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Gustave FLAUBERT, L'Éducation sentimentale: Frédéric et Louise

Publié le 17/01/2022

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flaubert
Après un séjour à Paris, un jeune homme, Frédéric, environ 28 ans, retrouve Louise, une jeune provinciale, de douze ans sa cadette. Ils se connaissent depuis longtemps et les familles les considèrent comme « fiancés ». En moins d'un an, il s'était fait dans la jeune fille une transformation extraordinaire qui étonnait Frédéric. Après une minute de silence, il ajouta : - Nous devrions nous tutoyer, comme autrefois ; voulez-vous ? - Non. - Pourquoi ? - Parce que ! Il insistait. Elle répondit, en baissant la tête : - Je n'ose pas ! Ils étaient arrivés au bout du jardin, sur la grève du Livon. Frédéric, par gaminerie, se mit à faire des ricochets avec un caillou. Elle lui ordonna de s'asseoir. Il obéit ; puis, en regardant la chute d'eau : - C'est comme le Niagara ! Il vint à parler des contrées lointaines et de grands voyages. L'idée d'en faire la charmait. Elle n'aurait eu peur de rien, ni des tempêtes, ni des lions. Assis, l'un près de l'autre, ils ramassaient devant eux des poignées de sable, puis les faisaient couler de leurs mains tout en causant ; - et le vent chaud qui arrivait des plaines leur apportait par bouffées des senteurs de lavande, avec le parfum du goudron s'échappant d'une barque, derrière l'écluse. Le soleil frappait la cascade ; les blocs verdâtres du petit mur où l'eau coulait apparaissaient comme sous une gaze d'argent se déroulant toujours. Une longue barre d'écume rejaillissait au pied en cadence. Cela formait ensuite des bouillonnements, des tourbillons, mille courants opposés, et qui finissaient par se confondre en une seule nappe limpide. Louise murmura qu'elle enviait l'existence des poissons. — Ça doit être si doux de se rouler là-dedans, à son aise, de se sentir caressé partout. Et elle frémissait, avec des mouvements d'une câlinerie sensuelle. Gustave FLAUBERT, L'Éducation sentimentale (1869), éd. Folio, p. 277. 1. Il s'agit d'un récit inséré dans un ensemble beaucoup plus vaste, le roman de Gustave Flaubert intitulé l'Education sentimentale : le récit est entièrement au passé. Le narrateur y raconte l'apprentissage d'un héros, nommé Frédéric Moreau. Les temps principaux utilisés par l'auteur sont l'imparfait et le passé simple. Ce sont les temps par excellence du récit : l'imparfait sert aux descriptions des personnages (« ils ramassaient devant eux des poignées de sable »), évoquant parfois l'aspect répétitif de leurs actes. Le passé simple traduit au contraire des actions ponctuelles, entièrement délimitées dans le temps et achevées : « Elle lui ordonna de s'asseoir. Il obéit ». Un autre temps utilisé est le présent de l'indicatif (« voulez-vous ? ») dans le dialogue initial (concordance entre le temps du verbe et « l'action »), ainsi que le conditionnel présent : « nous devrions nous tutoyer », est-il dit aussi dans le même dialogue : c'est une hypothèse, une suggestion poliment formulée par Frédéric. Plus loin un conditionnel passé (« elle n'aurait eu peur de rien ») traduit un rêve : Louise « joue » à s'imaginer dans d'autres situations que celles de la vie réelle. C'est à la fois un futur dans le passé (le récit est au passé, les héros par rapport à celui-ci se projettent dans un avenir plus ou moins éloigné), mais aussi une hypothèse gratuite (valeur modale du conditionnel) : un pur « irréel » (ils n'iront jamais affronter les lions ni les tempêtes dans la réalité). La connotation de ce temps et de ce mode est ici très enfantine : les deux personnages jouent des rôles auxquels ils finissent par s'identifier comme des gamins jouant au gendarme et au voleur et finissant peu à peu par y croire... L'emploi de ce procédé permet à Flaubert de regarder ses héros avec une distance ironique très marquée où l'attendrissement se mêle à un humour assez cruel.
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« comparaison entre les chutes du Niagara et celle, plus modeste, du Livon...

ou son désir d'être un poisson, ainsi queses rêves de voyage où elle se voit affronter lions et tempêtes sans éprouver de peur...Il en est de même chez Frédéric qui, « par gaminerie, se mit à faire des ricochets avec un caillou »...Mais la « câlinerie sensuelle » dont parle Flaubert à propos de Louise ouvre d'autres horizons, ceux de la sensualité :elle frémit dans son corps au contact supposé de l'eau dont elle évoque les caresses.

La sensualité se développesurtout autour de deux axes :— la sensualité olfactive avec les parfums nombreux, liés à la chaleur (lavande et goudron) ;— la sensualité tactile, avec le sable qui s'écoule dans les mains et l'eau si proche qui est une invitation à se «rouler là-dedans ».Le corps, de moins en moins enfantin, devient progressivement le centre du récit ; l'enfance s'y métamorphose,comme ces « câlineries » qui engendrent des frémissements physiques qui ne sont plus vraiment ceux de l'enfance...On peut en déduire que le couple vit une étape importante (surtout la jeune fille, plus proche de l'enfance par sonâge et l'éducation de l'époque), prenant conscience de leur sensualité, et de la naissance très confuse d'un émoiqu'il faut bien nommer sexuel... ETUDE LITTÉRAIRE 1.

