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En marge du réalisme

Publié le 14/01/2018

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évoquait le peuple du faubourg Saint-Antoine. Fantine incarnait le malheur d'une ouvrière au xixe siècle. Valjean, Javert, Gavroche, Thénardier étaient des êtres en marge plutôt que des représentants du peuple. Dans Les Misérables, pourtant, palpite un Paris qu'on cherche en vain dans Balzac, celui qui, au xixe siècle, faisait le coup de feu sur les barricades.

 

Hugo évoquait le Paris des faubourgs ; mais il ne présentait guère le peuple comme une force qui monte. Son diagnostic n'était pas sociologique, mais moral et philosophique. Balzac avait saisi la montée de la bourgeoisie après la Révolution. La révolte populaire, pour Hugo, n'était pas le conflit de forces en présence ; ce n'était qu'une « convulsion vers l'idéal >>, un sacrifice expiatoire qui annonçait le paradis de l'avenir. Balzac se fût intéressé à la façon dont Jean Valjean faisait fortune. Au lieu de montrer une âpre conquête, Hugo décrétait une subite métamorphose. Il ne s'arrêtait pas à la réussite, mais au salut de son héros. L'épopée d'une conscience en marche vers le bien se substituait au récit d'une ascension sociale. Le roman de Hugo, pourtant plus réaliste qu'on ne voulait bien le dire, ne donnait pas l'impression du poids des choses, — qu'on a souvent à la lecture de Balzac. De Balzac à Hugo, on était passé du roman des réalités matérielles à l'épopée des valeurs spirituelles. Hugo ne s'attachait pas à peindre la conquête des richesses, mais les avatars de la lumière dans un monde de ténèbres.

 

Ses héros ont une vie romanesque puissante. Ils s'imposent à l'esprit du lecteur. On n'a guère songé à leur disputer cette intensité de présence, mais on ne s'est pas fait faute de déplorer leur psychologie sans nuances. Ils étaient, pour Baudelaire, des << abstractions vivantes ». Jugement pertinent à bien des égards. On a pu montrer pourtant que beaucoup de personnages secondaires n'étaient ni des marionnettes ni des symboles ; que, par les répliques que Hugo lui avait prêtées, Gavroche était << une des plus admirables créations de la littérature, une extraordinaire générosité joyeuse sur fond de détresse >> ; et que << seuls, le don de familiarité dans le dialogue, l'invention d'un style qui fût propre au personnage pouvait faire naître tant de nuances vraies à partir d'une invraisemblance de l'action >>1

 

On ne peut apprécier Les Misérables que si l'on accepte de se placer sur le terrain où Hugo a voulu se situer. Il y a une psychologie hugolienne, mais elle est de nature cosmique et mythique2- Chaque personnage porte en lui un mélange d'animalité et de spiritualité. Javert est une sorte de chien-loup, Enjolras est un ange ; Jean Valjean illustre le mythe d'un Satan-Christ. En lui s'affrontent l'ombre et la lumière. Toute psychologie individuelle repose sur un immense pan d'ombre. On comprend que Hugo ait pu écrire : << Le premier personnage de ce livre est l'infini. L'homme est le second >>. Le silence fait sur la brusque conversion du forçat, laisse pressentir le mystère d'une grâce qui est venue l'habiter.

 

C'était une œuvre étrange que ces Misérables. << Un poème, plutôt qu'un roman », avait dit Baudelaire, un << roman construit en manière de poème »,

Bourgeois de Molinchart ou Les Souffrances du professeur Delteil, de Champ-fleury, suffiraient à prouver, s'il en était besoin, que les théories ne valent jamais que ce que vaut l'écrivain. Il se recommandait de Balzac, mais il n'a réussi qu'à esquisser quelques croquis de personnages pittoresques dans des milieux mesquins. Il s'attachait à la singularité d'un cas, quand Balzac et Flaubert tendaient à la généralité du type.

 

Zola devait rendre hommage à Duranty et même, quoique avec des réserves plus marquées, à Champfleury. Il devait rattacher le courant du réalisme et du naturalisme à cette tradition française qui allait de Furetière à Diderot et de Diderot à Balzac : ils avaient été les premiers à souligner cette filiation. Leurs œuvres étaient, dans les années cinquante, comme les premières chaînes de ce massif du roman français, qui va des Goncourt à Zola et de Flaubert à Maupassant. Combien de différences entre ces romanciers ! Comme chacun était jaloux de son originalité, de sa méthode, de son tempérament ! Il est un peu dérisoire de ranger tant d'efforts contrastés sous une étiquette commune. On peut dire, à coup sûr, que pendant quarante ans, de 1850 à 1890, le roman était en général conçu comme une vaste enquête sur la nature et sur l'homme, et que, dans la mesure où il était une étude, on en venait à reléguer au second plan la part de l'intrigue et de l'affabulation ; qu'on faisait sa part à la physiologie et qu'on peignait, par prédilection, les mœurs de milieux modestes ou populaires ; qu'on montrait l'influence de ces milieux sur les individus. Mais ce n'étaient là que des principes généraux, et chaque romancier les illustrait selon les exigences de son tempérament.

