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Gérard de NERVAL, Sylvie

Publié le 01/02/2011

Extrait du document

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L'auteur a passé une partie de son enfance dans la charmante province du Valois, au nord de Paris, Il y est retourné de nombreuses années plus tard, et a fait une sorte de pèlerinage aux lieux qu'il a connus et aimés parmi lesquels le parc et le château d'Ermenonville. Plus tard encore il recompose dans son souvenir cette promenade.

... Lorsque je vis briller les eaux du lac à travers les branches des saules, et des coudriers, je reconnus tout à fait un lieu où mon oncle, dans ses promenades, m'avait conduit bien des fois : c'est le Temple de la Philosophie que son fondateur n'a pas eu le bonheur de terminer. Il a la forme du temple de la Sibylle Tiburtine (1), et, debout encore, sous l'abri d'un bouquet de pins, il étale tous ces grands noms de la pensée qui commencent par Montaigne et Descartes et s'arrêtent à Rousseau. Cet édifice inachevé n'est déjà Plus qu'une ruine, le lierre le festonne avec grâce, la ronce envahit les marches disjointes. Là, tout enfant, j'ai vu des fêtes où les jeunes filles vêtues de blanc venaient recevoir des prix d'étude et de sagesse. Où sont les buissons de roses qui entouraient la colline? L'églantier et le framboisier en cachent les derniers plants qui retournent à l'état sauvage. Quant aux lauriers, les a-t-on coupés, comme dit la chanson des jeunes filles qui ne veulent plus aller au bois? Non, ces arbustes de la douce Italie ont péri sous notre ciel brumeux... Oui, ce temple tombe comme tant d'autres, la nature indifférente reprendra le terrain que l'art lui disputait... Voici les peupliers de l'île et la tombe de Rousseau vide de ses cendres. J'ai revu le château, les eaux paisibles qui le bordent, la cascade qui gémit dans les roches, la pelouse qui s'étend au-delà comme une savane, dominée par des coteaux ombreux; la tour de Gabrielle (2) se reflète de loin sur les eaux d'un lac étoilé de fleurs éphémères, l'écume bouillonne, l'insecte bruit... Que tout cela est solitaire et triste !

Gérard de NERVAL, Sylvie, 1853.

1. Le temple rond de Tivoli en Italie. 2. Gabrielle d'Estrées, amante du roi Henri IV.

Dans un commentaire composé, vous vous efforcerez de mettre en valeur les thèmes lyriques de cette sorte de promenade-méditation et l'art de les exprimer. Vous montrerez tout particulièrement comment se mêlent l'évocation du passé et la description du présent et comment sont suggérés les sentiments de l'auteur.

DÉVELOPPEMENT PROPOSÉ

Introduction

L'oeuvre de Gérard de Nerval, Sylvie, dont ce texte est tiré n'est ni un roman, ni un recueil de souvenirs, mais un récit à la fois réel et imaginaire, une sorte de rêve éveillé qui mêle les épisodes narratifs, les descriptions champêtres et les souvenirs de jeunesse, les scènes rustiques et les aventures mythiques. Mais l'ensemble ne paraît ni obscur ni disparate : l'unité est assurée par la présence du narrateur, âme sensible et mélancolique, plus sujette aux charmes du songe qu'aux violences de la passion. Gérard de Nerval fut un des premiers romantiques français, mais bien qu'il eût suscité des amitiés fidèles et des admirations sincères, il resta toujours un peu en marge des écoles et des cénacles. 

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« lauriers de jadis ont disparu...

et beaucoup de souvenirs sont suggérés, presque chuchotés.

La mode des ruines,dont les tableaux d'Hubert Robert offraient déjà le témoignage au xviiie siècle, se retrouve ici : il s'agissait, il estvrai, d'un temple récent et symbolique — la philosophie ne fut-elle pas une sorte de religion de la raison? — mais lesruines sont réelles : en quelques années les ronces ont envahi les marches disjointes, le lierre a recouvert l'édifice.D'ailleurs Chateaubriand avait appris au lecteur du Génie du Christianisme que ce n'est pas l'âge d'un monument quifait sa valeur mais les souvenirs et les sentiments que les générations successives y ont attachés...Il est d'ailleurs un thème plus vague peut-être, mais fort poétique qui rassemble tous les autres, c'est celui de lafuite du temps, de la mort des êtres et des choses, ou de leur éloignement qui est encore une forme de la mort.Cette idée qui est sans cesse à l'arrière-plan de la pensée et de la sensibilité de Nerval se développe dans la plusgrande partie du texte : le temple est ruiné, les roses ont disparu, les lauriers ont péri, les jeunes filles ne sont quedes fantômes, la tombe est vide, la nature se montre indifférente, comme dans Le lac, Souvenir, Tristessed'Olympie', La maison du berger (3e partie)...

