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Daniel BOULANGER - « En été », Les Noces du Merle.

Publié le 17/01/2022

Extrait du document

[Après avoir mené une vie aventureuse jusqu'en 1958, Boulanger se consacra à la rédaction de scénarios de films et de nouvelles qui lui valurent plusieurs prix. Dans ses nouvelles, les personnages ont souvent plus de cinquante ans, ils vivent en province d'une façon banale, un peu vieillotte, sans révolte. L'art de Boulanger est de savoir en peu de pages, par tel geste, quelques mots, les individualiser, leur enlever tout caractère stéréotypé, conventionnel. Parmi ses oeuvres : les Noces du Merle, Vessies et Lanternes, Fouette cocher ! Il est l'auteur, entre autres, des scénarios de l'Homme de Rio et d'A bout de souffle.] Dans le jardin au milieu des champs et sous le saule au milieu du jardin, les enfants se sont réfugiés. Ils parlent à voix basse. Leur rire parfois s'égare en papillon jusqu'au soleil. La mère est à l'ombre de la grange. Le père, de vague en vague, s'enfonce dans le sommeil, retrouvant dans la chambre qui tangue avec douceur tout un lot de couleurs qui s'enfuient par la porte et brûlent sur les pierres. Avant le repas de midi, manège autour de la carafe d'eau, les enfants sont rentrés chargés de fleurs. L'oie les suivait, qui s'appelle Séraphine, sous l'oeil en coin du chien qui veille près de la table, au frais des carreaux rouges. Il n'y a personne au-delà de ce monde, mais dans le globe de la lumière où les arbres ont la pâleur d'un bouquet de mariée un bonheur encore se prépare d'où naîtra le vent. On le sent déjà qui nous désire. L'unique oiseau qui se tenait immobile en plein ciel tombe au ras des chaumes. Il n'y a plus à vivre que l'instant. Au retour de la fraîcheur, les yeux se regardent et se découvrent. La maison sent le pain. Le père, avant la nuit, dira l'histoire qu'on lui réclame, un conte qui ressemble à ce jour hors du temps, sans héros et sans gestes, qui s'ouvre et se ferme avec la délicatesse d'une fleur. Après, nous irons regarder les astres qu'une fois encore les enfants se mettront à compter. Dans le jardin au milieu des champs et sous le saule au milieu du jardin, les enfants se sont réfugiés. Ils parlent à voix basse. Leur rire parfois s'égare en papillon jusqu'au soleil. La mère est à l'ombre de la grange. Le père, de vague en vague, s'enfonce dans le sommeil, retrouvant dans la chambre qui tangue avec douceur tout un lot de couleurs qui s'enfuient par la porte et brûlent sur les pierres. Avant le repas de midi, manège autour de la carafe d'eau, les enfants sont rentrés chargés de fleurs. L'oie les suivait, qui s'appelle Séraphine, sous l'oeil en coin du chien qui veille près de la table, au frais des carreaux rouges. Il n'y a personne au-delà de ce monde, mais dans le globe de la lumière où les arbres ont la pâleur d'un bouquet de mariée un bonheur encore se prépare d'où naîtra le vent. On le sent déjà qui nous désire. L'unique oiseau qui se tenait immobile en plein ciel tombe au ras des chaumes. Il n'y a plus à vivre que l'instant. Au retour de la fraîcheur, les yeux se regardent et se découvrent. La maison sent le pain. Le père, avant la nuit, dira l'histoire qu'on lui réclame, un conte qui ressemble à ce jour hors du temps, sans héros et sans gestes, qui s'ouvre et se ferme avec la délicatesse d'une fleur. Après, nous irons regarder les astres qu'une fois encore les enfants se mettront à compter.

« correspondance harmonieuse réapparaît dans la mention du désir du vent (ou du bonheur, car le réfèrent du pronompersonnel « le » est ambigu) : « un bonheur encore se prépare d'où naîtra le vent.

On le sent déjà qui nous désire »(l.

12-13).Ce désir, cette affection qui baigne la nouvelle, sert l'idée qu'il faut profiter de la vie sans raisonner.

Ainsi lesphrases souvent courtes sont des invites à goûter l'existence et le texte ne comporte aucune longue périodeoratoire qui nous y ferait réfléchir : « Il n'y a plus à vivre que l'instant » (l.

