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FROISSART Jean : sa vie et son oeuvre

Publié le 06/12/2018

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FROISSART Jean (13377-1410?). Chantre de l’honneur chevaleresque et saint patron des « amateurs d’histoire-batailles », l’auteur des Chroniques fut aussi poète de cour. Le public d’aujourd’hui connaît mal le volet poétique de son œuvre et s'intéresse davantage à ces récits de combats, de tournois et de sièges si souvent montés en épingle dans les collections de morceaux choisis. Sans être le reflet fidèle d’une société, les Chroniques ne laissent pas moins entrevoir les éléments les plus accusés de l’idéologie chevaleresque, donnant ainsi un aperçu remarquable d’un monde où dominent prouesse, honneur et courtoisie, où la misère du peuple semble négligée, sauf à être « récupérée » par le truchement de quelques plaintes conventionnelles alléguant des infractions aux règles de la guerre ou bien les avanies de dame Fortune.
 
L’historien fréquente Froissart avec méfiance, alors que celui qui cherche à connaître les ressorts socioculturels des cercles aristocratiques et guerriers du xivc siècle le consulte avec profit. Sa conception de l’objectivité ne répond pas, bien sûr, aux exigences de la « nouvelle » histoire : il a cherché surtout à mettre en lumière les hautes emprises survenues au cours du conflit baptisé depuis « guerre de Cent Ans », sans parti pris quant à la nationalité de ceux qui s’y sont distingués. C’est un précepteur, qui veut édifier les jeunes, arrêter un peu le temps en prolongeant l’écho des bruits de tous ces combats exemplaires; mais c’est aussi un conteur, qui excelle à rendre le mouvement, le remue-ménage d’un champ de bataille, les jeux de lumière sur les heaumes et les lances, les pennons flottant au vent. Il sait traduire les émotions de ses personnages par un geste, un regard silencieux, dans des tableaux dramatiques souvent rehaussés par le recours au discours direct.
 
Un bourreau de travail
 
Né à Valenciennes, Froissart passe sa jeunesse en Hainaut avant d’embarquer en 1361 pour l'Angleterre, où il bénéficiera pendant huit ans de la protection de sa compatriote Philippine, épouse du roi Édouard III. C’est à Philippine qu’il présente son premier ouvrage historique, aujourd’hui perdu, et qui chanta peut-être en vers les grands succès militaires des Anglais jusqu’à la bataille de Poitiers. A Londres, Froissart passe son temps à composer des dittiers et t rai tiers amoureus, mais aussi à interroger les otages français logés dans la capitale en prison courtoise. Il obtient de cette manière des renseignements supplémentaires sur les hostilités franco-anglaises, lesquels seront incorporés plus tard dans la première rédaction en prose des Chroniques et complétés par d’autres témoignages recueillis à l’occasion de voyages de recherche en Écosse (1365), à Bruxelles (1366) et en Angleterre (1366). Au retour d’un voyage en Italie vers 1368 (mariage de Lionel de Clarence et de Violante Visconti à Milan), Froissart apprend la mort de Philippine et s’installe en Hainaut, où il entamera bientôt, pour un nouveau protecteur, Robert de Namur, la première version en prose du Premier Livre des Chroniques (terminée vers 1373). S’il abandonne le vers, c’est sans doute parce qu’il veut suivre l’exemple de Jean le Bel,
 
dont la Chronique (terminée en 1361) dénonce un ouvrage historique en vers où il y aurait « grand plenté de parolles controuvées et de redictes pour embelir la rime ». Pour donner une assise plus solide à son récit des événements de 1325-1350, Froissart ira jusqu’à transcrire, parfois mot à mot, certains « chapitres » de l’ouvrage de Jean le Bel, plagiat qui n’a rien d’extraordinaire à une époque où la citation (pratiquée souvent sans mention de sources) était un procédé courant qui rehaussait le mérite d’un ouvrage et en garantissait l’authenticité.
 
A partir de 1373, Froissart dispose de la cure des Estinnes-au-Mont, que lui cède Gui de Châtillon, comte de Blois, ce qui lui permet de pousser sa narration jusqu’en 1378 (« première rédaction révisée », texte de base de l’édition de S. Luce); mais en 1376 déjà, le comte de Blois lui commande une deuxième version du Premier Livre, appelée par Luce la « seconde rédaction », qui sera terminée à la fin de 1383 : elle contiendra des développements originaux dont on ne trouve pas trace dans la version antérieure (voir cependant à ce sujet le premier chapitre de J.-J.-N. Palmer, Froissart : Historian). Viennent ensuite de la plume de ce bourreau de travail un Deuxième Livre (guerres de Flandre) et un Troisième (affaires d’Espagne et règne de Richard II d’Angleterre). Un nouveau voyage entrepris en 1388, aux frais de son protecteur, lui permet de visiter la cour fastueuse de Gaston Phébus, comte de Foix-Béarn, à Orthez, où il se renseigne sur le conflit qui vient de se dérouler en Espagne et qui fournira la matière principale de son Troisième Livre (1389). Il corrigera cette version « castillane » des événements d’après les témoignages qu’il recueillera de la bouche d’un chevalier portugais, don Fernand Pachéco, à Middelbourg, en Zélande, vers 1390. Ayant assisté aux négociations de paix à Leulinghem, en 1392, Froissart reviendra pour une dernière fois en Angleterre en 1395, mais, en dépit de la réception favorable que lui accorde Richard II, ce séjour le déçoit, car tout a changé, et ses anciens amis ont presque tous disparu. Il finit ses jours en Hainaut, où il écrit son Quatrième Livre (règnes de Charles VI et de Richard II). Son tout dernier ouvrage est une refonte totale de la première partie (1325-1350) du Premier Livre, dite « troisième rédaction », dans laquelle il semble faire état de ses craintes touchant le sort de « Prouesse » dans un pays qui vient d’assister à la déposition et à l’assassinat de son souverain.
 
