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Commentaire littéraire: Marguerite DURAS, Un barrage contre le Pacifique

Publié le 17/01/2022

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Extrait étudié : Marguerite DURAS, Un barrage contre le Pacifique Le piano commença à jouer. La lumière s'éteignit. Suzanne se sentit désormais invisible, invincible et se mit à pleurer de bonheur. C'était l'oasis, la salle noire de l'après-midi, la nuit des solitaires, la nuit artificielle et démocratique, la grande nuit égalitaire du cinéma, plus vraie que la vraie nuit, plus ravissante, plus consolante que toutes les vraies nuits, la nuit choisie, ouverte à tous, offerte à tous, plus généreuse, plus dispensatrice de bienfaits que toutes les institutions de charité et que toutes les églises, la nuit où se consolent toutes les hontes, où vont se perdre tous les désespoirs, et où se lave toute la jeunesse de l'affreuse crasse d'adolescence. C'est une femme jeune et belle. Elle est en costume de cour. On ne saurait lui en imaginer un autre, on ne saurait rien lui imaginer d'autre que ce qu'elle a déjà, que ce qu'on voit. Les hommes se perdent pour elle, ils tombent sur son sillage comme des quilles et elle avance au milieu de ses victimes, lesquelles lui matérialisent son sillage, au premier plan, tandis qu'elle est déjà loin, libre comme un navire, et de plus en plus indifférente, et toujours plus accablée par l'appareil immaculé de sa beauté. Et voilà qu'un jour de l'amertume lui vient de n'aimer personne. Elle a naturellement beaucoup d'argent. Elle voyage. C'est au carnaval de Venise que l'amour l'attend. Il est très beau l'autre. Il a des yeux sombres, des cheveux noirs, une perruque blonde, il est très noble. Avant même qu'ils se soient fait quoi que ce soit on sait que ça y est, c'est lui. C'est ça qui est formidable, on le sait avant elle, on a envie de la prévenir. Il arrive tel l'orage et tout le ciel s'assombrit. Après bien des retards, entre deux colonnes de marbre, leurs ombres reflétées par le canal qu'il faut, à la lueur d'une lanterne qui a, évidemment, d'éclairer ces choses-la, une certaine habitude, ils s'enlacent. Il dit je vous aime. Elle dit je vous aime moi aussi. Le ciel sombre de l'attente s'éclaire d'un coup. Foudre d'un tel baiser. Gigantesque communion de la salle et de l'écran. On voudrait bien être à leur place. Ah ! comme on le voudrait.

1. Le rôle du discours indirect : l'ironie du texte tient surtout au discours au second degré que tient le narrateur, en utilisant le pronom indéfini « on « qu'accompagne le conditionnel : « on ne saurait « (l. 13) ; « on voudrait bien être à leur place. Ah! comme on le voudrait « (l. 33-34) avec la répétition qui marque un soupir de regret.

- Ailleurs, le pronom indéfini incarne spécifiquement Suzanne: « on sait que ça y est « (l. 25). Le style familier est la transposition de l'impression de l'adolescente.

 

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« 1.

L'obscurité de la salle : le premier paragraphe met l'accent sur la « nuit » (terme repris huit fois).

La mention del'obscurité vient ensuite (l.

1), juste après que le piano s'est mis à jouer : c'est une condition essentielle du cinéma.

Or, nous sommes en plein jour, un « après-midi » (l.

3).

La lumière va donc venir du film lui-même. Un film en noir et blanc : le film est bien sûr en noir et blanc et le cinéma muet travaillait sur les contrastes.

Letexte cherche à rendre ces contrastes dans une alternance systématique entre le sombre et le clair. Ex.

: l'homme « a des yeux sombres, des cheveux noirs » mais aussi « une perruque blonde » (l.

23) qui apparaît en blanc sur la pellicule.

De même, « le ciel s'assombrit » au-dessus de « deux colonnes de marbre » (l.

27-28) et les « ombres » des personnages sont sous la lumière d'une « lanterne » qui a pour fonction de les« éclairer » (l.

29).

Enfin, « le ciel sombre de l'attente s'éclaire » (l.

31-32). - La mention du carnaval de Venise conforte aussi l'alternance du noir et du blanc, car, traditionnellement, lesmasques du carnaval sont blancs et ils apparaissent sous un voile de soie noire. 2. Les ombres et les lumières psychologiques : les jeux de lumière ont une signification symbolique (qui seraexploitée en particulier dans l'expressionnisme allemand des années trente).

Ainsi, le cadre atmosphériquedépend des états psychologiques des personnages. 3. Ex.

: «Il arrive tel l'orage et tout le ciel s'assombrit » (l.

26-27) ; au moment du baiser, le ciel est zébré d'éclairs : « s'éclaire d'un coup.

Foudre d'un tel baiser » (l.

32). Transition: Cette banale séance de cinéma est vue à la fois par le personnage de Suzanne qui perçoit le film au premier degré, et par la narratrice qui y décèle un ensemble de lieux communs La dimension conventionnelle estl'occasion pour Marguerite Duras de souligner le caractère artificiel de ce cinéma ainsi que la faiblesse de sonpersonnage. II.

Un traitement parodique et ironique A.

Un code romanesque 1.

Les lieux : la parodie des films sentimentaux de l'époque est manifeste dans le choix de Venise, lieu conventionnelde la passion (que l'on pense aux amours de George Sand et d'Alfred de Musset, ou au film de Joseph Losey surl'opéra de Mozart, Dom Juan).

De Venise d'ailleurs, nous n'avons que des caractéristiques traditionnelles : un « canal » (l.

28) et les « colonnes de marbre » (l.

28). L'image du couple : - La femme n'est pas décrite, mais est «jeune et belle » (l.

12) ainsi que riche.

« Les hommes se perdent pourelle » (l.

14-15), devenus des objets ridicules, des « quilles », au milieu desquels elle passe « indifférente » (l. 18). - L'homme dont elle sera amoureuse est lui aussi « beau » ; il est aussi « noble » (l.

24), ce qui reste vague etbanal. - Les pronoms personnels, masculin (« il ») ou féminin (« elle »), suffisent à définir ces êtres qui incarnentl'essence même de l'homme et de la femme. 2. Le tableau de l'amour : nous avons deux épisodes qui sont des poncifs du romanesque, la rencontre et lebaiser. 3. - La rencontre est due au hasard mais elle est nécessaire : « Avant même qu'ils se soient fait quoi que ce soit, onsait que ça y est » (l.

24-25).

Les deux êtres sont faits l'un pour l'autre et le baiser scelle leur union. - La syntaxe parodie la nature de cet instant sublime en prenant au pied de la lettre l'expression « coup de foudre »: « s'éclaire d'un coup.

Foudre d'un tel baiser » (l.

32). B.

Un personnage sans esprit critique La fascination : le caractère impersonnel du personnage du film permet à Suzanne de s'identifier à la femme,«jeune et belle » comme le serait Suzanne une fois débarrassée de « l'affreuse crasse d'adolescence » (l.

11). - La fin du texte met en évidence l'identification collective : « Gigantesque communion de la salle et de l'écran» (l.

32-33). - Le manque de recul de Suzanne est tel qu'elle se contente de voir, sans réfléchir : « on ne saurait rien lui imaginer d'autre que [...] ce qu'on voit » (l.

13-14). 1. Une jeune fille sentimentale : le seul son du piano fait pleurer Suzanne.

Elle n'est intéressée que par lessentiments des personnages : amour, mais aussi « indifférence », « amertume ».2. - C'est une adolescente typique, en mal de reconnaissance sentimentale, qui vient d'entrer au cinéma pour. »

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