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FABLE ET LITTERATURE

Publié le 06/12/2018

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fable

FABLE. La fable ne saurait être définie comme un genre littéraire; moins encore comme un genre poétique. Sans doute La Fontaine a-t-il rendu célèbre, dans notre littérature, la fable versifiée; avant lui, pourtant, Rabelais ou Bonaventure Des Périers logent des fables dans leurs écrits en prose, et, après lui, Fénelon produit un recueil de Fables (1701) en prose. La fable est moins un genre qu’un mode de fonctionnement de la pensée, qui trouve, par le langage, son expression formelle. Aristote consacre un développement à la fable dans sa Rhétorique, non dans sa Poétique. Or, la rhétorique n’est rien d’autre que la conduite d’une pensée dans et par le système de la langue.

 

La définition de la fable ne passe donc pas, comme celle de la ballade ou du rondeau, de l’ode ou de l’églo-gue, par des critères formels, mais seulement par des critères structurels : la situation de pouvoir où elle se développe; la fonction probatoire qui l’anime; le détour par la fiction auquel elle procède; la polysémie qu’elle génère; enfin la réduction à l’univocité qu’elle effectue, par le jeu des connotations, à un système général de « la » fable.

 

Dans l’histoire de la littérature, l’apparition de la fable est chaque fois liée à un rapport de forces, à une situation de pouvoir qu’elle conteste en en modifiant subtilement les équilibres : pouvoir du maître sur l’esclave, quand le fabuliste s’appelle Ésope; pouvoir politique et intellectuel, quand il s’appelle La Fontaine; pouvoir pédagogique du maître, quand il s’appelle Fénelon, sur un royal élève (le jeune duc de Bourgogne); autorité morale, quand il s’appelle Florian. La fable est avant tout une « prise de parole » : le substantif fabula n’est-il pas issu en latin de la racine du verbe fari (le phèmi grec), qui signifie « parler »? Revendication du pouvoir de la parole contre une situation de fait, la fable rétablit à son profit l’équilibre des pouvoirs. Là où l’autorité s’exerçait sur les personnes, la fable, génératrice d’effets, exerce son pouvoir sur les esprits, comme le suggère La Fontaine lui-même (Fables, VIII, 4, « le Pouvoir des fables »). La fable a valeur probatoire. Elle est un « art d’agréer ». Selon le vieux schéma de la rhétorique classique, elle sert d’« exemple» (exemplum) à la démonstration d’une « proposition » (propositio). Mais, contre toute attente, cette prise de pouvoir par la parole ne s’effectue qu’au prix d’un détournement, d’un déplacement (metaphora) du discours dans la fiction et dans l’imaginaire. L’« apologue » (apo-logos), nom primitif et authentique de la fable, marque, par son étymologie même, la dérive (« apo ») du discours, l’écart qu’il creuse entre la réalité et l’imaginaire. La fable entreprend de démontrer la vérité morale par le recours à l’invraisemblable — et notamment par le travestissement animal. La fable, contrairement aux autres genres littéraires, produit du sens et consomme de l’imaginaire.

 

Cet investissement par l’imaginaire génère une pluralité de sens, une polysémie, que l’auteur devra, ensuite, s’efforcer de réduire. Certaines fables, comme notamment la plus connue d’entre elles, « la Cigale et la Fourmi » (La Fontaine, Fables, I, 1), peuvent prouver des propositions différentes, sinon contradictoires. La fable joue de cette équivoque sur le sens. Elle induit le lecteur vers des significations équiprobables. Son pouvoir est énigmatique. Aussi demeure-t-elle proche, dans l’histoire de la littérature, d’autres genres « à énigmes », qu’ils soient en vers ou en prose, et plus particulièrement de l’emblème : pendant deux siècles (xvie-xvne), les emblèmes, popularisés par l’œuvre d’Andrea Alciati, sollicitent l’imaginaire par leurs images allégoriques gravées, dont le « discours moral » vient seulement par la suite préciser, pour l’entendement, la véritable signification. Comme la figure d’emblème, la fable ne produit pas immédiatement une signification dénotée. 

fable

« fable à la place qu'elle mérite.

Marot glisse une fable dans son Epître à Lyon Jamet (1525) : «le Lion et le Rat », Rabelais dans son prologue du Quart Livre ( 1 548) : « le Bûcheron qui a perdu sa cognée », Bonaven­ ture Des Périers dans ses Nouvelles Récréations et joyeux devis ( 1 558) : «la Laitière et le Pot au lait ».

Les recueils de fables du xvie siècle sont contaminés par les genres énigmatiques ou moraux qui leur sont proches, tels l'em­ blème et le proverbe : les Fables du.

très ancien Ésope, mises en rithme françoise, par Gilles Corrozet (1542), Trois Cent Soixante et Six Apologues d'Ésope traduicts en rithme françoise.

par Guillaume Haudent (1547), le Premier Livre des emblèmes, de Guillaume Guéroult (1550), Mimes, enseignement et proverbes, de Jean­ Antoine de Baïf (1576).

La fin du XVIe siècle est marquée par la publication de trois superbes recueils illustrés à l'étranger : deux sont italiens (Fabulae Centum, de Gabriele Faërno, 1564; Cento fa vole mora li, de Giordano Mario Verdizotti, 1577), le troisième flamand (De Warachtighe Fabulen, de Marcus Gheraerts, 1567).

Ces ouvrages, largement répandus en Europe, inspire­ ront les fabulistes du xvn• siècle.

Ils sont légion : le renouveau pédagogique et la nouvelle sociabilité litté­ raire donnent au genre de la fable une place d'importance dans la production écrite.

Le recueil illustré d'Isaac Névelet est sans cesse réimprimé (1610, 1660), comme le sont aussi le choix de fables traduites par Jean Meslier (1629, 1641, 1650), les Fables d'Ésope, Phrygien, tra­ duites et moralisées par Jean Baudoin (1631, 1649, 1659, 1683, etc.), les Fables héroïques d'Audin (1610, 1648, 1660).

Ces ouvrages, comme aussi les Fables des animaux, vrai miroir exemplaire ..

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, d'Estienne Perret (1621 ), ou les Figures diverses tirées des fables d'Ésope et autres par R.D.F.

(Roger Trichet du Fresne, 1659), retiennent l'attention du lecteur par les séduisantes illus­ trations dont ils s'ornent, témoin le recueil de Faërno ou celui du graveur Sade1er (Theatrum Morum, Prague, 1 608).

Lorsque La Fontaine entreprend de versifier des fables d'Ésope, son engagement littéraire n'a rien d'une nouveauté.

Une contestation toutefois s'était fait jour entre les partisans de la brièveté et du laconisme de Phèdre et ceux de l'amplification et de 1' ornementation des thèmes ésopiques.

En développant les. »

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