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Extrait du chapitre III [La guerre]

Publié le 22/05/2015

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Extrait du chapitre III 

[La guerre]

Rien n'était si beau, si leste, si brillant, si bien ordonné que les deux armées. Les trompettes, les fifres, les hautbois, les tambours, les canons, for¬maient une harmonie telle qu'il n'y en eut jamais en

5 enfer. Les canons renversèrent d'abord à peu près six mille hommes de chaque côté ; ensuite la mousque-terie ôta du meilleur des mondes environ neuf à dix mille coquins qui en infectaient la surface. La baïon¬nette fut aussi la raison suffisante de la mort de

10 quelques milliers d'hommes. Le tout pouvait bien se monter à une trentaine de mille âmes. Candide, qui tremblait comme un philosophe, se cacha du mieux qu'il put pendant cette boucherie héroïque.

Enfin, tandis que les deux rois faisaient chanter des

15 Te Deum, chacun dans son camp, il prit le parti d'aller raisonner ailleurs des effets et des causes. Il passa par-dessus des tas de morts et de mourants, et gagna d'abord un village voisin ; il était en cendres ; c'était un village abare que les Bulgares avaient

20 brûlé, selon les lois du droit public. Ici des vieillards criblés de coups regardaient mourir leurs femmes égorgées, qui tenaient leurs enfants à leurs mamelles sanglantes; là des filles, éventrées après avoir assouvi les besoins naturels de quelques héros, ren 

25 daient les derniers soupirs ; d'autres, à demi brûlées, criaient qu'on achevât de leur donner la mort. Des cervelles étaient répandues sur la terre à côté de bras et de jambes coupés.

Candide s'enfuit au plus vite dans un autre village : 30 il appartenait à des Bulgares ; et les héros abares l'avaient traité de même.

Voltaire continue à faire semblant d'adopter à travers lui la logique de la guerre, qui devient une oeuvre utile et équitable, dans le «meilleur des mondes« (1. 7), car elle permet d'éliminer les «coquins« (l. 8). Tout le passage est une illustration des leçons de Pangloss. La guerre est débarrassée de son horreur par un langage qui la justifie. La tournure philosophique «ôta du meilleur des mondes« (l. 7) est un euphémisme trompeur [l'euphémisme est une figure de style qui consiste à adoucir par l'expression une idée désagréable]; en évitant le terme juste qui serait «tuer«, elle tend à inscrire la guerre dans un ordre naturel. La formule «raison suffisante« (l. 9) appartient au sys­tème de Leibniz : il s'agit du principe selon lequel rien n'arrive sans qu'il y ait une cause ou du moins une raison déterminante. Là encore, la réalité atroce des faits est niée par un vocabulaire pédant et théorique. Quant à l'impré­cision désinvolte de l'évaluation : «Le tout pouvait bien se monter à une trentaine de mille âmes« (l. 10-11), elle confirme que pour l'élève de Pangloss la guerre n'a rien de choquant et se réduit à un simple décompte de victimes; l'expression «le tout« ajoute à la déshumanisation des individus en les transformant en choses.

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