 

Victor Hugo, Les Misérables1 parurent en 1862. L'œuvre

 

romancier d’un autre âge rencontra, auprès d'un vaste public, un

 

immense succès. Elle se heurta aux réticences des romanciers de l'école réaliste. Flaubert, les Goncourt et Zola estimaient que l'on n'avait plus le droit, en un temps où l'on écrivait des études psychologiques et sociales, de montrer tant de fantaisie dans la peinture du réel. Conflit de générations ; conflit de doctrines. Le réalisme s'opposait au romantisme, le positivisme au spiritualisme. Entre Madame Bovary et Germinie Lacerteux, l'œuvre de ce sexagénaire prestigieux détonnait. Elle aurait reçu peut-être, auprès de l'opinion éclairée, un meilleur accueil, si elle avait été publiée dix ou quinze ans avant. Elle eût joué son rôle dans l'offensive romanesque de George Sand et de Lamartine. Elle eût été mieux accordée aux valeurs de la génération de 1820. Il y avait plus de réalisme, dans Les Misérables, que Flaubert ou Goncourt ne consentaient à en voir. Mais, si Hugo était réaliste, il l'était, comme l'observe Jean-Bertrand Barrère, « à la manière de Balzac, pour accréditer une histoire éminemment romantique ». Les Misérables, avec vingt ans de retard, formaient la synthèse magistrale du roman social et du roman populaire des années quarante. La peinture des

« à l'esthétique du daguerréotype regrettaient qu'il eût peint « un monde qu'il avait dans la tête » plutôt que le monde réel, mais on reconna issait généralement qu'il avait ramené le roman à la vérité, qu'il avait élargi son domaine, qu'il était le père du roman moderne, le créateur d'un monde, l'égal d' Homère ou de Shakespeare.

Taine, en 1858, admirait dans La Comédie humaine la « triomphante épopée de la passion », et il reconna issait à Balzac le mérite d'avoir fait du roman une vaste étude des mœurs contempo raines en étudiant les interactions de l'ind ividu et du milieu.

Il restait dans les années cinquante beaucoup de survivants de la géné­ ration romantique, et, par exemple, Monnier dont on rééditait les Scènes populaires, et qui donnait en 1857 les Mémoires de joseph Prudhomme.

En face de son réalisme pittoresque, Lamartine et George Sand publiaient des romans qui n'étaient guère marqués au sceau du scrupule réaliste.

Avec Raphaël en r849, et Graziella en 1852, Lamartine donnait libre cours à l'ex pression de ses sentiments.

Dans les années où George Sand publiait ses romans rustiques, de La Mare au diable (1846) aux Maîtres sonneurs (1853) , il rencontrait parfois une sorte de réalisme populiste dans Le Tailleur de pierres ou Geneviève, mais, ici encore, il donna it des poèmes plutôt que des romans.

Entre Volupté et Dom inique, on ne trouve point d'exemple notable du roman d'analyse.

On voit se développer, en revanche, un roman qu'on appelle­ rait, selon les cas, monda in, idéaliste, ou romanesque, et qui narrait les péripéties sentimentales que suscitaient des incomp atibilités sociales.

Le Ro­ man d'un jeune homme pauvre a rencontré un beau succès en 1858, et Octave Feuillet, avec Jules Sandeau, a instauré, sous le Second Empire, une tradi­ tion romanesque qui héritait des romans d'intrigue sentimentale du début du siècle, mais qui avait, dans une certaine mesure, bénéficié de l'apport balzacien.

Après Feuillet, il devait y avoir André Theuriet, Victor Cherbuliez et, avec autant de succès, mais moins de bonne grâce, Georges Ohnet.

Où classer Barbey d' Aurevill y, qui don nait ses prem iers romans dans les années cinquante ? C' est un des esprits qui ont, alors, salué le mieux la grandeur de Balzac.

Ce n'est pas assez de dire que c'est un roma ntique attardé dans l'ère du réal isme.

Il_était roma1:1tique et réaliste à la fois.

Il a méprisé l' école du daguerréotype, la mesquine minutie de ses obscurs représentants, mais il a évoqué avec fidélité des paysages de la Normandie.

La lande de Lessay, dans L'Ensorcelée, c'est la lande de Saint-Sauveur.

Il a eu le culte du détail exact qui frappe l'imaginat ion.

On trouve, dans Un Prêtre marié comme dans L'Ens orcelée, une sorte de chronique campagnarde.

Mais il y a comme une épouvante répandue à travers les paysages qu'il évoque.

Et quand, dans L'Ens orcelée, les bleus arrachent les pansements du prêtre et saupoudrent de braises son visage ensanglanté, la brutalité du réalis me rejoint un fantastique terrifiant.

Comme on était loin, avec Barbey d' Aurevilly, du réalisme de Champfleury et de Duranty, celui-ci animant, en r856-r857, la revue Réalisme, celui-là publiant en 1857, Le Réalis me.

A vrai dire, il y avait, alors, autant de réalismes qu'il y avait de réalist es.

Que d'opp ositions entre eux! Et surtout, que d'opp ositions entre leurs théories et leurs œuvres ! Duranty a écrit des romans estimables, Le Malheur d'Henriette Gérard (r86o) et La Cause du beau Guillaume (r86z) qui a été réimprimée en rgzo.

Mais Les. »

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