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Grand oral du bac : Les maîtres de l'éloquence

Publié le 10/11/2018

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LES RACINES ANTIQUES

Les textes grecs révèlent les premières préoccupations de l'homme concernant le débat : dès L'Iliade d'Homère, son importance initie une discipline qui va connaître des raffinements incessants.

L'éloquence GRECQUE

• Le discours oral est très important dans la Cité athénienne. Les pythagoriciens seraient les premiers à réfléchir sur l'efficacité des paroles (en particulier dans les affaires judiciaires) :dès le Ve siècle av. J.-C., ou «siècle de Périclès», Corax définit la rhétorique comme un art «créateur de persuasion», et Tisias élabore un «art oratoire», les deux s'accordant sur la priorité du vraisemblable sur le vrai.

• Platon {427-347 av. J.-C) reprochera précisément leur manque de moralité aux héritiers de cette pensée, en particulier aux sophistes, comme Protagoras (v. 486-410} et Gorgias (v. 485-v. 380}, qui visent la réussite, en passant par la séduction de l'auditoire. Leur rhétorique repose en effet sur la considération pratique des actions et des réactions humaines, plus que sur les idées en elles-mêmes et sur les valeurs. En cela, ils portent une attention réelle au caractère psychologique et social de l'homme (orateur et auditeur), et pensent la parole comme un média inscrit dans l'actualité et qu'il convient d'apprendre à maîtriser - ce qui conduit aussi aux premières ébauches de grammaires et de stylistiques.

• La Rhétorique d'Aristote (384-322), grand texte fondateur, comprend une partie consacrée au syllogisme (logique de l'argumentation), une seconde aux passions et une dernière au style. Aristote, se recentrant sur l'homme, y compris dans sa contingence, estime nécessaire de réfléchir sur les formes de la communication et propose des classements systématiques de celles-ci, qu'il tente de réconcilier avec la pensée philosophique. La rhétorique aristotélicienne reste toutefois définie comme un art de la persuasion, sans toujours reposer sur des principes ou des objets définis et certains, puisqu'elle réserve une place de choix à l'enthymème, syllogisme fondé sur la vraisemblance. L'ethos - ou le caractère et la fiabilité - de l'orateur et le pathos, émotion de ceux à qui il s'adresse, prennent dès lors toute leur importance, à côté du logos, propre à l'argument Trois genres de discours sont également définis par le philosophe : le délibératif, qui fait soupeser l'intérêt d'une action; le judiciaire, qui concerne le jugement relatif à des actions passées; l'épidictique, qui porte sur l'appréciation d'un éloge ou d'une censure. Chacun comprend ses types d'arguments spécifiques. Aristote élabore encore la théorie des lieux communs ou topoï, catégories

EXPERTS DU BIEN DIRE

L’éloquence, avant de devenir un ensemble de règles concernant le discours et l'écriture, jusqu'à devenir parfois une stylistique, puise ses racines dans la rhétorique, qui est parfois prise comme son synonyme.

 

La rhétorique serait apparue vers le viiie -vie siècle avant notre ère, c'est-à-dire, dans l'histoire de l'humanité, au moment de la conversion d'une pensée mythique en une pensée théorique : en même temps qu'il met en place le régime démocratique en Gréce, l'homme développe ses facultés argumentatives et fictionnelles, cherche à construire des discours persuasifs, illustrant le mieux possible les idées à défendre, les jugements à établir, les éloges à composer. La chrétienté reprendra les versions antiques de l'éloquence mise au service de la foi, en faisant de la parole et du récit les vecteurs de la persuasion et des sentiments, contre la raison dialectique.

Les siècles suivants approfondissent réinventent et diversifient ces réflexions et ces méthodes sur le «bien dire», tour à tour critiquées comme décadentes, car cherchant l'efficacité plus que le vrai, puis mises au service de celui-ci, ensuite réduites à des canons littéraires, critiquées parfois parce qu'opposées à la liberté créatrice et au sentiment naturel, enfin remises au goût du jour au nom de la communication ...

L'éloquence est en fait aussi ancienne que la parole, et nombre de grands maîtres balisent l'histoire de la pensée et de la littérature.

LA DIALECTIQUE

 

La dialectique se distingue de la rhétorique en tant qu'art de la discussion qui prend en compte le contenu du discours, et reste revendiquée par les philosophes d'inspiration idéaliste comme une technique plus honnête, qui fait progresser les idées; elle tend à accuser la rhétorique de se soucier seulement de l'opinion et de la forme - opposition qui réapparaît dans des débats ultérieurs récurrents, esthétiques aussi bien que politiques.

