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Guy DE MAUPASSANT, « Menuet », Contes de la Bécasse

Publié le 14/07/2012

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maupassant

(La scène se passe à Paris, dans la pépinière du Luxembourg, vers les années 1830.) 

Je venais là presque tous les matins. Je m'asseyais sur un banc et je lisais. Parfois je laissais retomber le livre sur mes genoux pour rêver, pour écouter autour de moi vivre Paris, et jouir du repos infini de ces charmilles à la mode ancienne. Mais je m'aperçus bientôt que je n'étais pas seul à fréquenter ce lieu dès l'ouverture des barrières, et je rencontrais parfois, nez à nez, au coin d'un massif, un étrange petit vieillard. Il portait des souliers à boucles d'argent, une culotte à pont, une redingote tabac d'Espagne, une dentelle en guise de cravate et un invraisemblable chapeau gris à grands bords et à grands poils, qui faisait penser au déluge. Il était maigre, fort maigre, anguleux, grimaçan t e t souriant. Ses yeux vifs palpitaient, s'agitaient sous un mouvement continu des paupières; et il avait toujours à la main une superbe canne à pommeau d'or qui devait être pour lui quelque souvenir magnifique . Ce bonhomme m'étonna d'abord, puis m'intéressa outre mesure. Et je le guettais à travers les murs de feuilles, je le suivais de loin, m'arrêtant au détour des bosquets pour n'être point vu. Et voilà qu'un matin, comme il se croyait bien seul, il se mit à faire des mouvements singuliers : quelques petits bonds d'abord, puis une révérence ; puis il battit, de sa jambe grêle, un entrechat encore alerte, puis il commença à pivoter galamment, sautillant, se trémoussant d'une façon drôle, souriant comme devant un public, faisant des grâces, arrondissant les bras, tortillant son pauvre corps de marionnette, adressant dans le vide de légers saluts attendrissants et ridicules. Il dansait ! Je demeurais pétrifié d'étonnement, me demandant lequel des deux était fou, lui, ou moi. Mais il s'arrêta soudain , s'avança comme font les acteurs sur la scène, puis s'inclina en reculant avec des sourires gracieux et des baisers de comédienne qu'il jetait de sa main tremblante aux deux rangées d'arbres taillés. Et il reprit avec gravité sa promenade. 

Guy DE MAUPASSANT, « Menuet «, Contes de la Bécasse, 1883.

maupassant

« Enoncé fréquenter ce lieu dès l'ouvert ure des barrières, et je rencon­ trais parfois, nez à nez, au coin d'un massif, un étrange petit vieillard .

Il portait des souli ers à boucles d'arge nt, une culott e à pont (1), une redingote tabac d'Espagne, une dentelle en guise de cravate et un invraise mblable chapeau gris à grands bords et à grands poils, qui faisait penser au déluge.

Il était maigre, fort maigre, anguleux, grimaçant et sou­ riant.

Ses yeux vifs palpit aient, s'agitai ent sous un mouve­ ment continu des paupières; et il avait toujours à la main une superbe canne à pommeau d'or qui devait être pour lui quelque souvenir magnifique .

Ce bonhomme m'étonna d'abord, puis m'intéressa outre mesure.

Et je le guettai s à travers les murs de feu illes, je le suivai s de loin, m'arrêtant au dét our des bosquet s pour n'être poi nt vu.

Et voilà qu'un matin, comme il se croyait bien seul, il se mit à faire des mouvement s singuliers : quelques petits bonds d'abord, puis une révérence ; puis il battit, de sa jambe grêle, un entrechat encore alerte, puis il commença à pivoter galamment, sautillant, se trémoussant d'une façon drôle, souriant comme devant un publi c, faisant des grâces, arron­ dissant les bras, tortillant son pauvre corps de marionnette, adressant dans le vide de légers saluts attendrissants et ridicules.

Il dansait ! Je demeurai s pétri fié d'ét onnement, me demandant lequel des deux était fou, lui, ou moi.

Mai s il s'arrêt a soudai n , s'avança comme font les acteurs sur la scène, puis s'inclina en reculant avec des sourires gracieux et des baisers de comédienne qu'il jet ait de sa mai n tremblante aux deux rangées d'arbres taillés.

Et il reprit avec gravité sa promena de.

Guy DE MA UPASSANT, « Menuet », Contes de la Bécasse, 1883.

(1) Culotte à pont : culotte dont le devant pouvait être à volonté baissé ou relevé .

Ce vêtement ne se porte plus à l'époque du récit.. »

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