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Georges Bernanos, Sous le soleil de Satan

Publié le 22/02/2012

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M'aimes-tu ? » dit-elle tout à coup d'une voix où la plainte se faisait étrangement grave et dure. Puis elle ajouta aussitôt : Je te demande ça à cause d'une idée que j'ai dans la tête. Quelle idée ? M'aimes-tu ? » reprit-elle soudain de la même voix. En même temps, elle se levait, toute vibrante, ridiculement nue dans son manteau entrouvert, nue et menue, et dans les yeux ce même regard d'où l'orgueil était tombé. ... Réponds-moi ? dit-elle encore, réponds-moi vite ! Voyons... Germaine... Rien de ça ! s'écria-t-elle... Pas de ça ! Dis-moi seulement ; je t'aime !... oui... Comme ça ! » Elle renversait la tête, et fermait les yeux. Entre les lèvres tremblantes, il voyait les dures dents blanches, et l'haleine y faisait un léger sifflement, encore perceptible, dans le silence. Hé bien quoi ? fit-elle, c'est tout ? Tu n'oses pas dire ! » Elle se laissa glisser à ses pieds et réfléchit une minute, le menton dans ses deux mains jointes... Puis elle leva vers lui, de nouveau, ses yeux pleins de ruse. ... Va... va... va toujours, dit-elle en hochant la tête... Je sais que tu me hais... Moins que moi ! » fit-elle encore gravement. Et elle ajouta aussitôt : Seulement, toi... tu ne sais même pas ce que c'est. Ce que c'est, quoi ? Haïr et mépriser », dit-elle. Alors elle commença de parler avec une volubilité extrême, comme elle faisait chaque fois qu'un mot jeté au hasard réveillait au fond d'elle-même ce désir élémentaire, non pas la joie ou le tourment de cette petite âme obscure, mais cette âme même. Et dans la vibration de ce corps frêle et déjà réfléchi sous son éclatant linceul de chair, dans le rythme inconscient des mains ouvertes et refermées, dans l'élan retenu des épaules et des hanches infatigables, respirait quelque chose de la majesté des bêtes. « Vraiment ? tu n'as jamais senti... comment dire ? Cela vous vient comme une idée... comme un vertige... de se laisser tomber, glisser... d'aller jusqu'en bas — tout à fait — jusqu'au fond — où le mépris des imbéciles n'irait même pas vous chercher... Et puis, mon vieux, là encore, rien ne vous contente... quelque chose vous manque encore... Ah ! Jadis... que j'avais peur ! — d'une parole... d'un regard... de rien. Tiens ! cette vieille dame Sangnier... (mais si ! tu la connais : c'est la voisine de M. Rageot)... m'a-t-elle fait du mal, un jour ! — un jour que je passais sur le pont de Planques — en écartant de moi, bien vite, sa petite nièce Laure... « Hé quoi ! suis-je donc la peste ? », je me disais... Ah ! maintenant ! maintenant... maintenant... maintenant..., son mépris ; je voudrais aller au-devant ! » Georges Bernanos, Sous le soleil de Satan, Plon. Dans une chambre, une femme parle, un homme se tait, et le silence de l'un donne à l'autre la volubilité du vertige et de la déception : « Après l'amour vient une étrange tristesse », écrivait Spinoza, cette tristesse-là transformera Germaine, l'héroïne de Georges Bernanos, de victime en victimaire, en lui découvrant cette soif du Mal qui la conduira du meurtre au suicide. A partir d'une situation banale, dont la trivialité a même quelque chose de provoquant — leur étreinte défaite, un homme et une femme prennent conscience qu'ils ne se comprennent pas —, Bernanos a créé une scène forte où à travers ses métamorphoses le personnage de Germaine nous dévoile une nature perverse parce que polymorphe et l'extrême solitude dans laquelle elle se débat. Pourtant, le dialogue ne tourne pas au monologue, car le silence de l'homme pourra permettre au romancier de se glisser à son tour dans le récit.
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« réfléchit une minute...

» Le passé simple, des adverbes de temps ou des locutions adverbiales donnent au lecteur l'impression d'une urgence.

