Défense de la poésie
Publié le 23/11/2014
Extrait du document
«
accès courant à la culture.
On m'objectera que les libraires continuent à vendre des livres de poésie.
La
collection « Poésie/Gallimard », par exemple, est riche de dizaines de titres et met à la disposition de tous, pour
un prix modique, toute la poésie patrimoniale, de Maurice Scève à Saint-John Perse, ou peu s'en faut.
Vous aurez déjà noté que j'ai choisi comme représentant de la poésie contemporaine un auteur qui a cessé de
publier à peu près au milieu du siècle dernier.
N'y a-t-il donc pas des poètes plus représentatifs des manières
de ressentir actuelles ? Jacques Roubaud, Yves Bonnefoy : voici des poètes encore vivants et dont les oeuvres
sont publiées dans la collection que je viens de citer.
Mais qui les connaît ? Qui est imprégné de leur univers et
de leur pensée ? Qui pourrait citer de mémoire leurs vers ? Un sur dix mille ? Moins encore ? Et à côté des
deux poètes que je viens de nommer, combien d'autres publient et écrivent dans l'indifférence presque
générale.
Tout le drame de la poésie est là.
Je vous rassurerai néanmoins : la poésie ne peut disparaître.
Si elle
disparaissait, l'homme aussi aurait cessé d'être.
Constamment, on la réinvente et elle demeure cette part en
chacun de nous, qui s'attendrit, qui frémit, s'indigne, s'enthousiasme, se révolte ou s'élève.
Je viens de dire
s'élève et aussitôt me reviennent à l'esprit les vers d'Élévation :
Et comme un bon nageur qui se pâme dans l'onde,
Tu sillonnes gaiement l'immensité profonde
Avec une indicible et mâle volupté.
Il y a mille genres de poésies ! Cet art du « faire », autrement dit de la création pure, selon son étymologie, est
non seulement phénix mais aussi Protée.
Chacun se crée la forme de poésie qui lui convient, à partir des
auteurs qu'il aime et dont il apprend les vers.
Oui, il se les récite par coeur, parce que cette remémoration est
suscitée par des circonstances qui sont
Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité.
Charles BAUDELAIRE, Les Fleurs du mal.
C'est alors que l'on se sent gonflé d'une force nouvelle.
Notre moi modeste se trouve renforcé du moi immense.
»
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