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En 1688, un courtisan de Louis XIV écrit à un noble de province et lui dépeint la vie qu'on mène à Versailles. Réponse de son correspondant.

Publié le 13/02/2012

Extrait du document

louis xiv

Me voici définitivement installé ici avec ma famille, comme je vous en marquai le dessein dans la dernière lettre que je vous fis tenir. Il y a deux mois que j'ai été présenté à la cour, ainsi que la duchesse ma femme : on ne saurait concevoir, à cette occasion, une bienveillance, une amabilité surpassant celles du roi et des princesses (3). Tout se passa à souhait; mon petit compliment fut trouvé fort à propos, ce qui importait beaucoup. Depuis ce jour, trois fois j'ai été convié à courre le cerf en chasse royale dans la forêt de Fontainebleau, et mon nom se trouvait, avant-hier encore, sur la liste des personnes admises à monter dans les carrosses du roi pour l'accompagner à Marly (4).

louis xiv

« sauraient trouver place.

Approcher le roi, l'entretenir en particulier, etre de sa part l'objet d'une attention, c'est notre rave a tous; et quoi qu'il decide sur nos demandes, nous nous tenons pour satisfaits, tant it use de politesse envers tous, tant it met de grace dans les liberalites, de precautions dans les refus, de finesse dans l'eloge, de moderation dans le blame, de bonte jusque dans la reprimande.

Faire sa cour est non seulement un devoir, mais encore tine necessite : c'est le moyen de parvenir, puisque les liberalites du roi, qui sont immenses, ne vont guere chercher ceux qui vivent loin de lui ou qu'il voit rarement (1). Aussi le suivons-nous comme pas a pas.

Le matin, Sa Majeste assiste a la messe a la tribune de sa chapelle, a mains que le celebrant ne soit un eveque, auquel cas le souverain descend a son prie-Dieu du rez-de-chaussee.

Jugez si certains se montrent assidus a l'oMce, qui n'auraient pas taut de pike en leurs chateaux de province!...

Pendant que le roi travaille avec ses ministres -a quoi it s'emploie au moires six heures par jour - nous n'avons que trop d'occupations a mener de front : visites a faire et a rendre, solli- citations a presenter, regales a faire aboutir, survivances a demander, competiteurs a ecarter, toutes choses qui demandent du coup d'oeil, de la souplesse et une active prudence.

De leur cote, les dames tiennent appar- tement chez les princesses ou chez Mme de Maintenon (2), toute puissante aupres du roi.

Ainsi l'on atteint les reunions du soir ou nut ne voudrait manquer. Trois fois par semaine, it y a comedie; les autres jours, it faut faire figure an bal, a la mascarade (3) ou a l'appartement, de septa dix heures (4).

On merle grand jeu et les sommes qui s'engagent en une soirée suffiraient presque a soulager la misere d'une province : c'est la une habitude que je ne puis conaprendre.

J'ai vu perdre en deux heures jusqu'a 10.000 pistoles; et le hoca, jeu defendu a Paris sous peine de la vie (5), fait rage.

Le roi ne joue pas, ayant, dit-on, perdu 500.000 livres en un hiver; mais ii aime que ses enfants et ses courtisans aient devant eux 40 a 50.000 livres et les risquent gaillardement. Le souverain est l'ame de toutes les reunions et, quand it parait, le respect qu'il inspire, le murmure discret et flatteur suscite, l'empressement etre distingue par lui, sont comme une maniere d'adoration spontanee : Deus, ecce Deus! Je voudrais que vous fussiez temoin de ce spectacle, parti- culierement un soir de bal, quand le roi traverse la Galerie des glaces, eclairee par quatre et cinq mille lumieres, remplie de deux mille courtisans auxquels il fait admirer in majeste calme et grave de son maintien, l'affa- bilite de ses paroles et I'infinie dignite de ses moindres gestes.

Mien n'ap- proche de "'eclat de ces fetes ce ne sont que broderies et brocarts d'or on d'argent, eclat des diamants midtipliant mule fois les feux des girandoles et des lustres (0).

Une existence si brillante n'est-elle fraversee d'aucune epreuve? Je vous l'affirmerais, Monsieur, que vous ne m'en croiriez pas.

La mort frappe a In cour plus volontiers qu'ailleurs, puisque des excitations continuelles y alterent les plus robustes sautés; et, quand elle couche au tombeau un homme puissant, elle abandonne parfois sa veuve et ses enfants a l'incertitude ou a la gene d'une situation a jamais compromise.

Les passions n'y sont pas moires violentes qu'ailleurs; souvent la cupidite inspire de honteuses et criantes injustices.

Entre ceux qui convoitent une merne charge, une meme faveur, c'est un duel a armes discourtoises, et it s'en faut que le vainqueur soit toujours le plus digne.

Mais que ne souffrirait-on pas pour vivre aupres du Rid? Aux habiles le succes! Aussi ferai-je effort pour soutenir le rang de ma maison et preparer a mes enfants un avenir honorable (7). (1) a II pent arriver qu'en faisant sa cour, dit Mine de Sevigne, on se trouvera sons ce qu'il (Is rot) jette.

(2) Mine de Maintenon avait kt4 install& Bans les appartements royaux en 1688, Le mariage qui l'unissait au roi fut tenu si secret qu'a peine quelques personnes en avaient une connais- sauce certaine. (3) Louis XIV aimait les bats travestis. (4) On tlisalt qua le roi tenait appartement quand it y avait soiree, dans les salons de jeu. (5) Mme de Sivigne, 9 octobre 1675. (6) Le luxe des diamants 4talt l'une des plus tales prodigalites d'aiors.