Le couple fait preuve en effet d'une certaine puérilité, ce qui peut sembler « normal » de la part de Louise qui aseize ans, un peu moins chez Frédéric qui en a vingt-huit (mais peut-être lui joue-t-il un autre jeu : celui de laséduction ?).Chez la jeune fille, qui a été l'objet « d'une transformation extraordinaire constatée d'emblée par Frédéric, lessentiments restent, par contraste, très enfantins et naïfs : elle est timide, ainsi refuse-t-elle le tutoiement que luipropose Frédéric : « je n'ose pas ! » dit-elle « en baissant la tête » ; c'est une attitude très révélatrice de la pudeurqu'elle ressent devant un jeune homme ; le tutoiement à cet âge n'est plus ressenti par elle comme innocent ; lesautres réponses de la jeune fille (« parce que » s'enchaînant à « pourquoi ? » par exemple) sont typiquementenfantines encore par le refus d'expliquer les raisons d'un comportement et leur obstination un peu ridicule.Frédéric d'ailleurs n'est pas en reste (même s'il est plus adulte et entreprenant) : « par gaminerie, (il) se mit à fairedes ricochets avec un caillou » ; c'est a priori une activité ludique assez puérile, mais ce peut être aussi unemanière de garder bonne contenance devant une situation qui le trouble plus qu'il ne le voudrait ? C'est d'ailleurs àce moment que la jeune fille se met à commander (l'un des deux enfants tente de « dominer » l'autre : joue-t-elle àla maîtresse d'école ?) : « Il obéit ».Leurs rêves peuvent être également assimilés à des rêves d'enfants ; la réalité et la vraisemblance les indiffèrent :les chutes du Livon assimilées à celles du Niagara fournissent à Frédéric un sujet de conversation idéal, le désird'évasion et les voyages.

Là-bas, « elle n'aurait eu peur de rien, ni des tempêtes, ni des lions ».

Dans cette phrasequi traduit bien la vantardise des enfants, on retrouve aussi l'influence des lectures enfantines un peu folles sur desesprits qui ne demandent qu'a être influencés...Ils s'absorbent ensuite dans la contemplation de l'eau, jusqu'à ce que Louise murmure enfin « qu'elle enviaitl'existence des poissons ».

Phrase puérile encore certes, mais qui cache autre chose : un émoi, une sensualité enéveil. 2.

Derrière les apparences puériles, en effet, un courant d'une sensualité intense circule entre les deux êtres mis enprésence, même si c'est à leur insu (au moins en ce qui concerne la très inexpérimentée jeune fille).Dès le début en effet le trouble sensuel est visible chez Frédéric, d'abord étonné par la métamorphose physique deLouise, passée de l'enfance à la maturité et devenue désirable, ce qui impose « une minute de silence » ; ce silencelaisse au lecteur toute liberté d'interprétation ; si le héros n'a rien à dire, c'est qu'il est ému et ce trouble estpartagé sans doute par la jeune fille qui repousse catégoriquement la proposition de tutoiement pourtant polimentformulée par le jeune homme...

La pudeur de Louise se révolte contre une marque d'affection qui ne paraît plusentièrement « naturelle » mais suppose une intimité qui la gêne désormais.En réalité, ils détournent les sentiments par des actes, par des poses diverses sans rapport apparent avec ce qu'ilsressentent au fond d'eux-mêmes : Frédéric fait des ricochets, Louise le fait s'asseoir, puis ils parlent de voyage etde visions exotiques (les tempêtes et les lions !), ils jouent avec du sable : la conversation qui s'engage montre leuraccord apparent (tous deux désirent la fuite).La dernière partie du texte montre le rôle que joue, dans cette montée du désir, l'environnement et l'atmosphère dulieu précis : « Ils étaient arrivés au bout du jardin, sur la grève du Livon » ; le cadre, la température, l'eauinterviennent nettement dans la montée progressive de la sensualité.D'abord, il fait chaud, « le soleil frappait la cascade » ; « le vent » est « chaud » lui aussi ; il est en outre parfumé :il « leur apportait par bouffées des senteurs de lavande » associées au « parfum du goudron » ; les sensationsolfactives jouent donc un rôle important, puisque en outre elles incitent au voyage (la barque, l'eau, la comparaisonavec les chutes du Niagara renforcent cette envie d'ailleurs), donc à une sorte d'idylle loin du monde réel ; lessensations tactiles sont aussi primordiales : les deux jeunes gens jouent avec du sable qui coule « de leurs mains »,ajoutant un émoi supplémentaire à leur conversation ; tout concourt à les rendre plus perceptibles à leurssensations physiques... On note aussi la présence autour d'eux d'un environnement naturel (un jardin d'abord, puis une grève) propice auxémotions sensuelles, et surtout de l'eau, à propos de laquelle Flaubert mêle les effets visuels et sonores : il y ad'abord une « cascade » sur laquelle le soleil vient se réverbérer et tout un cadre familièrement aquatique, avec «barque », « écluse », « écume »...

L'eau, comme toujours, incite à la rêverie, à une évasion de la réalité ; ici, elle. »

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