« • Pierre de La Ramée {1515-1572) recentre la rhétorique sur le choix des contenus, en négligeant davantage les aspects formels du discours : il engage ainsi une nouvelle façon de définir le savoir au sein du discours, plus relatif, et réordonne les figures de style.

• La position catholique met davantage en valeur la beauté sublime des textes sacrés, dont la vérité demeure en partie inaccessible -ce que l'esthétique baroque exaltera.

• Sur le plan politique, l'éloquence répond également à de nouvelles exigences : celles des cours italiennes et espagnoles par exemple, que sert Baldassare Castiglione (1478-1529), auteur du fameux traité du Courtisan.

• Ces pensées ne vont pas sans travail sur la langue : l'aspect philologique de la rhétorique n'est pas en reste, et les grammaires philosophiques comme celle de Scaliger {1484-1558) se multiplient.

l'ESPRIT BAROQUE • La Contre-Réforme est mise en place par le pouvoir catholique pour ramener ses ouailles à la vraie foi, ce qui entraîne une revalorisation de l'éloquence envisagée comme outil de persuasion et d'enseignement -et correspond, dans son ensemble, à l'esthétique baroque, qui se développe jusqu'au milieu du XVIWSiècle.

• Les jésuites sont célèbres pour avoir raffiné la technicité de la rhétorique cicéronienne, en mettant en avant la culture des lettres plutôt que la logique et la philosophie.

• D'autres courants existent, au sein de l'Église, mais aussi dans l'institution judiciaire, qui mettent en avant l'inspiration pieuse et naturelle, dénonçant les risques d'une corruption de l'éloquence : la magistrature, avec Guillaume Du Vair (1556-162 1), réactive le débat sur la décadence, qui sous-tend la question de l'éloquence depuis ses origines.

Les prédications, dans tous les cas, se multiplient En Grande-Bretagne, l'anglicanisme voit s'épanouir des conceptions du langage favorisant ,fi_ ..

,/ '� la représentation la plus juste, dont celle du sentimen� à la fois dans son raffinement complexe et dans la visée d'une grande pureté.

Les sermons et poésies de John Donne (157 2-1631) en témoignent.

• De manière générale, l'éloquence de cette période met le pathos en avan� dans l'intérêt de la communication : la musique et les arts plastiques en témoignent également.

La sensibilité et les passions sont prises au sérieux, pour développer par exemple la notion de sublime, si caractéristique de l'éloquence sacrée.

• Les vers de François de Malherbe {1555-1628), déjà classiques, ne sont pas dépourvus d'élan lyrique, même si l'auteur prêche pour une langue dépouillée, sans archaïsme, fruit d'un travail rigoureux.

• Les auteurs français toutefois n'iront pas jusqu'aux effets sophistiqués de l'Italien Giambattista Marino (1569- 1625), ni vers l'hermétisme espagnol du poète Luis de G6ngora y Argote {1561- 1627).

En Espagne, le jésuite Baltasar Gracian y Morales (1601-1658), avec son Traité des pointes et du bel esprit {1648), enseigne à manier la concision spirituelle à des fins satiriques.

• Le libertinage érudit, avec François de La Mothe Le Vayer {1588-1672), reprend l'aspect philosophique et politique de l'éloquence.

Dans la seconde moitié du XVII' siècle, les manières toujours plus affectées aboutissent à la préciosité, à de nouveaux manuels du courtisan, dont l'esprit pragmatique restera longtemps une donnée de la rhétorique moderne.

l'ÂGE CLASSIQUE • La période classique affirme plus que jamais le pouvoir d'autorité du mot, dont on attend qu'il représente les choses : c'est donc le logos qui est privilégié, maîtrisable par des règles, fondées en référence à la logique -la fondation de l'Académie française par Richelieu en 1635, au service de la monarchie, œuvre en ce sens.

Les maîtres du bien dire et du bien écrire, tel Vaugelas (1585-1650), se distinguent • Les philosophes empiristes repensent le poids des mots dans notre rapport au monde; un rationaliste comme René Descartes {1596-1650) propose des règles, une méthode dont les préceptes montrent sa considération pour une rhétorique apparentée à la dialectique.

• La prédication reste un genre où brille l'éloquen ce: Bossuet (1627-1704), l'« Aigle de Meaux» dont les oraisons sont fameuses, passe pour l'un des plus grands représentants du courant classique.

