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François Mitterrand : ALLOCUTION TÉLÉVISÉE (Campagne présidentielle 1974, François Mitterrand)

Publié le 28/05/2010

Extrait du document

Après la disparition du Président Georges Pompidou nous avons tous compris qu'une période de notre histoire venait de s'achever. Les événements qui l'ont marquée, les hommes qui l'ont illustrée, les réussites, les échecs, le pour et le contre relèvent désormais du jugement de la postérité. Pour reprendre une expression fameuse qui s'appliquait à une autre époque, je dirai à mon tour : « Le gaullisme est un bloc «, comme tout bilan il présente un passif, il présente un actif, mais c'est un héritage qui n'a pas d'héritier. Voilà pourquoi je voudrais réfléchir avec vous à la situation de la France, en un moment où tout peut être décidé et puisqu'il s'agit de cela, réfléchir au rôle dans notre pays du Président de la République. Hier il était tout, demain il sera et restera le premier. Il ne faut plus qu'il soit le seul. Notre peuple est majeur, il a grandi le long des siècles, chacun de vous exerce ou a exercé une profession, un métier. Les plus anciens ont beaucoup d'expérience, les plus jeunes ont beaucoup d'ardeur, les mères de famille sont un gouvernement qui doit tout faire à la maison, tout prévoir et tout apaiser, et combien qui sont seules ont appris rudement la lutte pour la vie. Les nouvelles du monde entier entrent sous votre toit, l'école, l'université ouvrent l'esprit à la plupart des grands problèmes qui se posent à l'intelligence. Bref, vous allez dire votre mot et, bien au-delà du bulletin de vote que vous mettrez dans l'urne le 5 mai, vous devrez et vous pourrez choisir pour le présent sans renoncer jamais à vos responsabilités d'avenir. J'exprime là ma plus profonde conviction. Un vrai candidat à la Présidence de la République représente un ensemble de forces politiques, économiques, sociales, culturelles. H propose des idées, il énonce des choix, il montre uùe direction et il s'adresse à tous les Français pour obtenir les suffrages de ceux qui se reconnaissent en lui, et s'il ne le fait pas, c'est qu'il cherche à tromper tout le monde. Eh bien moi, je considère comme un honneur d'être le candidat de la gauche, au nom de tous ceux qui se sont engagés sur le programme commun et de tous ceux qui se placent dans la perspective d'un choix de société où citoyens, travailleurs, seront de plus en plus appelés à décider eux-mêmes de leur sort. Je le fais comme je le peux de toute ma raison, et croyez-le, de tout mon coeur, et j'essaie de déterminer des moyens qui permettront à notre peuple de vivre mieux. Certes, on m'objectera : « mais tous les candidats disent la même chose «, mais la question ce n'est pas seulement de le dire, c'est aussi de le pouvoir. Comment celui-ci pourrait-il susciter le progrès alors qu'il s'appuie sur des privilégiés, c'est-à-dire ceux qui tirent profit des inégalités? Comment celui-là pourrait-il accomplir les réformes qu'il a refusé d'accomplir depuis près de dix ans? Ce dont j'ai le plus souffert, c'est de constater que la majorité des Français comptait bien peu pour le gouvernement, et quels Français! ceux qui produisent, ceux qui travaillent, ceux qui supportent la rigueur d'une vie difficile. Elu Président de la République, je respecterai et ferai respecter les engagements pris envers vous tous dont je viens de parler. Ce faisant, j'ai conscience de servir l'intérêt supérieur du pays. Un Président de la République, il est le Président des Français, le Président de tous les Français. Il y a la France et sa place dans le monde, il y a notre peuple et l'unité de la nation. J'appelle tous ceux qui ont fait ce choix, tous ceux qui veulent nous rejoindre, à le comprendre. J'appelle celles et ceux qui se sentent et qui se savent à nos côtés, mais aussi, tous ceux qui n'y sont pas encore, mais dont le coeur a déjà parlé. François MITTERRAND, Allocution télévisée, (30 avril 1974)

Il s'agit de la première allocution politique de François Mitterrand, alors candidat à la Présidence de la République, en avril 1974, dans le cadre de la campagne électorale officielle, à la télévision.  Plus que tout autre orateur, un homme politique emploie la parole pour nous convaincre, nous faire agir, obtenir notre adhésion. Le discours politique entre donc de plein droit dans la catégorie des « textes argumentatifs «. Devant ce texte comme devant les autres, notre tâche est d'analyser le fonctionnement, d'apprécier sans doute l'habileté du locuteur, mais surtout d'exercer notre fonction critique : puisqu'on veut nous faire agir, réagissons en élucidant les procédés par lesquels l'orateur cherche à nous entraîner ou nous séduire. L'étude des moyens utilisés dans ce texte, dont la qualité n'est sans doute que moyenne, pourra alors nous rendre clairvoyants sur bien d'autres discours.  Un mot de la situation historique. En avril 1974, le Président Georges Pompidou meurt du cancer. Il était le successeur et l'héritier politique du général de Gaulle. Un grand vide se crée, et de nouvelles élections présidentielles sont organisées. Trois candidats à la présidence de la République ont de réelles chances d'être élus : Valéry Giscard d'Estaing, jusqu'alors ministre des Finances de Pompidou, Jacques Chaban Delmas, ancien Premier ministre, et François Mitterrand, opposant n° 1 au régime en place. Les deux premiers candidats se prétendent l'un et l'autre successeurs de la majorité et héritiers du gaullisme. François Mitterrand est soutenu par les forces de gauche, qui ont signé un « programme commun de gouvernement « : il prétend redonner la voix au peuple, s'opposer à la gestion autocratique du pouvoir présidentiel et, en même temps, récuse le fait que ses concurrents puissent revendiquer l'héritage gaulliste. Ces quelques rappels suffisent pour comprendre certaines allusions de son discours et le climat politique dans lequel il est prononcé.  Un mot enfin sur les conditions précises dans lesquelles cette allocution a été prononcée. Il s'agit d'une allocution télévisée, la première de la campagne électorale de Mitterrand à la télévision. Elle a donc forcément un caractère général : le candidat doit se présenter, se situer, dire pourquoi il est là. D'autre part, c'est un texte dit oralement, non pas devant un public réel, mais devant une caméra de télévision : il est donc difficile, périlleux, de s'adresser à haute voix

« télévisée, la première de la campagne électorale de Mitterrand à la télévision.

