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Georges Rodenbach: Le Règne du silence. En province

Publié le 15/02/2012

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XXIV En province, dans la langueur matutinale Tinte le carillon, tinte dans la douceur De l’aube qui regarde avec des yeux de sœur, Tinte le carillon, — et sa musique pâle S’effeuille fleur à fleur sur les toits d’alentour, Et sur les escaliers des pignons noirs s’effeuille Comme un bouquet de sons mouillés que le vent cueille : Musique du matin qui tombe de la tour,

Qui tombe de très loin en guirlandes fanées, Qui tombe de naguère en invisibles lis, En pétales si lents, si froids et si pâlis Qu’ils semblent s’effeuiller du front mort des années.

Ces jolis vers sont nés presque spontanément sous la. plume de Rodenbach. Son enfance, son adolescence studieuse s'écoulèrent non à Bruges, comme le pourrait laisser croire le titre d'une de ses oeuvr plus célèbres (1), mais à Gand, à proximité d'un béguinage. Les sonner cet enclos mystique, échelonnées tout le long du jour, parlaient à son âme rêveuse, lui contaient la vie des pieuses reelues. Et sur ces impressions définitives ont germé des vers mélancoliques et attendris, doux comme des cantiques....

« Vers 3.

- Et voici l'Aube personnifiee, tout comme dans l'antiquite, 1' « Aurore aux doigts de rose a qui la suit.

Pokes et prosateurs ont sou- vent use de cette fiction, et facilement, a In reprendre, on tomberait dans le fade et le rebattu.

C'est le secret des bons ecrivains de rajeunir ces images. Rodenbach y reussit pleinement.

Pour mieux caracteriser ce que l'aube - premier regard du jour -a de candide et de tendre, it lui prete des yeux de sceur.

Ces mots nous rappellent la jolie lettre de Louis Veuillot (1), depei- gnant les « apprets du lever de l'Aurore a : ...« Elle a ouvert sa fenetre et passé la tete.

J'ai vu tout son visage.

ll est agreable.

C'est une physionomie palotte, mais souriante, fraiche, avec une pointe de melancolie : figure-toi sceur Olga (de Segur) dans une minute d'attendrissement...

» Le mot swur revient d'ailleurs souvent dans les vers de Rodenbach; it marque ainsi la parente mystique qui l'unit aux choses.

De Bruges it dira : « Ville morte, ma sceur!... Vers 4.

- Pour la troisierne fois revient le verbe tinte et le premier hemis- tiche des vers 2 et 4 sont exactement les memes.

Un adjectif definit la musique du carillon : elle est pdle.

Nous sommes en presence d'une de ces transpositions que le Parnasse await pratiquees et qui chez les symbolistes est d'un usage courant.

Mallarme park de la « blancheur sanglotante du lys », des « blancs sanglots » que des seraphins tirent de leurs violes.

Il entend l'Azur « qui chante dans les cloches a et des « bleus angelus a sor- tant du « metal vivant a.

Mais ici l'expression de Rodenbach nous parait plus simple, plus comprehensible.

Ce rapprochement de la vue et de l'ouIe, nous en usons dans la conversation courante; nous disons : une voix blan- che, une voix pale.

Appliquee a la musique du carillon, sans éclat ni cha- leur, grele et affaiblie par la distance, cette epithete est d'une parfaite jus- tesse. Vers 5.

- Trois lois le poke a repete le verbe tinter; trots fois, dans un but analogue, aux 5°, 6° et 12° vers, it reprend le verbe L'un des caracteres les plus marques des carillons c'est d'egrener, d'effeuiller les notes, c'est leur incapacite a les Her entre elles, en sorte que leurs melodies sont toujours fragmentees.

Une note s'envole du campanile, puis tine autre qui semble courir apres la premiere et cette volee de sons fait penser a de legers petales qui tourbillonnent dans les airs avant de se poser sur les toils d'alentour et, vers 6, sur les escaliers des pignons.

Cette disposition en escalier ou en gradins est fort repandue dans la Belgique flamande et wal- lonne, et aussi dans les vieilles vines allemandes.

Au temps oil les maisons avaient « pignon sur rue », on s'appliquait a donner a celui-ci des formes et tine decoration aussi plaisantes que possible; on le decorait de peintures, on y inscrivait des sentences que le passant dechiffrait et comparait.

Tout un passé artistique revit dans ce mot « escalier a ; le symbolisme recherche les vocables evocateurs. Vers 7.

- Au centre du moreeau, goiitons a loisir un delicieux alexandrin, bien symliolique, lui aussi, par sa double transposition et sa facture irre- guliere.

Le symboliste est souvent beaucoup plus pres du reel qu'on pour- rait le supposer.

Apres avoir remarque comment certains sons, plus rap- proches les uns des autres, semblentse regrouper dans les airs, la comparaison toute naturelle du bouquet lui vient a l'esprit (premiere trans- position).

Nous savons bien qu'un bouquet est compose de fleurs pourvues de leurs queues et que des sons ne peuvent formuler un bouquet.

Et cepen- dant le rapprochement de ces deux choses de nature si differente : l'une materielle, palpable, qui relive de la vue et du toucher; l'autre, impon- derable, invisible et quasi mysterieuse, qui n'affecte que l'ouie, ne nous choque en aucune facon.

Inutile, pour l'expliquer, de recourir a la forme que nous donnons aux blanches, aux noires et aux croches, pourvues, comme les fleurs, d'une queue!...

Et ce bouquet de sons, dont nous savons la provenance, semble mouille au subtit poete (cleuxieme transposition).

