Grand oral du bac :Les Mémoires

Les premières œuvres connues ou apparentées à ce genre datent de l'Antiquité. Au cours du Ve siècle av. J.-C., Thucydide, noble athénien, entreprit de relater la guerre du Péloponnèse -entre Athènes et Sparte - en s'attachant à ne retenir que des faits historiques rigoureusement exacts, afin de «voir clair dans les faits passés». Partie prenante de l'histoire, puisqu'il reçut un commandement militaire durant le conflit, Thucydide opère la fusion entre l'art de la parole et la recherche objective, propulsant la mémoire des faits au statut de témoignage pour le temps présent. A la fois historien et journaliste, il fut suivi par d'autres auteurs qui choisirent également de raconter au travers de livres les événements liés à leur époque. Jules César n'est pas le moindre d'entre eux; l'empereur romain du l\" siècle av. J.-C., suivant les Grecs, a rempli des pages rassemblées sous le nom de Commentaires sur ses actions militaires et politiques et sur son peuple. Célébrant l'homme de pouvoir qu'il était, ses Commentaires révèlent aussi une foule de détails sur la façon de vivre des Romains dans les temps antiques. L'empereur Marc Aurèle, célèbre stoïcien, a laissé derrière lui ses Pensées pour moi-même, datées du IIe siècle de notre ère. Rédigées à la fin de son existence, les Pensées contiennent sa vie tout entière, les idées qui l'animaient et, comme l'œuvre de César, fournissent de précieux renseignements sur les modes de vie de l'époque. Mais le livre à partir duquel les critiques commenceront à parler d'autobiographie et de Mémoires estdûà saint Augustin, au IVe siècle: ce sont les Confessions. Si le titre est révélateur de la foi de l'auteur, qui y fait part de ses prières constantes au Seigneur, le livre implique pour la première fois une véritable conscience de soi à travers l'écriture. L'auteur évoque sa quête de Dieu en parlant de l'esprit: «Le meilleur est le dedans. »

DÉFINITION DU GENRE

Les Mémoires découlent de l'autobiographie, genre dont l'origine est problématique. C'est en Angleterre que le terme apparaît, dans le courant du XIX' siècle, avant d'être repris en France. Il est composé de trois mots grecs: auto (soi-même), bio (vie) et graphie (écriture). A l'époque, le genre est en plein essor. Discerner les écrits qui tiennent plus des Mémoires que de l'autobiographie s'avère délicat; une définition nette et précise ne sera établie qu'en 1975 par Philippe Lejeune, spécialiste français du genre, dans Le Pacte autobiographique (voir encadré): «L'autobiographie est un récit rétrospectif en prose qu'une personne réelle fait de sa propre existence lorsqu'elle met l'accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l'histoire de sa personnalité. » Les Mémoires diffèrent légèrement de cette définition, puisque l'auteur y présente un récit dans lequel il tient une place prépondérante en tant que narrateur, et dans lequel les événements historiques, politiques et sociaux sont étroitement imbriqués avec sa propre histoire.

Les Mémoires ne sont ni un journal intime où l'on suivrait au jour le jour des aventures, ni un récit à la première personne bâti sur des faits imaginés. Fort de son expérience et de son parcours, l'auteur y développe des considérations sur son époque et fait en quelque sorte le point sur sa vie. Il y fait part de sa vision du monde, forcément subjective.

Si les récits religieux correspondant au genre autobiographique se font nombreux. comme Le Livre de la vie de la carmélite sainte Thérése d'Avila, véritable autobiographie spirituelle écrite au xvie siècle, quelques récits passent au travers de la religion tout en adoptant le même style.

La Vita nuova écrite entre 1292 et 1294 par Dante Alighieri en est un bon exemple. Follement épris de Béatrice, une jeune fille qu'il n'a aperçue que deux fois, à neuf ans puis à dix-huit ans, Dante dépeint dans son œuvre les sentiments qui l'animent ses émois amoureux. Si le livre fait abstraction de l'événementiel et du pittoresque, il pose à la manière de saint Augustin les bases des récits mémorialistes: cette histoire personnelle est composée de 42chapitres en prose et relatée sans l'intervention d'un protagoniste ou d'un narrateur fictif. De tels écrits ne restent pas cantonnés aux sphères intellectuelles ou religieuses. En Italie, pays natal de Dante, éclosent les «livrets de famille». Sous l'influence de l'humanisme, l'expression de l'individu prend de plus en plus la forme de témoignages précis sur la vie quotidienne; l'écriture est «domestique», familiale, d'où le surnom de livrets de famille. Ceux-ci émanent d'artistes, d'intellectuels, de personnages publics, et constituent en somme les premiers Mémoires littéraires. L'intérêt majeur de ces textes est qu'ils relatent le développement de l'individualité, expriment l'intériorité des auteurs et donnent un cadre à une écriture autobiographique.