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« Electre » est-elle une « tragédie bourgeoise » ?

Publié le 06/01/2020

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Les anachronismes1 participent du même souci de banaliser l'existence. Les bienséances classiques proscrivaient toute allu- ' sion aux détails de la vie quotidienne, dont l'évocation était jugée incompatible avec la dignité des personnages de la tragédie.

 

Jean Giraudoux multiplie au contraire ces détails, au point que le spectateur peut se croire dans quelque maison « bourgeoise ». Le couple des Théocathoclès a pour voisins de palier un « médecin » et un « vétérinaire » (II, 2, p. 77 et 78). Le mari mange de la « laitue cuite », boit le « café » que lui prépare sa femme, fume le « cigare », porte une « petite queue de linge », qui désigne la patte du bas de son plastron ; et il fait cirer ses chaussures (II, 6, p. 96 et 97).

 

Le soir, la reine Clytemnestre se contemple « longuement » « devant son miroir » (I, 8, p. 58) ; et la première chose que fit Agamemnon, à son retour triomphal de la guerre de Troie, fut... d'aller prendre un bain et de glisser sur les marches « savonnées » de sa piscine (II, 9, p. 125) ! La volonté de Jean Giraudoux de rendre ses personnages ordinaires est évidente. Pour mieux s'en apercevoir, il suffit de se souvenir de la conception que se faisait, par exemple, Racine des héros de tragédie : ils doivent, écrivait-il dans la seconde préface de Bajazet, « être regardés d'un autre œil que nous ne regardons d'ordinaire » nos proches. Les anachronismes dont Jean Giraudoux parsème sa pièce ne concourent pas à créer cette atmosphère de majesté.

« --·UNE VOLONTÉ DE RENDRE LA TRAGÉDIE PLUS ORDINAIRE « Bourgeoise», la tragédie d' Électre l'est par la banalité du lieu scénique et de l'existence quotidienne décrite dans la pièce.

Un lieu quelconque Le « lieu » de la tragédie classique était toujours un lieu pres­ tigieux, souvent redoutable : un palais imposant, un camp mili­ taire, un temple célèbre, parfois une prison 1• Jean Giraudoux, au contraire, banalise le lieu tragique.

Argos, où l'action se déroule, apparaît comme un gros bourg de campagne, avec « ses tours, ses ponts, les fumées qui [mon­ tent] des silos des maraîchers, première haleine de sa terre, et le pigeon qui s'[élève].

son premier geste, et le grincement de ses écluses, son premier cri» (Il, 7, p.

105).

Égisthe est heureux de régner sur cette patrie exiguë, avec sa « place aux bestiaux» et ses cultures de « pruneaux» (p.

106).

Pour un peu, le spec­ tateur se croirait dans le Limousin natal de Jean Giraudoux.

La banalité du lieu se trouve renforcée par la mise à distance des grands endroits tragiques où les prédécesseurs lointains ou immédiats de Jean Giraudoux situaient l'action de leurs pièces.

Égisthe se félicite en effet qu'Argos ne ressemble pas à Athènes, à Olympie, à Mycènes ou à une importante ville d'Afrique (Il, 7, p.

105).

Certes l'intrigue d'Électre se développe dans « le palais d'Agamemnon ».

La légende impose cette localisation.

Le roi des rois ne saurait habiter une demeure quelconque.

Mais la des­ cription qu'en fait le jardinier enlève au palais son prestige et sa somptuosité architecturale.

L' « aile droite » est construite en « pierres gauloises » et le « corps de gauche » en marbre (1, 1, p.

12).

lmagine-t-on le château de Versailles, d'où régnait Louis XIV, édifié de la sorte? 1.

Chez Racine par exemple, Iphigénie (1674) se déroule dans le camp des Grecs; Athalie (1691).

dans le grand temple de Jérusalem.

Dans de très nombreuses pièces, certains personnages vivent au palais comme dans une résidence surveillée.. »

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