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ÉLUARD Paul : sa vie et son oeuvre

Publié le 06/12/2018

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ÉLUARD Paul, pseudonyme d’Eugène Émile Paul Grindel (1895-1952). Quarante ans après sa mort, Éluard sort-il du purgatoire? L’exposition « Éluard et ses peintres » qui attira les foules à Beaubourg en 1982 semble le prouver. Au-delà des alliances qui le marquèrent, des longs démêlés entre le surréalisme et le communisme, on écoutera ce que son chant a d’unique, on appréciera cet alliage rare de désespoir narcissique et de générosité unanimiste, d’imprécations sociales et de jubilation nuptiale, de mystique amoureuse et de sensualité brûlante, de romantisme allemand et de clarté française.

 

Les nécessités de la vie

 

Sociologiquement, le surréalisme ne s’est pas recruté chez les « héritiers » mais dans la petite bourgeoisie. Fils unique d’un comptable et d’une couturière, né à Saint-Denis, Eugène Grindel appartient par sa naissance à un milieu suburbain modeste mais nullement prolétarien. S’il grandit entre les usines, les canaux et les jardinets banlieusards, s’il suit, grâce à une bourse, l’enseignement de l’école primaire supérieure (le lycée est, à l’époque, l’apanage de la bourgeoisie cultivée), les échappées dominicales vers le pavillon d’Aulnay-sous-Bois, les vacances en Suisse et en Angleterre témoignent de la réussite financière de M. Grindel, qui s’est installé à Paris et s’est lancé avec succès dans des affaires de lotissement et de revente de terrains.

 

En peu de temps trois expériences décisives vont imprimer leur marque sur la destinée, la sensibilité et l’inspiration de l’adolescent : la maladie, la guerre et l’amour. Une hémoptysie brutale survenue au cours de l’été 1912 interrompt ses études au niveau du brevet et le cloue pour de longs mois dans un sanatorium de Davos, au cœur d’un paysage pur et cristallin qui hantera ses poèmes. Condamné à l’immobilité, le jeune homme cherche refuge dans des lectures éclectiques où il déploie une curiosité d’autodidacte (doublée d’un goût précoce pour la bibliophilie), dans la rêverie et dans ses premières tentatives littéraires. La guerre apporte à Éluard, mobilisé comme infirmier, puis volontaire pour le front, la rencontre avec le peuple des tranchées, le partage des misères et des souffrances, la solidarité, une découverte de l’absurde, découverte soumise d’abord à la volonté divine, mais qui n’attend qu’une étincelle pour se muer en révolte. Les poèmes qu’il polycopie lui-même en 1916 sous le titre le Devoir, qu’il signe Éluard (du nom de sa grand-mère maternelle), et qu’il complète en 1917 dans la plaquette le Devoir et l'inquiétude que publie son ami A.-J. Gonon, évoquent sur un ton simple et grave, dans la lignée de Walt Whitman et de l’unanimisme, la vie quotidienne des fantassins. En juillet 1918, les onze Poèmes pour la paix appellent le bonheur lumineux dont les hommes en guerre sont frustrés. L’amour passionné enfin, qui unit depuis 1912 Éluard à une étudiante russe, pensionnaire comme lui du sanatorium de Clavadel, Helena Dmitrovnie Diakonova, dite Gala, connaît en 1917, après des années de séparation, une conclusion nuptiale qu’Éluard croit définitive. Jeune époux et jeune père, Éluard se trouve, à la démobilisation, présenté par Jean Paulhan à Breton et à Aragon. Il perd à leur fréquentation ce qui lui restait de « provincial », assume sa place dans l’avant-garde parisienne et les saisons dada, se livrant, dans sa revue Proverbe et dans les recueils les Nécessités de la vie (1921), Répétitions (1922), les Malheurs des immortels (1922, en collaboration avec Max Ernst), 752 Proverbes au goût du

 

jour (1925, en collaboration avec Benjamin Péret), à des expériences sur le langage à la fois austères et souriantes, à un marivaudage capricieux et elliptique, aussi éloigné de la pesanteur académique que des boniments ravageurs d’un Tzara. La rencontre de Max Ernst, en 1921, va peser d’un poids considérable dans sa vie sentimentale, infléchir durablement sa conception du monde et donner à sa poésie une profondeur sombre que son élégance gracieuse ne laissait pas prévoir. C’est un coup de foudre à trois, qui amène Ernst à s’installer à Paris dans la société de Paul et de Gala. Comme un frère aîné, à la fois modèle et médiateur, comme Virgile précède Dante, Ernst précède Éluard sur les chemins périlleux de la vision rimbaldienne. Au risque de se perdre, Éluard affronte le vertige du rêve, l’illumination-hallucination où le sujet se désagrège :