m Les Chroniques
 
Elles peuvent nous intéresser à plus d’un titre. A côté des grands morceaux de bravoure — batailles de Crécy et de Poitiers, bourgeois de Calais, amours d'Édouard III et de la comtesse de Salisbury, bal des Ardents, etc. — se trouvent des passages plus incertains, moins bien « encadrés ». Nous pensons par exemple au Troisième Livre, plus libre et plus désinvolte que les autres, où Froissart se permet de mêler le discours historique à d’autres types de récit : documentaire touristique sous forme de dialogue, reportage, anecdote, exemplum ou conte mythologique. Rappelons ici les tentatives répétées du chroniqueur pour tirer au clair la vérité sur le meurtre du jeune héritier de Foix-Béarn par son père Gaston Phébus : se mettant lui-même en scène pendant son voyage à cheval à travers la campagne béarnaise, Froissart ne cesse d’interroger son compagnon Espan de Lion, mais le fin fond de cette histoire obscure est constamment reporté, différé par le chevalier, et Froissart en est réduit à chercher ailleurs les détails du crime. C’est un vieil écuyer enfin qui consent — non sans maintes hésitations, combien délicieuses pour le lecteur! — à lui conter sa version des faits. Ce récit est donc enchâssé dans une narration de seconde main, de sorte que les


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« « faits » en question subissent un remaniement qui a pour effet de les occulter, de les mythifier.

Ce même procédé est employé dans le récit de l'envofitement de Pierre de Béarn, marqué à son tour par la « circulation » du mythe d'Actéon, si cher à Froissart, qui reparaît dans son roman Meliador ainsi que dans les dits narratifs : fait curieux d'intertextualité, dont Michel Zink a fait une analyse fort pénétrante.

Il convient aussi de souligner le grand intérêt des trois rédactions du Premier Livre, du point de vue historique mais aussi, et surtout, du point de vue litté­ raire.

Racontant, vers 1400, les préparatifs de guerre amorcés en 1333, Froissart reprend une allusion fort brève au rôle qu'y a joué l'émigré français �obert d'Ar­ tois, « qui ne cessoit nuit ne jour de lui [à Edouard III] remonstrer quel droit il avoit à la couronne de France>> (texte de la « première rédaction >>) pour en faire une harangue fort subtile en discours direct adressée au roi en pleine séance de conseil par Robert lui-même.

Chose curieuse, le chroniqueur nous propose des scènes drama­ tiques de ce genre, ornées de discours fictifs, surtout lorsque l'autorité, les droits ou la réputation d'un sei­ gneur légitime ' sont en jeu.

[Voir aussi CHRONIQUES MÉDIÉVALES].

(0 Les Poésies; Meliador Ce trait de caractère moralisateur et didactique repa­ raît dans les poésies, et surtout dans les longs dits narra­ tifs agrémentés de longues digressions mythologiques insérées à titre d'exempta et inventées, parfois, de toutes pièces.

Dans ces poèmes, dont le style et le cadre doivent beaucoup au Roman de la Rose de Guillaume de Lorris et aux œuvres de Guillaume de Machaut, Froissart fait évoluer ses personnages dans des décors courtois de rêve et de convention.

Il convient ici de souligner que les dits narratifs ont quelque peu souffert des déprédations d'une critique qui y a cherché avant tout des renseignements d'ordre biographique.

On a eu tort, par exemple, de trai­ ter comme des faits simplement « vécus » les jeux enfan- tins catalogués dans l' Espinette amoureuse W.W.

Kibler a vu au contraire comment ces jeux entrent bien dans une �érie de motifs qui ont pour but d'ironiser sur le caractère incertain et précaire du « service d'amour>>.

Le personnage qui dit «je>> dans ces poèmes est un être tant soit peu timide, qui se plaint de ses insuccès auprès de sa dame, et qui se peint sous les traits d'un naïf, bafoué, rejeté mais, au fond, optimiste.

Le charme de ces œuvres, cependant, provient justement de la distance ironique et enjouée que prend parfois le poète à l'égard de son , de « fasti­ dieux >> et d'>.

Les études de Peter F.

Dem­ bowski nous invitent cependant à le considérer d'un œil plus indulgent.

Le Meliador se place à 1' époque de la jeunesse des grands héros traditionnels du cycle arthu­ rien et se présente comme une somme de situations et d'aventures chevaleresques.

Les combats à cheval ou à pied, par exemple, semblent épuiser toutes les permuta­ tions permises par les conventions de la joute.

Tout se passe donc comme si Froissart cherchait à « fixer >> le tableau évanescent de la grande épopée chevaleresque, par 1' escripture (mot qui revient fréquemment sous sa plume), en la ramenant à sa pré-histoire, à ses origines.

Par là, cette œuvre bien ordennée rejoindrait les Chron i­ ques, et même les poésies.

Dans l'un et l' auttre cas, il s'agirait de «comprendre» le mythe et le fait chevale­ resque en les confondant, de les faire rentrer dans 1 'ordre, dans le canon de l'expérience médiévale, à un moment où précisément ils semblent menacés par un ordre nou­ veau, obscurément pressenti.

En un mot, de les. »

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