14).C'est la sensualité, paisible, qui commande l'atmosphère de ce texte.

Les sensations tactiles de bien-être, enparticulier, sont goûtées par hommes et bêtes : les humains recherchent la fraîcheur de l'ombre et des piècescloses, le chien trompe la chaleur, allongé sur le carrelage.

La venue prochaine de la brise, vers le soir, est unélément supplémentaire de plaisir.

D'autres sensations délicieuses font l'objet de mentions discrètes : c'est ainsi que« la maison sent le pain » (l.

16-17) et que le complément « avant le repas de midi » (l.

6) laisse attendre quelquefumet.

La grange (l.

3) suggère l'odeur des foins coupés, comme les fleurs rapportées (l.

8) brassent leurs parfums. Parallèlement à la description d'une réalité bien concrète, le texte nous convie à une rêverie qui ouvre et ferme lanouvelle.

En effet, le père, pris par un sommeil léger, flotte dans une certaine irréalité, « de vague en vague,s'enfonce dans le sommeil, retrouvant dans la chambre qui tangue tout un lot de couleurs » (l.

4-5).

La massecroissante des différents groupes qui composent cette phrase nous fait vivre les étapes de cette déréalisation.

À lafin du texte, grâce au père encore, la réalité cède le pas au conte pour enfants : « le père (...) dira l'histoire qu'onlui réclame, un conte qui ressemble à ce jour » (l.16-17).

Si le détail du conte ne nous est pas donné, Boulangerprend en revanche la peine de nous signaler sa ressemblance avec ce jour d'été « sans héros et sans gestes » (l.17).

La nouvelle « En été » est donc ce conte merveilleux ; la réalité s'est faite féerie.Le passage a été permis par l'image de la spirale qui parcourt le texte en s'élargissant.

Le point de vue, qui estd'abord celui des personnages présentés dans les premières phrases (enfants, mère et père), devient peu à peuimpersonnel pour s'attacher à un « nous » qui fait du narrateur partie prenante de l'évocation et avec lui, le lecteur.Nous aussi, dans le dernier moment de cette journée nous regardons les astres.

D'autre part, nous constatons unrétrécissement suivi d'un élargissement, comme si la nouvelle dessinait un sablier : l'on passe des champs à la tablepar les intermédiaires du jardin, de la grange et de la chambre ; puis du globe, nous allons, par la maison, jusqu'auciel étoile.

Le passage d'un microcosme ou macrocosme emprunte les voies du regard : « les yeux se regardent » (l.15) puis tous vont « regarder les astres » (l.

18-19).

L'emploi du même verbe souligne l'évolution en spirale.À cet élargissement de l'espace correspond un épanchement infini du temps.

La métamorphose des fleurs exprime lafragilité de l'instant mais en même temps la floraison éternelle des sensations : les fleurs des enfants deviennent «bouquet de mariée » (l.

11) du sein duquel « naîtra le vent » (l.

12).

Ce bouquet d'épousailles est donc promessed'une vie à venir, dans un cycle éternel qui affecte également le jour.

Celui-ci « s'ouvre et se ferme avec ladélicatesse d'une fleur » (l.

18).

Il est à constater ici que le texte se déploie essentiellement au présent, dans ceprésent qui suggère la force de chaque instant, mais aussi la valeur éternelle des choses.

Les futurs, à la fin dutexte, marquent la répétition certaine de ce rite des enfants : « Les astres qu'une fois encore les enfants semettront à compter » (l.

19-20).

L'expression « une fois encore » place ce jour dans la continuité des autres, sousle regard de l'éternité que soulignent les étoiles dans leur multitude.

La nouvelle est d'ailleurs explicitementprésentée par son auteur comme « hors du temps » (l.

17).Boulanger se pose ainsi comme disciple moderne de l'épicurisme, reprenant sous une forme très personnelle le carpediem (« cueille le jour ») d'Horace.

Ce jour d'été, suspendu entre terre et rêve, fait goûter au lecteur le plaisirgourmand de l'instant.

Ce sont les sensations qui nous guident et nous font dépasser le cadre étroit de cette réalitéestivale.

La fin du recueil est donc aussi une ouverture sur le bonheur.. »

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