 

Au soir de la folie nu et clair

 

L'espace entre les choses a la forme de mes paroles La forme des paroles d'un inconnu

 

En 1924, une grave crise familiale, conjugale et personnelle incite Éluard à briser net une situation dissolvante : il fuit, seul, en Océanie. Il revient six mois plus tard et reprend sa place dans le surréalisme naissant comme si rien ne s’était passé. Capitale de la douleur (1926), les Dessous d'une vie ou la Pyramide humaine (1926), l'Amour la poésie (1929), la Vie immédiate (1932), la Rose publique (1934) et des interventions plus militantes ponctuent la participation d’Éluard à la vie du mouvement, coupée de longs séjours à la montagne ou à la mer, que lui impose la fragilité de sa santé. En 1929, Éluard perd Gala, que lui a ravie Salvador Dali. Après une longue conduite de deuil, il reconstruit avec Nush, qu’il épouse en 1934, une relation amoureuse privilégiée.

 

Depuis 1936, une intimité fraternelle avec Picasso concurrence en lui l’activisme au sein du groupe surréaliste. Le Front populaire et la guerre d’Espagne aggravent les désaccords avec Breton et aboutissent à la rupture de septembre 1938. Les Yeux fertiles (1936), les Mains libres (1937), Cours naturel (1938), Chanson complète et Donner à voir (1939), le Livre ouvert l (1940) illustrent clairement les distances prises à l’égard de l’orthodoxie surréaliste et l’élargissement de sa vision vers un humanisme prométhéen. Éluard chante avec jubilation la solitude vaincue, la médiation féminine, l’élargissement du bonheur à l’échelle d’une communauté fraternelle potentiellement illimitée. Loin d’étouffer cet espoir, l’Occupation et la Résistance l’avivent dans les poèmes de Poésie et vérité 1942 (1942; 2e éd. augmentée, 1943) et du Rendez-vous allemand (1944).

 

L’enthousiasme de la Libération éclaire Poésie ininterrompue I (1946). Mais cette même année, la mort imprévue de Nush foudroie le poète. Désemparé, tenté par le suicide, il s’efforce par tous les moyens de renouer avec la vie. Pour tresser cette corde salutaire, ce n’est pas trop du lien littéraire (anthologie le Meilleur Choix, 1947), du lien humanitaire et politique {Poèmes politiques, 1948; Une leçon de morale, 1949). Pouvoir tout dire et le Phénix (1951) illustrent l’équilibre reconquis auprès de sa nouvelle compagne, Dominique, équilibre que la mort, consécutive à une angine de poitrine, devait brutalement interrompre le 18 novembre 1952.

 

« De l'horizon d'un homme à l'horizon de tous »

 

Cette formule d’Éluard mûrissant résume le sens qu’il assigne à son existence, l’efficacité qu’il prête à la relation amoureuse et à l’activité poétique; elle simplifie et stylise les vicissitudes de la vie et la complexité de l’œuvre; mais elle permet d’unifier les aspects d’un lyrisme qui a toujours condamné le narcissisme de la poésie personnelle. Hugo et Baudelaire ont volontiers fait du poète le spécialiste élu pour exprimer une essence commune (« insensé qui crois que je ne suis pas toi »; « hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère »). Pour Éluard, existentialiste avant la lettre, il n’y a pas d’essence. L’homme existe dans sa parole, et sa parole le transforme. Dépositaire privilégié d’une parole originaire qui était à tous et qui doit revenir à tous, le poète entreprend de restituer à ses semblables, par contagion, le pouvoir moteur et transformateur des mots, confisqué et déformé par le discours dominant : « Parler pour parler est la formule de délivrance ». Ainsi s’acheminera-t-on, prophétise-t-il à la suite de Lautréamont, vers les temps où « la poésie sera faite par tous, non par un », où chacun, s’arrachant au mutisme qui le nie et l’écrase, pourra « donner à voir » ce qui le fait unique.

 

L'Amour et la Révolution

 

