Excipit - Le Père Goriot
Publié le 22/06/2014
Extrait du document
«
prêtres… vinrent et donnèrent,… les gens du clergé chantèrent,… deux voitures armoriées mais vides
se présentèrent et suivirent… le corps du Père Goriot fut descendu… ».
La structure de la phrase
suggère même un escamotage de la descente dans la fosse, cet acte essentiel traité en quelques mots
étant aussitôt supplanté par la débandade de tous : « A six heures, le corps du Père Goriot fut descendu
dans sa fosse, autour de laquelle étaient les gens de ses fille s, qui disparurent avec le clergé aussitôt
que fut dite la courte prière due au bonhomme pour l’argent de l’étudiant ».Vous aurez noté, dans cette
ample période, la disproportion entre la partie très brève consacrée au défunt, oublié sitôt après le mot
« fosse », et la fuite des assistants longuement évoquée.
La contrainte de l’argent a été dominante tout au long du roman ; elle est rappelée ici dans un
registre lexical très insistant, et elle s’exerce jusqu’au bord de la tombe : à l’église, Goriot ob tient
« tout ce qu’on peut avoir pour soixante -dix francs », car « la religion n’est pas assez riche pour payer
gratis ».
Au cimetière, le clergé mesure son temps sur « l’argent de l’étudiant ».
Dans la fosse même,
« l’un des fossoyeurs lui demanda un pour boire ».
Alors « Eugène fut forcé d’emprunter vingt sous à
Christophe ».
L’argent toujours : jusqu’au bout de la vie, et dans la mort même, sans argent on n’a
rien.
Il conditionne aussi l’intervention du clergé, qui est assimilée à une prestation de servic e
exactement tarifiée.
II/ Rastignac : l ’achèvement d’un itinéraire
En un court moment, et en quelques phrases, le deuil dans le cœur d’Eugè ne est supplanté par le désir
de parvenir.
L’adieu au passé est suscité par le choc des vingt sous qu’il n’a pas et qui agissent sur Eugène
comme un déclic révélateur de l’égoïsme social : « Ce fait si léger en lui -même détermina chez
Rastignac un a ccès d’horrible tristesse ».
Il prend alors une conscience plus aiguë que jamais de son
dénuement personnel.
Le jeune homme d’autrefois meurt à ce moment : le spectacle de la pauvreté
entraîne la révolte, le refus de se laisser réduire soi -même à l’état d’ un Goriot.
Ici, Eugène pleure sur
un mort qui est aussi l’adolescent d’hier, un garçon honnête et pauvre, auquel il dit adieu.
La scène est
réussie sur le plan poétique : le crépuscule de la journée, le déclin de la saison, la mort du père et la fin
des il lusions, tout cela est dans la même tonalité triste.
Le passage du passé à l’avenir est instantané chez R astignac.
Il ne reste pas longtemps prisonnier
de sa tristesse, il trouve vite en lui une détermination nouvelle : « Il se croisa les bras, conte mpla les
nuages, et, le voyant ainsi, Christophe le quitta ».
Le passage de la tombe où gît la victime vers les
nuages, ce mouvement d’ascension du regard, marque le retour à la vie, le recommencement de
l’espérance, une deuxième naissance.
Plongé dans ses méditations, concentré sur sa pensée, Eugène est
devenu un autre homme ; ce court début de phrase, « Il se croisa les bras, regarda les nuages… »,
marque la détermination et la foi dans l’avenir.
Paris apparaît alors comme objet de désir. L’espéranc e retrouvée, c’est la fascination du Paris
élégant, perçu comme ne proie désirable.
Il faut faire l’analyse précise de l’avant -dernier paragraphe
où chaque terme montre les séductions de ce monde sous le regard d’un homme jeune.
La sensualité de
paris est dans « tortueusement couché », comme dans une pose de courtisane.
L’éclat des fêtes est
celui d’une ville où « commençaient à briller les lumières », qui annoncent les dîners, les bals de la
nuit.
La richesse fascine Rastignac, il voit les seuls beaux quar tiers, « là où vivait ce beau monde ».
Enfin, comme prolongement de tout ce spectacle significatif, émerge le désir réaffirmé de participer au
festin, de jouir des douceurs offertes, « un regard qui semblait par avance en pomper le miel », qui dit
l’appéti t sensuel de savourer, d’avaler à longs traits.
La volonté exacerbée de la conquête s’énonce de façon concent rée dans la fameuse apostrophe à
la capitale : « A nous deux maintenant! ».
Par -là, l’ambitieux affirme sa volonté de prendre possession.
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