en offrent un exemple tout à fait parlant (« troncs, rameaux, feuilles,fibres, touffes, vrilles, sarments, épines, s'étaient mêlés, traversés, mariés, confondus ») : huit substantifs sontjuxtaposés, et ensuite quatre participes passés qui caractérisent les huit noms.

Le rythme scandé de cette phrasedonne au lecteur une image du foisonnement du lieu.* Le procédé cumulatif est donc une image syntaxique du fouillis, son caractère luxuriant et foisonnant : le regardne sait où se poser et c'est ce que le texte retranscrit à travers les multiples accumulations.* Cette explosion des éléments du lieu signifie un retour à la vie de la nature, et l'on note cela à travers lesprocédés de parallélisme abondants dans le texte.

Les lignes 12/13 (« Les arbres s'étaient baissés vers les ronces,les ronces étaient montées vers les arbres ») en sont une illustration intéressante : nous avons ici à la fois unparallélisme narratif (entre les arbres et les ronces) et un parallélisme syntaxique (avec un chiasme parfait entrearbres / ronces // ronces / arbres où les deux formes verbales « s'étaient baissés » et « étaient montées »s'opposent).

Parallélisme, chiasme, opposition sont d'autres figures de style pour traduire la richesse de ce lieu.

Lechiasme, en outre, par le rapprochement entre arbres et ronces est une image syntaxique de « la fraternité humaine» de la fin de l'extrait. II Le renouveau de la nature : une esthétique romantique A/ Un « symbole de la fraternité humaine »* ces parallélismes sont en effet un « symbole de la fraternité humaine » en ce qu'ils font entrer en contact deséléments qui d'ordinaire, dans un jardin « classique », vivent plus ou moins séparément.

Ainsi, comme on l'a vu, lesarbres et les ronces.

On note également ensuite que « la plante avait grimpé, la branche avait fléchi, ce qui rampesur la terre avait été trouvé ce qui s'épanouit dans l'air, ce qui flotte au vent s'était penché vers ce qui se traînedans la mousse ».

S'opère en quelque sorte une symbiose entre tous ces éléments disjoints qui en viennent à formerun tout, et en fin de compte autre chose qu'un jardin.

C'est ainsi ce qui apparaît à la fin de l'extrait lorsque lenarrateur écrit « Ce jardin n'était plus un jardin, c'était...* le lexique mélioratif offre une illustration de cette « fraternité humaine » : les termes sont nombreux «extraordinaire », « charmant », « admirable », « splendide », « vénérable »...).

Tous ces termes élogieux traduisentla fraternité qui est également un sentiment noble et élevé.* Cette « fraternité humaine » qui apparaît dans le jardin s'inscrit dans une esthétique romantique.

La célébration dela nature est une des caractéristiques du courant romantique « cf.

notamment Chateaubriand ou « Le Lac » deLamartine) ; elle y apparaît en majesté, heureuse, et se pose en opposition avec la civilisation et la vielle quiapparaissent comme des espaces corrompus.

Si le jardin redevenu sauvage peut consacrer le renouveau de lafraternité humaine, c'et que le monde occidental du XIX est celui des guerres et des Révolutions.

La nature est ainsiexcellence le lieu, pour les romantiques, du retour de la « fraternité humaine ». B/ Une célébration divine : vision panthéiste de la nature* ce renouveau de la nature s'inscrit par ailleurs dans une orientation religieuse qui acquiert un statut particulierdans l'écriture hugolienne.

« L'oeil satisfait du créateur » ce n'est pas tant l'oeil de Dieu, au sens du Dieu chrétien,que celui d'une divinité bénéfique, mais également du romancier (créateur du texte).* On trouve néanmoins des références discrètes au caractère religieux de ce lieu (« effort sacré », « l'oeil satisfaitdu créateur », « saint mystère », « sombre comme une cathédrale »).

La comparaison avec la cathédrale de la finde l'extrait permet de caractériser et de préciser cette intrusion du religieux dans le texte.

Le religieux est en effetplus senti comme une atmosphère que comme une référence directe à une religion : le lieu est sombre, silencieux,coupé du monde, et en cela il renvoie à une sorte d'Eden ou de paradis terrestre.* La dimension où le religieux semble le plus à même d'expliquer ce lieu apparaît en fait dans les premières lignes dupassage : les « secrets » et le « fronton d'arabesques indéchiffrables » scellent d'entrée le caractère presquemystique et kabbalistique de ce lieu qui s'offre au déchiffrement du passant et du lecteur.

Cet endroit reste unmystère, un peu comme les Saintes Ecritures.

C'est au lecteur à décrypter la vérité du lieu.La dimension religieuse du texte apparaît donc à travers deux aspects : la célébration divine du jardin par une visionpanthéiste de la nature ; le mystère qui embaume ce lieu et qui constitue comme un appel à l'exégèse (on appel «exégèse » le commentaire des textes religieux).. »

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