Il existe de la poésie d’Éluard deux réductions antagonistes, et, à la vérité, complémentaires. L’une, longtemps encouragée par la vulgate communiste, consiste à survaloriser l’Éluard des dernières années, à en donner l’image hagiographique d’un époux fidèle et d’un militant exemplaire, d’un poète petit-bourgeois peu à peu conquis par la force de la Vérité et qui vient se ranger sur les positions de la classe ouvrière. Dans cette perspective, l’œuvre antérieure, entachée de narcissisme et d’hermétisme décadents, serait une longue préparation à l’ultime épanouissement. A cette schématisation vertueuse s’oppose une autre réduction. Accréditée par l’arrière-garde surréaliste et la critique de droite au temps de la guerre froide, elle dénonce les élans clairs, les proclamations imprudentes et les anathèmes manichéens, regrette la manière subtile et les délicates obscurités de l’avant-guerre; faisant bon marché des certitudes d’Éluard, elle le cantonnerait volontiers dans le registre amoureux d’un nouveau Pétrarque et lui prescrirait de s’abstenir de la politique, qui salit les mains. A ces deux réductions (le gentil troubadour et le candide stalinien) s’oppose l’évidence pressentie par René Crevel : pour Éluard, pas d’Amour sans Révolution (et donc pas de relation duelle : l’égoïsme à deux, qui ne débouche pas sur l’amplification de l’échange, est aussi stérile et meurtrier que l’égoïsme solitaire); pas de Révolution sans Amour (autrement dit : pas d’action politique sans racines pulsionnelles). Le Désir est révolutionnaire, la Révolution est désirante. Cette conviction unifiante condamne deux attitudes symétriquement amputées : le dilettantisme littéraire ou sentimental, apolitique, qui refuse d’assumer la dimension morale de l’œuvre; le dogmatisme politique tactique ou foncier, qui fait l’impasse sur l’esthétique et le charnel, quand il n’est pas artistiquement et sexuellement conservateur.

 

L'exemple de la peinture

 

La conviction qu’il existait, aux origines, coproduction égalitaire et participation communautaire, conviction étayée par l’ethnographie contemporaine, informe la réflexion sur l’art d’Éluard, collectionneur avisé de toiles et de fétiches. Depuis qu’à la cérémonie a succédé le spectacle, depuis qu’on a séparé et spécialisé les tâches, depuis que s’est instauré le clivage entre producteurs et consommateurs d’œuvres d’art, bien des penseurs religieux, à travers les siècles, et bien des philosophes qui les ont précédés ou relayés, de Platon à Bossuet et à Jean-Jacques Rousseau, ont manifesté une défiance radicale à l’égard de la jouissance esthétique et des

 

affects que la musique ou la danse, la fiction romanesque ou dramatique, le poème ou la peinture peuvent exciter en chacun; et s’ils les ont admis ce n’est que canalisés et contrôlés par le pouvoir et ses relais idéologiques : la logique, l’éthique religieuse ou civique, l’esthétique. Ce ferment de désordre, c’est tout ce qui échappe au symbolique. Le langage coupe de la nature, fonde la culture et la vie sociale, porte la loi du père, prohibe l’inceste, exige le sacrifice de l’indistinction initiale entre l’enfant et sa mère; il vise l’univocité pragmatique et rationnelle du discours codifié. Or, la musique, la danse, les arts plastiques échappent au conditionnement que véhicule le langage et qu’impose l’accès au langage : la substitution du signe arbitraire au réel vécu. Musique, danse, peinture et sculpture maintiennent, selon le mot de Claude Lévi-Strauss, « une relation sensible entre le signe et l’objet ». Face à l’arbitraire du signe linguistique, le son, le geste, la couleur, la forme, le volume sauvegardent une sorte de naturalité de l’expression et, par là, garantissent la continuité avec le pulsionnel. Ferment de désordre également, tout ce qui, dans le langage même, sous-tend et enfreint le symbolique : d’un mot, la poésie. Et donc, pour Éluard, peinture et poésie, même combat. A la « sagesse » menteuse et mortelle de la reproduction et de la répétition, asservie à l’immobilisme des gens « en place », la peinture oppose sa folie vitale et sa vérité pratique : une activité créatrice d’une nouvelle éthique qui ne serait plus statique ni normative. Instigatrice ardente du mouvement, indemne, par son caractère figurai, des compromissions qui menacent l’usage des mots, la peinture exerce donc une fonction sociale qui est cathartique : elle libère du monde d’hier, c’est-à-dire de la vision réductrice d’hier; elle libère pour le monde de demain : voir, c’est comprendre et c’est agir; voir, c’est unir le monde à l’homme et l’homme à l’homme.

 

Les inspiratrices

 

Gala : Rencontrée en 1912 au sanatorium de Clava-del, Helena Dmitrovnie Diakonova, fille d’un avocat russe, allait devenir en 1917 la première épouse d’Éluard. A l’image sage et conventionnelle de l’épousée succède vite celle d’une muse fascinante, d’une « démone », tantôt hautaine, impénétrable et désespérante, tantôt féeriquement complice. Le servage passionné du poète épousa ardemment les orages imprévisibles et les complications sentimentales. A ceux qui ne subissaient pas le charme slave de ses intensités et de ses déraisons, Gala est souvent apparue âpre et despotique. Elle quitta Éluard pour Dali en 1929.