Il ne reste que solitude et tristesse, comme dans les pagesconsacrées au souvenir de Combourg au début des Mémoires d'Outre-tombe, lorsque Chateaubriand revoit lechâteau abandonné... 2.

Le souvenir et la méditationCes thèmes sont singulièrement mis en valeur par la conception même de l'ensemble de cette page, véritable poèmeen prose.

En effet chacun d'eux se trouve inséré dans le mouvement, disons plutôt la progression des émotions decette promenade bien nommée « promenade-méditation », où la réalité, c'est-à-dire les objets rencontrés au hasardd'une marche lente et incertaine, et les souvenirs spontanément jaillis dans l'âme et dans le coeur s'associentnaturellement.Tout d'abord c'est le reflet des eaux du lac à travers les branches qui, tel un miroir d'hypnotiseur, fait surgir l'imagedu Temple tout proche, lequel va rappeler à son tour la Sibylle de Tibur, Tivoli et les voyages d'Italie...Or ce lieu était le décor des merveilleuses fêtes rustiques dont la mémoire du poète est pleine.

Et il y avait aussi lesroses de la colline — disparues à présent —, et les lauriers, morts de nostalgie ou de froid, ce qui amène une penséefugitive sur la cruauté de la nature.Mais les images s'imposent toujours, le château, les eaux paisibles, la cascade, la pelouse, les coteaux, la tour deGabrielle, qui finissent par former une véritable séquence cinématographique correspondant au mouvement tournantde la caméra...L'histoire se glisse tout naturellement au milieu de ces images : c'est la belle Gabrielle d'Estrées, maîtresse d'un roi —on peut même rêver un instant qu'il s'agit d'une incarnation de la femme idéale sans cesse cherchée, sans cesseperdue par le poète — dont la silhouette est tout à coup surimposée aux fleurs, aux eaux, aux bouillonnements del'écume... 3.

PoésieCette succession d'images et d'émotion ne diffère guère de la « poésie ininterrompue » dont rêva Paul Eluard.L'exclamation finale « Que tout cela est solitaire et triste » rompt le charme, comme si l'auteur reprenant conscienceet lucidité voulait résumer tout cet état d'âme, en le reconnaissant pour sien...Si on étudie les rythmes et la musique de cette composition, on y trouve le même caractère de continuité, et lemême équilibre mélancolique, sur ce que Verlaine appelle le « mode mineur »...

Pas de coupure nette, mais desrythmes différents qui se succèdent insensiblement...Prenons comme exemples quatre phrases particulièrement longues qui constituent l'essentiel du texte :« Lorsque je vis briller les eaux du lac...

à Rousseau.

»Dans ces deux phrases du début, la régularité est créée par l'ampleur du mouvement : une longue subordonnée,suivie d'une principale complétée par une relative importante, juxtaposée à une principale également complétée parune relative; encore une principale, suivie d'une principale coordonnée, complétée par une relative...

De nombreuxcompléments circonstanciels ralentissent encore l'allure de ce début : à travers les branches des saules, et descoudriers..., dans ses promenades...; bien des fois..., sous l'abri d'un bouquet de pins...Après une phrase de transition, en trois parties, sur un rythme également lent « cet édifice.., le lierre.., la ronce...

»une autre phrase d'une musique toute différente : « Là tout enfant...

»Suivant un début lent et coupé, un grand élan traduit toute la vision du passé « j'ai vu des fêtes...

»; puis touteune série de questions qui rendent la confidence plus pressante et font participer le lecteur à l'évocation, peut-êtreavec un rappel de François Villon « Mais où sont les neiges d'antan? » : « Où sont les buissons de roses? Quant auxlauriers, les a-t-on coupés?...

Non, ces arbustes...

Oui ce temple...

» Cette légère accélération aboutit à une amplephrase qui s'élargit progressivement : « J'ai revu le château/les eaux paisibles qui le bordent/la cascade qui gémit dans les roches/la pelouse qui s'étend comme une savane dominée par des coteaux ombreux/ », à laquelle répond la phrase suivante qui, au contraire, diminue peu à peu : La tour de Gabrielle se reflète de loin sur les eaux d'un lac étoilé de fleurs éphémères/l'écume bouillonne/. »

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