• �école française de spiritualité, qui regroupe les savants de Port-Royal, prône à nouveau l'humilité chrétienne, à exprimer suivant les inspirations du cœur- ce que Boileau {1636- 1711) puis Bernard Lamy {1640-1715) traduiront sur un plan plus littéraire et linguistique.

Ainsi, clarté et brièveté de la belle prose, au service d'une norme volontiers politique, se marient à une exigence d'authenticité qui peut rester contestataire.

• Blaise Pascal (1623-1662) pose la question radicale de la moralité de la persuasion, devant la complexité de l'âme humaine et admet une indétermination irrésoluble, comme Dominique Bouhours {162B-1702), qui, en jésuite, la relie au Beau, pour proposer une vision nouvelle des figures de style -et contre les rationalistes, qui enregistrent toutefois l'importance du sentiment.

DU XVIII • SIÈCLE À NOS JOURS • Le XVII' siècle avait mis en évidence le débat entre les philosophes et les maîtres de l'éloquence sacrée sur l'importance du cœur dans le choix des mots.

Le siècle des Lumières tiendra largement pour acquise la combinaison de la raison et des sentiments -jusqu'à réduire l'éloquence à la littérature, puis à l'en exclure, paradoxalement, à l'époque du romantisme.

• C'est tard dans le XX' siècle que les sciences du langage et de la communication rendront hommage à l'art du discours qui ne disait plus son nom.

L'ÉLOQUENCE DES LUMIÈRES �éloquence, comprise comme un art de l'artifice conservateur, pouvait paraître fragilisée aux débuts du XVIII' siècle.

Elle est de plus en plus assimilée aux belles­ lettres et menacée en leur sein, au fur et à mesure que se développe le genre romanesque, qui échappe aux canons.

• Le sublime fait de nouveau florès, en particulier avec l'esthétique anglaise d'Edmund Burke {1729-17 97).

Parmi les encyclopédistes, Marmontel {1723- 1799) assimile clairement la poésie à l'éloquence.

Des philosophes voient dans le langage une création propre à l'homme, et, au sujet individuel, susceptible de dire sa vérité profonde, voire ses origines et son 1-------------.J.._-------------1 développement: Vico (1668-1744) dote RÉFORME ET CONTRE-RÉFORME les tropes (figures de style) d'une force • Au nom de la parole évangélique, • Les textes sur l'éloquence du spiritualiste et d'un sens historique.

De l'Allemand Martin Luther {1483-1546) Hollandais Érasme (v.

1469-1536), multiples traités stylistiques, tel celui de réagit contre l'Église romaine et comme L'Ecclésiaste ou la manière Dumarsais {1676-1756), engagent de semble orienter la Réforme dans de prêcher (1535), sont exemplaires grands débats parmi les grammairiens le sens d'un discours moral de ce conflit, qui déchire la foi philosophes, nourris de considérations nécessairement plus lucide, plus sobre chrétienne, et des enjeux savantes sur la formation des langues, et plus authentique.

La doctrine de la philosophiques de la rhétorique.

qui cherchent à estimer la place de la grâce, toutefois, aboutit à l'importance • Les catholiques comme l'Italien sensation, de la pensée et du langage du pathos- celui-ci souvent associé Pietro Bembo {1470-15 47), qui codifie dans leurs rapports.

à la foi et à la propagande catholique: la langue italienne, enregistrent la • Denis Diderot {1713-1784) reprend à cette ambiguné rejoint en fait les beauté du langage, mais en continuant Sénèque son Paradoxe du comédien thèses de Cicéron, alors très naturellement d'exiger un contenu pour dire la complexité de l'émotion commenté.

rigoureux et moral.

de l'orateur.

• Jean-Jacques Rousseau {1712-1778 ) met en avant la force des partisans de la révolution voient en lui le véhicule d'une pensée universelle.

· Emmanuel Kant {1724-1804), même s'il s'intéresse aux forces de l'imagination et au sublime, reste méfiant quant à l'éloquence, réduite à une technique fourbe.

Globalement, ce sont les défenseurs du logos et de son universalité qui l'emportent à la fin du siècle.

• �éloquence révolutionnaire est bien connue et les grands orateurs ne manquent pas aux tribunes : formés dans des collèges qui leur avaient inculqué un héritage antique et marqués par la vogue contemporaine du sentiment, ils se distinguent par des styles de paroles très forts : ainsi des formules de Mirabeau {1749-1791 ), de l'inspiration verbale de Danton {1759- 1794), des discours enflammés de Robespie"e {1758-1794).

