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Gorge coupée: Michel LEIRIS, L'Age d'homme

Publié le 05/06/2011

Extrait du document

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Agé de cinq ou six ans, je fus victime d'une agression. Je veux dire que je subis dans la gorge une opération qui consista à m'enlever des végétations; l'intervention eut lieu d'une manière très brutale, sans que je fusse anesthésié. Mes parents avaient d'abord commis la faute de m'emmener chez le chirurgien sans me dire où ils me conduisaient. Si mes souvenirs sont justes, je m'imaginais que nous allions au cirque; j'étais donc très loin de prévoir le tour sinistre que me réservaient le vieux médecin de la famille, qui assistait le chirurgien, et ce dernier lui-même. Cela se déroula, point pour point, ainsi qu'un coup monté et j'eus le sentiment qu'on m'avait attiré dans un abominable guet-apens. Voici comment les choses se passèrent : laissant mes parents dans le salon d'attente, le vieux médecin m'amena jusqu'au chirurgien, qui se tenait dans une autre pièce en grande barbe noire et blanche (telle est, du moins, l'image d'ogre que j'en ai gardée) ; j'aperçus des instruments tranchants et, sans doute, eussé-je l'air effrayé car, me prenant sur ses genoux, le vieux médecin dit pour me rassurer : « Viens, mon petit coco — On va jouer à faire la cuisine «. A partir de ce moment je ne me souviens plus de rien, sinon de l'attaque soudaine du chirurgien qui plongea un outil dans ma gorge, de la douleur que je ressentis et du cri de bête qu'on éventre que je poussai. Ma mère, qui m'entendit d'à côté, fut effarée. Dans le fiacre qui nous ramena je ne dis pas un mot; le choc avait été si violent que pendant vingt-quatre heures il fut impossible de m'arracher une seule parole; ma mère, complètement désorientée, se demandait si je n'étais pas devenu muet. Tout ce que je me rappelle de la période qui suivit immédiatement l'opération, c'est le retour en fiacre, les vaines tentatives de mes parents pour me faire parler puis, à la maison : ma mère me tenant dans ses bras devant la cheminée du salon, les sorbets qu'on me faisait avaler, le sang qu'à diverses reprises je dégurgitai et qui se confondait pour moi avec la couleur fraise des sorbets. Ce souvenir est, je crois, le plus pénible de mes souvenirs d'enfance. Non seulement je ne comprenais pas que l'on m'eût fait si mal, mais j'avais la notion d'une duperie, d'un piège, d'une perfidie atroce de la part des adultes, qui ne m'avaient amadoué que pour se livrer sur ma personne à la plus sauvage agression.

Michel LEIRIS, L'Age d'homme, 1939

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« — Justifier l'orthographe d'un verbe, c'est trouver quel est son sujet.— Les propositions introduites par « si » peuvent être des conjonctives (à valeur d'hypothèse, de condition) ou desinterrogatives.— Le pronom relatif remplit toutes les fonctions du nom. RÉPONDREa) Réservaient a deux sujets : le vieux médecin de famille et ce dernier lui-même (qui renvoie à chirurgien).b) Si mes souvenirs sont justes : proposition subordonnée conjonctive, complément circonstanciel de condition duverbe imaginer.Si je n'étais pas devenu muet : proposition subordonnée interrogative, complément d'objet direct du verbe sedemander.c) Qu' : pronom relatif, complément d'objet direct du verbe éventrer.

Que : pronom relatif, complément d'objetdirect du verbe pousser.d) Le passé simple est le temps du récit au passé.

Il introduit un plus grand écart dans le temps que le passécomposé qui est le temps du discours. C — COMPRÉHENSION (5 points)a) Quels sentiments l'enfant a-t-il, dans la réalité, successivement ressentis?b) Quelles sont les deux accusations portées contre les adultes? Relevez leur champ lexical (vocabulaire).RÉAGIR— Relevez tous les termes qui soulignent un sentiment éprouvé par l'enfant, et replacez-les dans un ordrechronologique.— Etablir un champ lexical c'est noter tous les termes qui expriment la même idée. RÉPONDREa) L'enfant ressentit d'abord de la joie, et même de l'excitation à l'idée d'assister à un spectacle.

Puis il connut lafrayeur et la douleur.

Sous le choc il sombra dans l'inconscience.

Ses sentiments ultimes furent l'incompréhensionface à la douleur ressentie et la trahison de ses parents.b) Violence : agression, très brutale, sinistre, abominable, ogre, attaque soudaine, éventre, cri.Perfidie : sans me dire, tour sinistre, coup monté, abominable guet-apens, duperie, piège, perfidie atroce, amadouéque pour. D — COMPOSITION FRANÇAISE (15 pts)Vous traiterez l'un des sujets suivants :1.

Rédigez la lettre que la mère du petit Michel écrit à une amie pour lui faire ce même récit de son point de vue àelle.2.

Peut-on toujours dire toute la vérité aux enfants? RÉAGIR— La lettre va permettre de donner un autre point de vue sur la scène décrite.

Inspirez-vous du texte initial en engommant tous les aspects personnels liés au narrateur.— Le sujet est bref mais il demande une réelle réflexion sur les cas où la vérité peut être dite et ceux où elle doitêtre tue.RÉDIGER Premier sujet Chère amie,Comme je te l'avais dit dans ma précédente lettre, nous avons dû faire opérer Michel.

Ce ne fut guère plaisantcomme tu peux l'imaginer.

Nous n'avions, son père et moi, pas le courage de lui expliquer ce qui allait se produire cetaprès-midi-là.

Nous avons peut-être commis une erreur, mais nous avons estimé que le mieux serait de lui fairecroire que nous l'emmenions au cirque.

Pourquoi le cirque me demanderas-tu? Je crois que c'est tout simplementparce que c'est la seule idée qui nous est venue ! Michel ne s'est pas étonné que nous passions d'abord chez lemédecin.

Mon mari et moi étions paralysés, nous ne savions que dire ni que faire.

Michel, qui ne pouvait se douter,feuilletait des magazines.

Heureusement l'attente n'a pas été trop longue, le rendez-vous étant pris de longue date.Le pauvre enfant a suivi le médecin en se demandant visiblement pourquoi nous ne venions pas.

Quelques minutesont passé...

Et soudain un cri horrible a percé nos tympans.

J'ai cru m'évanouir.

Mon mari s'est précipité vers moi.

Jedevais être cadavérique.

Puis il y a eu le retour.

Michel ne pouvait parler malgré les efforts que nous produisions sonpère et moi.

Ont suivi vingt-quatre heures d'angoisse.

On nous avait conseillé de faire avaler à l'enfant de la glace.Ce que j'ai fait.

Mais il avait la gorge ensanglantée et il régurgitait une bouillie rouge dont je ne savais si c'était dusang ou le sorbet à la fraise.

Et Michel ne parlait toujours pas ! J'étais folle d'angoisse ! Enfin tout est rentré dansl'ordre.

Mais je ne sais si je le referais sachant maintenant ce qu'il en est.. »

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