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Henri TROYAT, La Neige en deuil

Publié le 11/02/2011

Extrait du document

(Les héros du roman vont, en plein hiver, à la recherche d'un avion accidenté sur le sommet d'une haute montagne. Après avoir vaincu de nombreuses difficultés, ils aperçoivent l'appareil)

Déchiqueté, rompu, il gisait sur le ventre dans la neige, telle une bête blessée à mort. Le nez de l'appareil s'était aplati contre un butoir rocheux. L'une des ailes, arrachée, avait dû glisser le long de la pente. L'autre n'était plus qu'un moignon absurde, dressé, sans force, vers le ciel. La queue s'était détachée du corps, comme celle d'un poisson pourri. Deux larges trous béants, ouverts dans le fuselage, livraient à l'air des entrailles de tôles disloquées, de cuirs lacérés et de fers tordus. Une housse de poudre blanche coiffait les parties supérieures de l'épave. Par contraste, les flancs nus et gris, labourés, souillés de traînées d'huile, paraissaient encore plus sales. La neige avait bu l'essence des réservoirs crevés. Des traces d'hémorragie entouraient la carcasse. Le gel tirait la peau des flaques noires. Même mort, l'avion n'était pas chez lui dans la montagne. Tombé du ciel dans une contrée de solitude vierge, il choquait la pensée comme une erreur de calcul des siècles. Au lieu d'avancer dans l'espace, il avait reculé dans le temps. Construit pour aller de Calcutta à Londres, il s'était éloigné du monde d'aujourd'hui pour aboutir à un coin de planète, qui vivait selon une règle vieille de cent mille ans.

Henri TROYAT,

La Neige en deuil, 1966.

Vous ferez de ce texte un commentaire composé. Vous pourrez vous attacher en particulier à la personnification de l'avion et aux effets de contraste que ménage l'auteur.

Le libellé du sujet fournit deux directions d'étude :

  • la personnification de l'avion ;
  • les effets du contraste.
  • En lisant le texte dans cette direction on trouve effectivement tout un réseau abondant qui apparente l'avion à un animal blessé à mort : « le ventre «, « telle une bête blessée à mort «, « le nez «, « les ailes «, « un moignon «, « la queue s'était détachée du corps, comme celle d'un poisson pourri «, « des entrailles «, « les flancs nus «, « Des traces d'hémorragie «, « la carcasse «, « même mort «...

« Les termes qui appartiennent à l'animal : on trouve là « entrailles » et aussi « carcasse » pour désigner la charpente osseuse d'une bête. Des termes qui, liés à l'animal, sont assez souvent employés à propos de l'avion : « le ventre », « les flancs » et surtout, « le nez », « la queue » et « les ailes ».

Du fait de la comparaison avec un « poisson pourri », le lecteur imagine une sorte de monstre ni oiseau, ni poisson.

Mais surtout les termes de mécanique se mêlent à ceux de l'animalité. La machine.b. Outre les mots qui appartiennent aux deux registres, on notera « le fuselage », « les réservoirs » et même plus simplement « l'appareil ». La matière présente avec les tôles, les fers pour faire jurer peut- être le squelette, les cuirs pour la peau, l'huile et l'essence à l'image du sang comme le prouve le terme « hémorragie ». « L'épave » enfin est l'équivalent mécanique de la carcasse. Enfin, entre l'animalité et la machine, l'auteur n'accorde aucune place aux hommes, aux passagers. b. Deuxième partie : la destruction brutale/la salissure Les adjectifs qui évoquent la destruction et la mise à mort sont nombreux.

Certains évoquent une dislocation brutale, d'autres représentent une désagrégation plus lente. La brutalité est manifeste avec des termes comme « déchiqueté », « rompu ».

Placés en tête de phrases, ils prennent une importance particulière.

Il en est de même pour les appositions « arrachée » et « disloquée ». Cependant, le lecteur a parfois l'impression que cet « animal » a subi des tortures avec l'adjectif « lacérés », qui signifie mis en pièces, déchiré, ou encore avec « tordus » et « labourés ».

Ces bouleversements entraînent, évidemment, la mort que l'on retrouve au début du texte : « il gisait sur le ventre » ; ou encore avec « un moignon ». On relèvera, enfin, le paradoxe qui veut que les fers et les cuirs, éventuels instruments de torture — ce seront ceux qui blesseront les passagers — soient à leur tour martyrisés. Dans ces bouleversements, il n'est plus possible de distinguer l'intérieur de l'extérieur : tout se disloque (réservoirs crevés, livraient à l'air des entrailles de tôles). a. Une autre tendance va dans le sens de la souillure, d'une dégradation plus lente aussi. b. On remarque, par exemple, que « s'était détachée du corps » suppose un mouvement moins brusque que « arrachée».

L'explication « comme...

un poisson pourri » confirme cette impression ! Au blanc de la neige, nouvelle « housse » qui coiffe « les parties supérieures de l'épave », s'opposent en une progression : « le gris », « souillées de traînées d'huile » et, enfin, les « flaques noires ».

(C'est ce passage qui justifie concrètement le titre, La Neige en deuil.) On voit que l'auteur joue aussi sur la consistance des éléments : la légèreté de la « poudre » neigeuse contraste avec l'aspect quelque peu visqueux de l'huile, de l'essence et des « flaques noires ». Troisième partie : la nature contre la technique L'auteur nous fait assister, semble-t-il, à la fin d'un combat : a) Les éléments du combat : — « Un butoir rocheux » : c'est pratiquement le seul élément montagneux qui nous est décrit.

Il s'agit peut-être de la cause de l'accident, à moins que l'avion n'ait fini sa course contre ce butoir : le nez qui « s'était aplati » ne suggère pas un choc très violent. b) La neige et le gel jouent un rôle actif : « La neige avait bu l'essence des réservoirs crevés » évoque presque l'image terrible d'un vampire. « Le gel tirait la peau des flaques noires » suppose que le froid ride la surface du liquide et semble rétrécir les parties les plus fluides. • Henri Troyat utilise cet accident et le choc de l'avion sur la terre pour proposer une confrontation assez grandiose entre la technique et la nature, les millénaires et l'époque moderne. L'auteur laisse entendre que « l'erreur de calcul » qui mène cet appareil à s'écraser dans les Alpes représente une sorte de vertigineux anachronisme : le paysage des sommets n'a pas changé depuis des millénaires ; en aboutissant à « ce coin de planète », l'avion a effectivement « reculé dans le temps » au lieu d'avancer dans l'espace. Par ailleurs, le déplacement de Calcutta à Londres représente un trajet considérable qui aboutit, à un espace très réduit : « un coin de planète ». De plus, Calcutta et Londres sont parmi les villes les plus peuplées du monde.

Les objectifs de l'avion contrastent. »

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