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En quoi, dans les chants V à XIII, L'Odyssée d'Homère se présente-t-il comme un poème de la mer ?

Publié le 03/07/2012

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● Dès lors, la mer devient un espace associé à la mort. De fait, après l’imprudence de ses compagnons qui ont dénoué l’outre des vents dont Eole lui avait fait don, Ulysse au désespoir envisage un instant de « [se] jeter à l’eau pour y périr « (X, v. 51). L’association de la mer à la mort apparaît encore dans la tempête au cours de laquelle Ulysse perd tous ses compagnons. Le poète développe alors une image macabre pour décrire le corps des compagnons qui ont passé par-dessus bord : « autour du bateau noir, comme des corneilles, ils étaient ballottés/ par les flots « (XII, v. 418-419). La mer se substitue ainsi aux champs de bataille sur lequel trouvaient la mort les guerriers de L’Iliade.

« prisonnier de la morale du guerrier épique, Ulysse souhaite affronter le monstre marin par les armes, ce qu’il fait malgré les recommandations de Circé qui luireproche de « ne [rêver] que travaux de guerres/ et combats » (XII, v.

116-117).

Et de fait, Ulysse expérimente combien il est vain de vouloir affronter ce monstremarin par la force des bras.

Lorsqu’il repasse entre Charybde et Scylla, seul après la perte de ses compagnons, c’est par son habileté et sa réflexion qu’il échappe aupéril.

La mer est ainsi perçue dans L’Odyssée comme le lieu de l’épreuve.

Il sera faux d’y voir, comme le font les Phéaciens Laodomas et Euryale un espace quianéantit les héros ou qui ne requiert pas de qualités héroïques parce que l’on se contente d’y accomplir des activités commerciales.

Ulysse prouve que la mer est lelien de l’héroïsme.

Dans L’Iliade les héros s’affrontent entre eux sur le champ de bataille ; dans L’Odyssée, l’homme affronte les éléments et d’abord le plus terribled’entre eux, la mer.

Qui plus est, il l’affronte avec les armes propres à l’homme, la réflexion.

Les épreuves auxquelles Ulysse est confronté sur la mer lui permettenten effet de faire valoir son industrie et sa ruse, sa métis.● En outre, le périple d’Ulysse témoigne de la maîtrise de la mer que les hommes ont réussi à acquérir.

Or, dompter la mer nécessite une technique avancée, celledont dispose Ulysse.

Ainsi, la maîtrise de la mer permet de mesurer le degré de civilisation auquel atteignent les différents peuples rencontrés.

C’est ainsi que lescyclopes que tout signale comme des sauvages à l’écart de la civilisation ne connaissent pas l’usage de la mer : « ils n’ont pas de vaisseaux rubiconds/ ni de cesconstructeurs de navires pour leur bâtir/ des navires bien pontés, prompts à toutes besognes,/ qui vous mènent de ville en ville, comme font/ souvent les hommes,franchissant les vastes mers » (IX, v.

125-129).

Et le lien entre l’absence de maîtrise de la mer et la sauvagerie est signifiée par les potentialités qui s’ouvriraient auxCyclopes s’ils parvenaient à dominer l’élément marin : ils pourraient alors développer l’île qui fait face à leur pays, île qu’Ulysse et ses compagnons trouvent déserteet à l’abandon.

A l’autre extrémité, exacte des cyclopes quant à leur maîtrise de la mer, se trouvent les Phéaciens.

C’est en effet un peuple de « bons rameurs » et de« grands armateurs », des « marins insurpassables » : ils « excellent entre tous les hommes/ à mettre des bateaux à la mer » (VII, v.

108-109).

Et cette qualité va depair avec le niveau très avancé de leur civilisation.

Toutefois, cette maîtrise de la mer relève des dispositions surnaturelles dont jouissent les Phéaciens, peuple encoreproche des dieux.

De fait, les navires sont magiques : ils se gouvernent seuls, sans l’aide de pilote.

Equipés de ces vaisseaux magiques, les Phéaciens maîtrisent lamer sans avoir besoin de développer la science de la navigation.

Il n’en va pas de même de la communauté des mortels à laquelle Ulysse appartient.

S’il maîtrise lamer, c’est par une technique qu’il a apprise et acquise.

Il la met en œuvre, lorsque, pour quitter l’île de Calypso, il se construit un radeau.

L’épisode, longuementdétaillé, multiplie les termes techniques pour décrire les gestes accomplis par Ulysse et les matériaux qu’il met en œuvre.

Par sa technique, Ulysse met un terme àl’embarras dont lequel se trouvait Calypso pour renvoyer Ulysse chez lui.

La déesse, malgré ses pouvoirs, ne pouvait s’acquérir la maîtrise de l’élément marin ;l’homme qui maîtrise la technique y parvient.● Enfin, la présence de la mer dans les chants V à XIII et l’importance qu’elle prend s’interprète aussi dans le cadre de l’initiation mystique et ontologique que peutfigurer le périple d’Ulysse.

La mer est un espace où s’accomplit une forme de mort symbolique qui prélude à une renaissance.

En effet, la mer déchaînée apparaîtcomme un gouffre qui engloutit Ulysse, notamment lors de la tempête qui précède son arrivée chez les Phéaciens.

La mer est alors désignée du terme grec lai~tmaque Jaccottet traduit par « ces gouffres ».

Le terme ku~ma revient aussi de manière récurrente : il désigne le flot qui recouvre mais aussi qui s’enfle à la manière duventre de la mère qui porte un enfant.

De même, dans le bateau des Phéaciens qui le reconduit à Ithaque, Ulysse s’endort d’un « doux sommeil […]/ profond et toutpareil au calme de la mort » (XIII, v.

79-80).

La traversée en mer figure donc une mort symbolique.

Celle-ci précède une renaissance : l’image du flot qui s’enfle lesouligne.

Cette image est appuyée, dans l’épisode du chant V, par la présence de Leucothèe et de son voile.

Le blanc auquel renvoie le nom de la déesse s’oppose aunoir de la mer.

Il figure la purification qu’opère cette gestation marine.

Par ailleurs, Ulysse se dévêtit de ses habits, geste symbolique, pour revêtir le voile deLeucothée.

A son arrivée sur son île, il s’en débarrasse comme s’il s’agissait d’un placenta.

Enfin, si la mort le défigure et abîme son corps (des lambeaux de sesmains restent accrochés aux rochers sur lesquels il a prit appui, il est couvert de saumure, sa peau est gonflée), il finit par gagner la côte et s’endort caché sous unfeuillage.

Il est alors comparé au tison que l’on cache « dans la cendre noire/ […] préservant la graine du feu pour qu’elle dure » (V, v.

488-490).

Au terme de sonvoyage en mer, Ulysse est semblable à ce tisons, prêt à s’enflammer à nouveau : la mer la fait mourir puis renaître.. »

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