 

Nush : Éluard rencontra en 1930 Maria Benz (née en 1906), comédienne de music-hall et de théâtre populaire alsacien, et l’épousa en 1934. Menue, rieuse et lumineuse, Nush fut un modèle de prédilection pour Picasso, à qui elle rappelait les saltimbanques fragiles de l’époque rose. Très amoureuse et d’une grande plasticité, douée d’une gouaille plaisante, elle fut une compagne idéale pour le poète.

 

Jacqueline : A la mort de Nush, en 1946, la chaleur de Jacqueline rattacha Éluard à la vie. Les poèmes qu’elle a inspirés sont empreints d’une sensualité panique. Elle incarne aussi bien le narcissisme immémorial et immoral de la femme que le dévouement et le partage.

 

Dominique : En 1949, Éluard rencontra Dominique Laure, jeune divorcée, qu’il épousa en 1951. Énergique et équilibrée, elle entoura de sa tendresse vigilante les dernières années du poète.

 

Une pour toutes, toutes pour une : « Je hais l’amour, j’aime Gala », écrivait-il vers 1925 pour rassurer sa partenaire. Il reste qu’Éluard n’avait pas de l’amour fou la conception rigoureusement monogame que s’en faisait Breton. Il abhorrait la jalousie possessive, il prônait l’in-

« stylise les vicissitudes de la vie et la complexité de l'œu­ vre; mais elle permet d'unifier les aspects d'un lyrisme qui a toujours condamné le narcissisme de la poésie personnelle.

Hugo et Baudelaire ont volontiers fait du poète le spécialiste élu pour exprimer une essence com­ mune ( « insensé qui crois que je ne suis pas toi »; >.

Face à 1' arbitraire du signe linguistique, le son, le geste, la couleur, la forme, le volume sauvegardent une sorte de naturalité de 1' expression et, par là, garantissent la continuité avec le pulsionnel.

Ferment de désordre égale­ ment, tout ce qui, dans le langage même, sous-tend et enfreint le symbolique : d'un mot, la poésie.

Et donc, pour Éluard, peinture et poésie, même combat.

A la « sagesse >> menteuse et mortelle de la reproduction et de la répétition, asservie à l'immobilisme des gens «en place», la peinture oppose sa folie vitale et sa vérité pratique : une activité créatrice d'une nouvelle éthique qui ne serait plus statique ni normative.

Instigatrice ardente du mouvement, indemne, par son caractère figu­ rai, des compromissions qui menacent l'usage des mots, la peinture exerce donc une fonction sociale qui est cathartique : elle libère du monde d'hier, c'est-à-dire de la vision réductrice d'hier; elle libère pour le monde de demain : voir, c'est comprendre et c'est agir; voir, c'est unir le monde à l'homme et l'homme à l'homme.

Les inspiratrices Gala : Rencontrée en 1912 au sanatorium de Clava­ del, Helena Dmitrovnie Diakonova, fille d'un avocat ru�se, allait devenir en 1917 la première épouse d'Eiuard.

A l'image sage et conventionnelle de E'épousée succède vite celle d'une muse fascinante, d'une « démone >>, tantôt hautaine, impénétrable et désespé­ rante, tantôt féeriquement complice.

Le servage pas­ sionné du poète épousa ardemment les orages imprévisi­ bles et les complications sentimentales.

A ceux qui ne subissaient pas le charme slave de ses intensités et de ses déraisons, Gala est souvent apparue âpre et despotique.

Elle quitta Eluard pour Dali en 1929.

Nush : Éluard rencontra en 1930 Maria Benz (née en 1906), comédienne de music-hall et de théâtre populaire alsacien, et l'épousa en 1934.

Menue, rieuse et lumi­ neuse, Nush fut un modèle de prédilection pour Picasso, à qui elle rappelait les saltimbanques fragiles de l'époque rose.

Très amoureuse et d'une grande plasticité, douée d'une gouaille plaisante, elle fut une compagne idéale pour le poète.

Jacqueline : A la morJ de Nush, en 1946, la chaleur de Jacqueline rattacha Eluard à la vie.

Les poèmes qu'elle a inspirés sont empreints d'une sensualité pani­ que.

Elle incarne aussi bien le narcissisme immémorial et immoral de la femme que le dévouement et le partage.

Dominique : En 1949, Éluard rencontra Dominique Laure, jeune divorcée, qu'il épousa en 1951.

Énergique et équilibrée, elle entoura de sa tendresse vigilante les dernières années du poète.

Une pour toutes, toutes pour une : «Je hais l'amour, j'aime Gala>>, écrivait-il vers 1925 pour rassurer sa par­ tenaire.

Il reste qu'Éluard n'avait pas de l'amour fou la conception rigoureusement monogame que s'en faisait Breton.

Il abhorrait la jalousie possessive, il prônait l'in-. »

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