Elle a donc forcément un caractèregénéral : le candidat doit se présenter, se situer, dire pourquoi il est là.

D'autre part, c'est un texte dit oralement,non pas devant un public réel, mais devant une caméra de télévision : il est donc difficile, périlleux, de s'adresser àhaute voix au téléspectateur absent; l'orateur doit créer le lien avec son auditoire, et non pas seulement rassemblerdes arguments.

Le commentaire devra tenir compte de cet aspect. MOUVEMENT DU TEXTE ET CENTRES D'INTÉRÊT Le plan suivi par l'allocution de F.

Mitterrand ne ressort guère, mais il répond néanmoins aux diverses nécessitésd'une présentation de candidature :— Situation politique : fin du gaullisme;— Situation du pays : problèmes et enjeux;— Le rôle du candidat et sa justification (critique des rivaux);— L'engagement solennel d'être le Président de tous;— L'appel aux citoyens-électeurs.Le mouvement de ce texte n'est pas déterminant (encore qu'il soit assez différent de celui des premières allocutionsde ses concurrents).

Il ne nous oriente que sur le contenu du discours et l'on peut se demander si c'est vraiment cecontenu qui peut être convaincant : au moins faudra-t-il que la rhétorique du langage employé vienne relever labanalité inévitable des thèmes.Mais si nous lisons une seconde fois le texte et que nous nous rappelons les conditions d'émission de cetteallocution télévisée, nous n'aurons guère de peine à observer que l'orateur parle à la fois de lui-même et desFrançais : 382 / Textes argumentatifsla relation qu'il tente d'établir entre eux et lui, dans son discours, va donc être déterminante sur l'effet produit parson « message ».Nous tenterons donc d'exercer sur ce texte deux approches successives :1.

Premier centre d'intérêt : la nature de l'argumentation et la rhétorique employée;2.

Deuxième centre d'intérêt : la relation locuteur/auditeur, et son efficacité.Notons que lorsqu'un texte est aussi long, la lecture méthodique doit absolument être synthétique.

Expliquer cediscours au fil du texte, ce serait se perdre dans des sables mouvants... ARGUMENTATION ET RHÉTORIQUE Le contenu stéréotypé :« Tous les candidats disent la même chose.

»L'impression de banalité des thèmes développés vient de plusieurs raisons.

D'abord, c'est une première allocution :elle ne peut donc que rester dans les généralités.

Ensuite, chaque candidat s'adresse à tous les Français, et nonpas simplement à ceux de son parti : pour ne choquer personne, il doit donc gommer de son discoûrs ce qui pourraitparaître trop hardi, trop marqué politiquement.

Enfin, la situation de communication oblige à répondre à desquestions incontournables, à développer des thèmes classiques:— il faut dire quel est l'enjeu (le Président est mort, la Présidence est vide, la situation appelle des candidats);— il faut peindre une France à problèmes, qui a besoin de solutions et d'hommes compétents;— il faut définir le rôle du Président, puisqu'on prétend le devenir, et bien sûr, on ne peut minimiser cette fonction;— il faut dire ce qu'on veut faire, proposer un programme ou des perspectives générales : qui peut se dire contre leprogrès social, une France fraternelle ou la vocation internationale du pays?Ce qui est peut-être moins visible et plus subtil, c'est que tous ces lieux communs reviennent, en réalité, à per-mettre au candidat de donner une image crédible de lui-même.

Ainsi, présenter la situation historique comme grandiose c'est se vouloir l'homme de la situation; peindre lesproblèmes de la France, c'est la première démarche de celui qui veut se montrer capable de donner des solutions;définir le rôle présidentiel, c'est dessiner une image ambitieuse de soi-même; proposer un dessein politique, c'estdonner l'image de quelqu'un qui s'engage de façon désintéressée au service du pays.

En somme, tous les argumentsjouent au second degré, qui est l'image que donne l'orateur de lui-même en les utilisant (d'où l'importance de larhétorique qui les exprime).Ainsi, explicitement ou non, le seul véritable contenu de ce type d'allocution consistera dans la justification que lecandidat donne de sa candidature.

Car on n'imagine pas qu'un candidat puisse dire : je me présente parce que jedésire le pouvoir, cela fait des années que j'attends l'occasion, élisez-moi enfin !Si l'on considère un ensemble d'allocutions de ce type, on s'aperçoit qu'au fond, un candidat dispose de quatrearguments pour justifier sa candidature :(au-dessous) • La confiance, la poussée des Français ou catégories de Français dont le candidat se sait ou se veutreprésentatif.(au-dessus) • Le devoir, la mission, la vocation : l'appel de la France.(en arrière) • La garantie qu'offre le passé de l'homme politique, la lancée « naturelle » de son destin national.(en avant) • La volonté d'action, les projets d'avenir,les perspectives ou le programme proprement politique.. »

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