On en portait months en boutons, en boucles de jarretikres at de soldiers, en bagues, etc.

Louis XIV en por- tait parfois pour 12 millions de livres sur son habit. (7) On comprend que le nouveau courtisan, tout a l'espoir d'une rapide fortune, glisse sur les passions de la cour, sauraient trouver place.

Approcher le roi, l'entretenir en particulier, être de sa part l'objet d'une attention, c'est notre rêve à tous; et quoi qu'il décide sur nos demandes, nous nous tenons pour satisfaits, tant il use de politesse envers tous, tant il met de grâce dans les libéralités, de précautions dans les refus, de finesse dans l'éloge, de modération dans le blâme, de bonté jusque dans la réprimande.

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Faire sa cour est non seulement un devoir, mais encore une nécessité : c'est le mo~en de parvenir, puisque les libéralités du roi, qui sont immenses, ne vont guere chercher ceux qui vivent loin de lui au qu'il voit rarement (1).

Aussi le suivons-nous comme pas à pas.

Le matin, Sa Majesté assiste à la messe à la tribune de sa chapelle, à moins que le célébrant ne soit un évêque, auquel .cas le souverain descend à son prie-Dieu du rez-de-chaussée.

Jugez si certains se montrent assidus à l'office, qui n'auraient pas tant de piété en leurs châteaux de province!...

Pendant que le roi travaille avec ses ministres - à quoi il s~emploie au moins six heures par jour - nous n'avons q!le !rop ~'occ~pations à m~ner ~e f~ont : vis~tes à fa!re et à ~endre, 1solli­ c!lations a presenter, requetes a fa1re aboutir, survivances a demander, compétiteurs à écarter, toutes choses qui demandent du coup d'œil, de la souplesse et une active prudence.

De leur côté, les dames tiennent appar­ tement .chez les princesses ou chez Mme de Maintenon (2), toute puissante auprès du roi.

Ainsi l'on atteint les réunions du soir où nul ne voudrait manquer.

Trois fois par semaine, il y a comédie; les autres jours, il faut faire figure au bal, â la mascarade (3) ou à l'appartement, de sept à dix heures (4).

On mène grand jeu et les sommes qui s engagent en une soirée suffiraient presque à soulager la misère d'une province : c'est là une habitude que je ne puis comprendre.

J'ai vu perdre en deux heur~s jusqu'à 10.000 pistoles; et le ho.ca, jeu défendu à Pans sous peine de la vie (5), fait rage.

Le roi ne joue pas, ayant, dit-on, perdu 500.000 livres en un hiver; mais il aime que ses enfants et ses courtisans aient devant eux 40 à 50.000 livres et les risquent gaillardement.

Le souverain est l'âme de toutes les réunions et, quand il paraît, le respect qu'il inspire, le murmure discret et flatteur qu'il suscite, l'empressement à être distingué par lui, sont comme une manière d'adoration spontanée : Dell$, ecce Deus! Je voudrais que vous fussiez témoin de ce spectacle, parti­ culièrement un soir de bal, quand le roi traverse la Galerie des glaces, éclairée par quatre et cinq mille lumières, remplie de deux mille courtisans auxquels il fait admirer la majesté calme et grave de son maintien, l'affa­ bilité de ses paroles et l'infinie dignité de ses moindres gestes.

Rien n'ap­ proche de l'éclat de ces fêtes : ce ne sont que broderies et brocarts d'or ou d'argent, éclat des diamants multipliant nulle fois les feux des girandoles et des lustres (6).

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Une existence si brillante n'est-elle traversée d'aucune épreuve? Je vous l'affirmerais, Monsieur, que vous ne m'en croiriez pas.

La mort frappe à la cour plus volontiers qu'ailleurs, puisque des excitations continuelles y altèrent les plus robustes santés; et, quand elle couche au tombeau un homme puissant, elle abandonne parfois sa veuve et ses enfants à l'incertitude ou à la gêne d'une situation à jamais compromise.

Les passions n'y sont pas moins violentes qu'ailleurs; souvent la cupidité inspire de honteuses et criantes injustices.

Entre ceux qui convoitent une même charge, une même faveur, c'est un duel à armes discourtoises, et il s'en faut que le vainqueur soit toujours le plus digne.

Mais que ne souffrirait-on pas pour vivre auprès du Roi '1 Aux habiles le succès! Aussi ferai-je effort pour soutenir le rang de ma maison et préparer à mes enfants un avenir honorable (7).

{1) « Il peut ardv.er .qu'en faisant sa cour, dit Mme de Sévigné, on se trouvera sous ce qu'il (le roi) jette.

» (2) .Mme de Maintenon avait été ÏD!Iiaüée dans les appartements royaux en 1688.

Le mariage qui l'unissait au roi fut tenu si secret qu'à peine quelques personnes en avaient une connais­ sance certaine.

(3) Louis XIV aimait les bals travestis.

(4) On disait 9,ue le roi tenait appartement quand il y ava;it soirée, dans les salons de jeu.

(5) Mme de Sevigné, 9 octobre 1675.

(6) Le lqxe des d.iamants était l'une des plus folles prodigalités d'alors.

On en portait montés en boutoJJ,s, en boucles de jarretières et de souliers, en bagues, etc.

Louis XIV en por­ tait parfois pour 12 millions de livres sur son habit.

(7) On comprend que le nouveau courtisan, tout à l'espoir d'une rapide fortune, glisse sur les passions de la cour, ;.. »

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