Écritures naturalistes

« E X P 0 S É S F C H E S ~ Il -L'ÉCRITURE ARTISTE Une écriture esthétisante À !'inverse de cette tendance populiste, une tendance esthétisante travaille l'écriture naturaliste.

Les Goncourt cherchaient« l'image peinte», les mots et les épithètes rares, voire les néologismes; Zola aussi quelquefois: les« nez d'ivro­ gnesses», les« faces égueulées comme des pots cassés» (Le Ventre de Paris) sont typiques des préciosités du style artiste.

Zola emploie encore le pluriel de noms abstraits à la place de l'adjectif: ce sont« des nudités de femelles» qu'aperçoit Négrel dans Germinal et non pas des« femelles nues» ...

Zola rêve néanmoins de « porter la hache » dans «ce style si capricieusement ouvragé » ; de même, Maupassant, qui multiplie oxymores* et paradoxes, parlant par exemple d'un amour de « printemps fané », de « bourgeons avortés » de « grâces vieillies sans avoir été jeunes », refusera dans Le Roman le « vocabulaire bizarre, compliqué, nombreux et chinois» du style artiste.

La phrase impressionniste L'un et l'autre ont pourtant trouvé l'équivalent linguistique de la touche impres­ sionniste.

Pour rendre la sensation dans son immédiateté, ils inversent la polarité habituelle du nom et du verbe.

C'est désormais le nom qui est chargé de dire le sens tandis que le groupe verbal, embrayeur neutre, perd son rôle souverain : « Il y avait là une file de palatines, un étalage de grands tabliers blancs, arrondissant des ventres, des gorges, des épaules énormes» (Le Ventre de Paris).

On est ici au plus près de la chose vue, dans le désordre de la perception qui saisit, au hasard d'une foule, quelques fragments de réalité : la juxtaposition, la métonymie produisent dans l'écriture les découpages insolites de la peinture impressionniste.

La parataxe* sert aussi à exprimer l'émotion.

L'exaspération de Duroy devant une vieille maîtresse devient sensible par l'accumulation des groupes nominaux : «ça avait été[ ...

] une étrange éclosion d'amour de fillette, d'amour tardif ardent et naïf, fait d'élans imprévus, de petits cris de seize ans, de cajoleries embarras­ santes» ...

Un pointillisme syntaxique La phrase impressionniste se caractérise enfin par un éclatement de la conti­ nuité syntaxique en un pointillisme qui défait toutes les solidarités habituelles de la grammaire.

Sujet, complément d'objet, attribut, sont séparés du verbe, souvent re­ jeté en fin de phrase: «Elle, rongeant sa douleur, s'efforçait d'avoir un visage in­ différent » ou bien : « Au milieu des cris, des coups cadencés, du bruit murmurant de pluie, de cette clameur d'orage[ ...

] la machine[ ...

] haletait» (L'Assommoir).

La virgule, qui insiste sur ces séparations, donne à la phrase le rythme haché très proche de la peinture par petites touches, par virgules de couleurs juxtaposées, que pratiquaient les amis peintres de Zola et de Maupassant.

Conclusion : Sans tomber dans les excès de préciosité du style artiste, Zola et Maupassant ont su insuffler une couleur et un rythme poétiques à la prose naturaliste.. »