Des sons ne sauraient etre ni secs, ni mouilles, pour In merne raison qu'ils ne sauraient former de bouquets. Outre que ce prolongement de l'image anterieure nous parait normal, l'epi- thete mouilles se justifie aisement.

Dans la fraicheur du main, l'air d'une vine sillonnee par des canaux est plus humide ,qu'au soleil de midi et les sons, traversant cette atmosphere moite, s'impregnent pour ainsi dire des (1) Analyse en juin 1936 (No 108).

Aurore estivate. Vers 3.

- Et voici l'Aube personnifiée, tout comme dans L'antiquité, l' « Aurore aux doigts de rose » qui la suit.

Poétes et prosateurs ont sou­ vent usé de cette fiction, et facilement, à la reprendre, on tomberait dans le fade et le rebattu.

C'est le secret des bons écrivains de rajeunir ces images.

Rodenbach y réussit pleinement.

Pour mieux caractériser ce que l'aube - premier regard du jour - a de candide et de tendre, il lui prête des yeux de sœur.

Ces mots nous rappellent la jolie lettre de Louis Veuillot (1), dépei­ gnant les «apprêts du lever de l'Aurore» : ...

«Elle a ouvert sa fenêtre et passé la tête.

J'ai vu tout son visage.

Il est agréable.

C'est une physionomie pâlotte, mais souriante, fraîche, avec une pointe de mélancolie : figure-toi sœur Olga (de Ségur) dans une minute d'attendrissement ...

» Le mot sœur revient d'ailleurs souvent dans les vers de Rodenbach; il marque.

ainsi la parenté mystique qui l'unit aux choses.

De Bruges il dira : « Ville morte, ma sœur!.

..

» Vers 4.- Pour la troisième fois revient le verbe tinte et le premier hémis­ tiche des vers 2 et 4 sont exactement les mêmes.

Un adjectif définit la musique du carillon : elle est pâle.

Nous sommes en présence d'une de ces transrositions que le Parnasse avait pratiquées et qui chez les symbolistes est d un usage courant.

Mallarmé parle de la « blancheur sanglotante du lys », des « blancs sanglots » que des séraphins tirent de leurs violes.

Il entend l'Azur « qui chante dans les cloches » et des « bleus angelus » sor­ tant du « métal vivant».

Mais ici l'expression de Rodenbach nous paraît plus simple, plus compréhensible.

Ce rapprochement de la vue et de l'ouïe, nous en usons dans la conversation courante; nous disons : une voix blan­ che, une voix pâle.

Appliquée à la musique du carillon, sans éclat ni cha­ leur, grêle et affaiblie par la distance, cette épithète est d'une parfaite jus­ tesse.

Vers 5.

- Trois fois le poète a répété le verbe tinter; trois fois, dans un but analogue, aux 5•, 6" et 12• vers, il reprend le verbe s'effeuiller.

L'un des caractères les plus marqués des carillons c'est d'égrener, d'effeuiller les notes, c'est leur incapacite à les lier entre elles, en sorte que leurs mélodies sont toujours fragmentées.

Une note s'envole du campanile, puis une autre qui semble courir après la première et cette volée de sons fait penser à de légers pétales qui tourbillonnent dans les airs avant de se poser sur les toits d'alentour et, vers 6, sur les escaliers des pignons.

Cette disposition en escalier ou en gradins est fort ré~andue dans la Belgique flamande et wal­ lonne, et aussi dans les vieilles villes allemandes.

Au temps où les maisons avaient « pignon sur rue », on s'appliquait à donner à celui-ci des formes et une décoration aussi plaisantes que possible; on le décorait de peintures, on y inscrivait des sentences que le passant déchiffrait et comparait.

Tout un pass.é artistique revit dans ce mot « escalier » ; le symbolisme recherche les vocables évocateurs.

Vers 7.- Au centre du morceau, goûtons à loisir un délicieux alexandrin, bien symJlolique, lui aussi, par sa double transposition et sa facture irré­ gulière.

Le symboliste est souvent beaucoup plus près du réel qu'on pour­ rait le supposer.

Après avoir remarqué comment certains sons, plus rap­ prochés les uns des autre.s, semblent se regrouper dans les airs, la comparaison toute naturelle dtl bouquet lui vient à l'esprit (première trans­ position).

Nous savons bien qu'un bouquet est composé de fleurs pourvues de leurs queues et que des sons ne peuvent formuler un bouquet.

Et cepen­ dant le rapprochement de ces deux choses de nature si différente : l'une matérielle, palpable, qui relève de 1a vue et du toucher; l'autre, impon­ dérable, invisible et quasi mystérieuse.

qui n'affecte que l'ouïe, ne nous choque en aucune façon.

Inutile, pour l'expliquer, de recourir à la forme que nous donnons aux blanches, aux noires et aux croches, pourvues, comme les fleurs, d'une queue!.

..

Et ce bouquet de sons, dont nous savons la provenance, semble mouillé au subtil :poète (deuxième transposition).

Des sons ne sauraient être ni secs, ni mouilles, pour la même raison qu'ils ne sauraient former de bouquets.

Outre que ce prolongement de l'image antérieure nous paraît normal, l'épi­ thète mouillés se justifie aisément.

Dans la fraîcheur du matin, l'air d'une ville sillonnée par des canaux est plus humide qu'au soleil de midi et les sons, traversant cette atmosphère moite, s'imprègnent pour ainsi dire des (1) Analysé en juin 1936 (N• 108).

Am·ore estiuale.. »

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