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GUILLERAGUES, Gabriel-Joseph de La Vergne, comte de

Publié le 15/12/2018

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GUILLERAGUES, Gabriel-Joseph de La Vergne, comte de (1628-1685). Encore peu familier au grand public, Guilleragues est un écrivain d’avenir depuis que notre siècle lui a rendu la paternité d’un des plus mystérieux chefs-d’œuvre de la littérature, les Lettres portu-gaisesy longtemps restées anonymes après avoir été considérées comme un recueil de lettres authentiques.
 
Jusqu’alors, la postérité n’avait retenu de ce gentilhomme que l’image d’un parfait courtisan, à qui Boileau avait dédié sa Ve épître (1674), « Sur la nécessité de se connaître soi-même » :

« Esprit né pour la Cour et maître en l'art de plaire, Guilleragues qui sais et parler et te taire.

On savait qu'il avait fait partie du cercle peu nom­ breux que Boileau et Racine consultaient avant de publier leurs ouvrages, qu'il avait dirigé un temps la Gazelle, et le style de celle-ci, dit Bayle, «en était devenu aisé et coulant» (voir, par exemple, les articles sur la mort de Turenne, en 1675, ou sur la bataille de Tabago aux Antilles, en 1677).

Son amie M'"• de Sévigné a rapporté de ses bons mots.

dont celui sur le poète Pellisson qui «abusait de la permission qu'ont les hom­ mes d'être laids».

Saint-Simon reconnaît aussi son esprit : «Celui-ci avait eu accès et puis familiarité avec ce qu'il y avait de meilleur à la Cour et à Paris ...

», mais, sans doute eu égard à ses liens avec M'"' de Maintenon, nuance un peu la séduction du personnage : « ...

gour­ mand, plaisant, de beaucoup d'esprit, d'excellente com­ pagnie, qui avait des amis et vivait à leurs dépens ».

Né à Bordeaux, il avait fait ses études au collège de Navarre, le meilleur qui fOt pour l'étude de l'Antiquité.

Les Mémoires de Daniel de Cosnac nous renseignent un peu sur sa jeunesse, qui ne dédaignait pas les plaisirs.

En 1651, le prince de Conti le remarque à Bordeaux et se l'attache; il l'aura près de lui lors de son gouvernement de Guyenne, ainsi qu'en 1655, aux États du Languedoc, et en 1656, à Pézenas, où joue Molière et où Guilleragues ordonne les plaisirs.

Après un riche mariage en 1658 avec Marie-Anne de Pontac, il est, en 1660, nommé pre­ mier président de la cour des Aides de Bordeaux.

Il vivra en province jusqu'à la mort du prince de Conti en 1666, date à laquelle il sollicite un emploi près du roi et vend sa charge pour venir s'installer à Paris.

Il y fréquente la société de l'Hôtel de Richelieu (M'"'8 de Coulanges, de Sévigné, Barillon, Je cardinal d'Estrées ...

).

C'est l'épo­ que où il compose l'essentiel de son œuvre, les Valentins paraissant en octobre 1668 et les Lettres portugaises en janvier 1669.

Il achète la charge de gentilhomme ordi­ naire de la chambre du roi, devient un homme en vue à la Cour et gagne l'amitié du prince de Marcillac, fils de La Rochefoucauld et favori de Louis XIV.

Il vend sa charge en 1675.

En 1678, protégé par Col­ bert et Seignelay, il obtient une ambassade à Constanti­ nople : il s'y occupe à des discussions sur le cérémonial ainsi qu'à des négociations au sujet de l'expédition de Duquesne contre les Tripolitains.

Il utilise les lumières de Galland pour enrichir les collections du roi et meurt d'apoplexie.

Il semble qu'il ait été assez vite oublié.

Seul, vingt ans plus tard, Galland, dédiant Je recueil des Mille et Une Nuits à Mm• de Villiers d'O, fille de Guilleragues (et mère de la future Mm• d'Épinay), rappel­ lera « la perte irréparable de ce génie [ ...

], Je plus capable de goOter et de faire estimer les belles choses >>.

« Ses moindres pensées, toujours brillantes, ses moindres expressions, toujours précises et délicates, faisaient l'ad­ miration de tout le monde, et personne n'ajoint ensemble tant de grâces et tant de solidité >>.

Le roman des Lettres portugaises Dès leur parution, en 1669, les Lettres portugaises suscitèrent de très vives polémiques : d'une part, elles paraissaient un prolongement -en plus naturel -des tragédies raciniennes.

De 1' autre, un certain public, auquel se rangera Saint-Simon, se fondant sur la chroni­ que galante, croit fermement qu'il s'agit de vraies lettres d'amour adressées à un certain Chamilly par une reli­ gieuse portugaise, et 1' Avertissement de l'éditeur insiste à dessein sur la valeur de document humain du recueil.

Pourtant, bien des contemporains avisés (Guéret, Le Pays ...

) y soupçonnent un excès de réalisme, un effet de vraisemblable qui trahit l'illusion.

Donneau de Visé, en 1693, définit Guilleragues comme « un homme qui fait 1070 très bien des vers aussi bien que des lettres amoureu­ ses», et M'"• de Sévigné qualifie de «portugaise» une lettre d'amour réussie, comme elle dirait d'une lettre spirituelle que c'est une «voiture» (c'est-à-dire «digne de Voiture »).

Dans sa fameuse lettre à Racine de 1684, à propos des paysages vrais et imaginés de la Grèce, Guilleragues dévoile quelque peu son esthétique de romancier mas­ qué : «Dans le fond, les grands auteurs, par la seule beauté de leur génie, ont pu donner des charmes éternels et même l'être aux royaumes, la réputation aux nations, le nombre aux armées et la force aux simples murailles >>.

Au xvmc siècle, Rousseau est à peu près le seul à pencher pour 1' art : « Je parierais tout au monde que les L.P.

ont été écrites par un homme>>.

Le XIX", derrière Sainte-Beuve, croit plutôt ces lettres« écrites au moment de la passion [ ...

] d'un charme particulier dans leur désord re>>.

Il faudra attendre 1926 et J'article de F.C.

Green pour que soient dénoncées les contradictions de la thèse du chef-d'œuvre instinctif; en 1954, Leo Spitzer traite enfin les Lettres en œuvre, liant la composi­ tion dramatique au mouvement psychologique, étudiant leur influence sur Rilke, qui les traduisit.

Jacques Rou­ geot rattache l'inspiration des Lettres à celle des Va/en­ tins et, avec Frédéric Deloffre, donne la première édition critique des Œuvres de Guilleragues, en soulignant l'im­ portance des sources littéraires : élégiaques latins, Sénè­ que, Racine, auteurs modernes de maximes et de ques­ tions d'amour, etc.

Les cinq lettres de la Religieuse commencent à être décrites comme les cinq actes d'une tragédie, avec crise, stances, catastrophe et perspective morale, comme l'histoire d'une victoire de la lucidité sur la passion.

Aujourd'hui, l'œuvre fascine encore la critique par son statut ambigu et son caractère de com­ munication bloquée, source paradoxale de sa dynamique.

Les Lettres se réfèrent à un discours absent, les lettres du chevalier, puis à son silence.

Essentielles à l'évolu­ tion du roman, les Lettres montrent qu'il est possible d'écrire quelque chose en ne parlant de rien : « Le texte de la Religieuse peut s'écrire, non pas par une casuisti­ que amoureuse, mais par un développement de l'écriture elle-même>> (Fabien Sfez).

[Voir aussi MYSTIFICATION LITTÉRAIRE).. »

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