Mais simultanément, l'enseignement de la rhétorique est remplacé, dans les écoles, par celui de la grammaire et de la littérature.

PHILOSOPHES CONTRE ROMANTIQUES? • Le siècle de la science et de l'industrie triomphantes voit s'exprimer plus fort que jamais, par réaction, les désirs de puissance et les passions.

• Le romantisme éclaire toujours plus, - mais sur un plan poétique -la force d'action de l'éloquence, tout en proclamant la mort de la rhétorique comprise comme un ensemble de canons qui briderait la liberté de l'écrivain génial et comme un outil monarchiste.

D'où les menaces de Vidor Hugo {1802-1885) contre les règles classiques, par exemple.

Le conseil de Paul Verlaine (1844-1896), dans son Art poétique : «Prends l'éloquence et tords-lui son cou!» lui fait d'ailleurs écho.

• Les poètes allemands, grands admirateurs de l'Antiquité, visent davantage une beauté éternelle et renouent avec certaines positions mystiques sur le langage et l'ineffable, mais tous visent l'expression d'une intimité fondée sur la suggestion, ouvrant ainsi la littérature au fantastique et postulant une communion entre auteur et lecteur.

• Les Mémoires, comme ceux de François René de Chateaubriand {1768- 1848), succèdent aux confessions ...

dans une langue subjective, qui invente au fur et à mesure ses propres lois.

Le ton de la révolte et de la provocation entre également en littérature, au nom du génie, avec lord Byron {1788- 1824), puis Charles Baudelaire {182 1-1867) -qui osera en outre écrire des «poèmes en prose».

• Les philosophes du XIX' siècle -dont les Allemands Arthur Schopenhauer {17 88-1860) et Friedr ich Nietzsche {1844-1900) -approfondissent les enjeux du langage et la question de ses origines, mais ils cherchent aussi à repenser les figures -par exemple, Les Figures du discours {1821-1830), de Pierre Fontanier (fin XVIII'-XIX' siècle).

LE xx• SIÈCLE • Le xX' siècle revend ique peu l'éloquence : la linguistique, déployée considérablement dans le fil structuraliste du Suisse Ferdinand de Saussure {1857-1913), a pris pour objets d'étude langue et langage; les genres littéraires perdent toujours plus leur légitimité.

�essor de la narratologie dans les études littéraires dit assez, cependant, que l'on retrouve par d'autres voies certains centres d'intérêt antiques et classiques, comme la technique de la disposition -mais confinée à la fiction écrite.

• Les philosophes, de leur côté, s'intéressent toujours plus explicitement à la dimension de représentation en jeu dans le langage, avec une tendance anglo-saxonne analytique et pragmatique, qui a su développer une discipline adjacente : la sémiotique.

• Par ailleurs, les crises et la Seconde Guerre mondiale ont relancé à la fois la méfiance quant à une éloquence au service de la politique et la nécessité d'étudier le discours pour mieux en comprendre les pouvoirs -cette période correspond donc, à son tour, à un retour du pôle privilégié du logos sur l'ethos et le pathos.

• �ère de la communication cependant, ne néglige pas ce dernier avec pour originalité une pensée de l'efficacité de l'image.

À côté de grands penseurs du langage comme les Britanniques Bertrand Russell {1872-1970) et Ludwig Wittgenstein {1889-1951, d'origine autrichienne).

le Français Michel Foucault {1926-1984), 1'Américain John Rogers Searle (né en 1932), il conviendrait presque de signaler les noms de grands publicistes, ou des conseillers en communication des cabinets politiques et des grandes entreprises, des écrivains-orateurs comme André Malraux {1901-1976), voire des saltimbanques, tel Fabrice Luchini (né en 1951).

• De manière plus académique, se développent des études sur l'argumentation, avec les travaux de Chaïm Perelman (né en 1912) et d'Oswald Ducrot (né en 1930).

Les théories littéraires ne cherchent plus à prédéfinir le beau ou le sensible, mais à comprendre les effets du littéraire (dont le statut reste souven t indéterminé) sur le lecteur, héritant finalement en cela de la rhétorique la plus ancienne.

Pas de surprise donc si les figures, à la charnière des XX' et XXI' siècles, sont de nouveau étudiées -en particulier la métaphore.. »

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