C'est bien le sens de l'agitation de la jeune femme, l'imminence d'unerévélation.

Dans l'espace clos de cette chambre où le temps semble filer plus vite, nous sommes à un instantcrucial de l'histoire de Mouchette. 1. L'animal Premier temps de métamorphose, la femme est un animal. « ...

il voyait les dures dents blanches, et l'haleine y faisait un léger sifflement...

» Un animal qui mord, qui siffle : le serpent.

Germaine devient venimeuse.

« Ses yeux pleins de ruse » : Un prédateur.

Elle acquiert enfin « la majesté des bêtes », écrit Bernanos.

Celle des « grands fauves ».

L'animalité réunit violence et sensualité, elle est également un caractère démoniaque. 2. La femme enfant Paradoxe ? Bernanos le résoud dans le surnom qu'il donne à son héroïne : Mouchette, la petite mouche.

« En même temps, elle se levait, toute vibrante, ridiculement nue dans son manteau entrouvert, nue et menue, etdans les yeux ce même regard d'où l'orgueil était tombé.

» 3. De la requête à la quête 4. Le texte commence par une question, une mise en question de l'amour, « — M'aimes-tu ? » il s'achève par une déclaration de haine « — Eh quoi suis-je donc la peste ? » Germaine bascule de l'amour à la haine.

Et c'est le silence de l'homme qui la fait basculer.

Elle plonge dans le vertige : la chute. Les premiers mots du texte sont une requête, une demande plaintive : « une voix où la plainte...

» — Les derniers mots également prononcés par Germaine sont au contraire l'expression d'une quête : « son mépris, je voudrais aller au devant ».

Elle demandait que l'amour vienne à elle, elle cherche comment aller au devant de la haine. Transition : Un temps fort du roman.

Germaine choit, c'est qu'il n'y a personne pour la retenir.

Elle s'est abandonné à l'homme qui ne sait pas la tenir, elle se livre alors au Mal. II.

QUEL INTERLOCUTEUR ? L'homme muet Contrastant avec la volubilité extrême de Germaine, le mutisme de son compagnon étrangement absent dans cette page.

Bernanos lui concède trois répliques : « Quelle idée ? », « Voyons...

Germaine...

», « Ce que c'est, quoi ? ».

Trois répliques et qui ne disent rien.

L'homme se contente de reprendre un mot, et ses questions ne signifient pas autre chose que son désintérêt ou son assoupissement.

Cette absence d'intérêt n'a d'égal quecelle que lui manifeste de son côté le romancier : nous ne saurons rien de cet homme, ni de ses réactions faceà Germaine.

La seule information, c'est précisément ce vide, ce néant par quoi Germaine bascule, ce gouffre desilence et d'indifférence. 1. Le romancier 2. A première vue la page proposée est composite.

Les éléments d'un pseudo-dialogue (nous avons noté la fragileconsistance de l'interlocuteur de Germaine) alternent avec des fragments de récit où le romancier pèse de toutson arbitrage.

C'est lui qui fait subir à Mouchette ses métamorphoses, lui qui interprète ses attitudes à traversle prisme animalier, lui enfin qui choisit d'escamoter l'autre homme.

En réalité, on peut lire à travers le fauxdialogue un véritable échange entre le créateur et sa créature. CONCLUSION REDIGEE Le silence de l'Homme joue dans la scène un rôle moteur : il suscite les métamorphoses de Germaine et rapproche leromancier de sa créature.

De fait, il est clair que Bernanos entretint avec ses personnages féminins des relationsfondées sur la fascination.

Elles se ressemblent d'ailleurs toutes, ces adolescentes orgueilleuses qui de Mouchette àChantal (dans la Joie) peuplent l'oeuvre romanesque de Georges Bernanos.

Ainsi de Mouchette nous pouvons dire non seulement que son « Histoire » ouvre le roman mais surtout qu'elle inaugure un type de personnage qui deviendra familier à l'auteur de Sous le soleil de Satan, celui de la femme-enfant, sauvage et traquée, la petite mouche prise au piège de la toile d'araignée sociale, bien sûre, mais aussi du tissu romanesque.. »

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