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HERDER

Publié le 02/09/2013

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herder

 

1744 -1803

HERDER. Un grand nom, guère plus. Ce nom, on se souvient de l'avoir vu en bonne place dans les manuels, mais ce que fut l'homme, même ce qu'il a écrit, le plus souvent on l'ignore. Non seulement en France, mais aussi en Allemagne.

Supposons quelques interlocuteurs qui ne soient pas tout à fait ignorants et qui confrontent leurs connaissances. L'un dira : Herder faisait partie de l'« aréopage weimarien «, c'est l'un des grands « classiques « de l'Allemagne; on le voit derrière les deux « dioscures «, Goethe et Schiller, à côté d'hommes comme Wieland et les frères Humboldt. Et ce sera juste. Mais un autre répli¬quera : je me le représenterais plutôt comme un jeune révolutionnaire qui s'insurgea l'un des premiers contre le rationalisme en vogue au xvme siècle, et qui, au nom du Sentiment et de la Vie, contribua à la naissance de cette sorte de romantisme anarchique que l'on a appelé le « Sturm und Drang «. Cet homme aura raison, lui aussi. Un troisième interviendrait alors et dirait : Herder a eu une grande part dans la formation d'une conscience nationale et j'ai lu dans des livres imprimés sous Hitler qu'il était l'un des plus authentiques représentants de l'âme germa¬nique. Celui-là non plus n'aura pas tort. Mais si un quatrième réplique : Herder fut un des admi¬rateurs de la Révolution française; il fit même scandale à la cour de Weimar; il condamna l'in¬tervention armée et resta toute sa vie l'ennemi de tous les militarismes, cela sera encore plus exact. Enfin un cinquième pourrait dire sans se tromper : Herder fut, en littérature comme en politique, un « citoyen du monde «, il a écrit des Lettres pour servir au progrès de l'Humanité, il a recueilli les chants populaires de toutes les nations, il a recommandé de traduire tous les chefs-d'oeuvre de toutes les littératures, et en étudiant l'histoire de tous les peuples (dans ses Idées pour une philoso¬phie de l'histoire et de l'humanité) il a toujours montré les qualités propres à chacun d'eux et s'est refusé obstinément à les juger selon des conceptions étrangères à leur culture.

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« son maître Hamann, « le mage du Nord», que la poésie est la langue primitive de l'humanité.

Comme Gœthe le rappelle dans ses mémoires, ce fut pour lui un instant décisif, le lever d'un jour nouveau qui devait bientôt éclairer sa jeune gloire, le moment où il s'engagea sur sa vraie route, celle qui le mena d'abord vers Goetz et Werther.

Mais, dira-t-on, c'est là le rôle d'un intermédiaire, d'un initiateur, si l'on veut : que valait cet homme par lui-même, pourquoi mérite-t-il une place dans la galerie des célébrités? C'est déjà beaucoup d'être un éveilleur, et Herder le fut essentiellement.

Les aperçus, les suggestions, les lueurs brèves et violentes qu'il jette sur des problèmes que l'on ne se posait même pas, l'étendue de ses connaissances font de lui un de ces esprits encyclopédiques et pourtant frémissants d'ardeur combattive, comme seul le xvme siècle en vit beaucoup.

Que reste-t-il de tout ce que Diderot a écrit? Il en va de même avec Herder.

Ses œuvres, dans l'excellente édition Suphan, compren­ nent trente-deux volumes grand in-octavo.

Il fut théologien, historien, philosophe, poète, esthé­ ticien, critique, traducteur, collectionnaire infatigable de chants populaires de toutes les nations et de toutes les langues; il s'intéressait à tout, et sur tout il avait son mot à dire.

Que cette abondance de bien manque d'homogénéité et de « style », on le conçoit aisément.

Herder se contredit souvent, parce que son ardeur l'entraîne.

On peut tout trouver chez lui, comme chez Nietzsche.

Mais il y a pourtant un style herdérien, très différent du chaos inquiétant et parfois sublime de la pensée nietzschéenne : il reste imperturbablement humain, généreux, chrétien, on devrait plutôt dire : fraternel.

Cependant les hommes ne sont jamais simples et une sorte de fatalité ironique se plaît à jumeler en eux des contraires : il n'y a que dans la grisaille de la médiocrité que toutes les couleurs se mêlent.

Le voyageur qui marche au soleil traîne avec lui son ombre.

Herder, dont j'écrivais qu'il était généreux et fraternel, s'est le plus souvent montré bougon, hirsute, toujours sur ses gardes, prêt à protester et à contredire.

Cela fait partie de son personnage : initiateur, il est combattant et s'inscrit en faux contre les idées régnantes.

Sous la domination déclinante d'un rationalisme figé, il découvre dans l'inconscient et les mystères du génie les sources de la jeunesse, des renaissances et des métamorphoses.

Il sera l'adepte de Kant tant que le kantisme sera une nouveauté dont la valeur est mise en doute.

Il passera toutes les dernières années de sa vie à polémiquer contre son ancien maître lorsque la philosophie kantienne se sera imposée, et il défendra, souvent avec bonheur, des points de vue pré-kantiens, beaucoup plus dogmatiques que critiques.

Il fut l'ami de Gœthe et, dans un certain sens, son maître, lorsque Gœthe était encore un inconnu.

Mais lorsque Gœthe trônait à Weimar, il y eut entre eux plus d'un dissentiment.

Herder était sans doute au-dessus de la jalousie consciente, mais s'il ne se brouilla pas avec son ancien ami, cela tint surtout à cette maîtrise de soi et cette noble équani­ mité que l'on a appelées à tort l'olympisme gœthéen.

Dans le classicisme weimarien, Herder voyait une mauvaise imitation de !'Antiquité.

Nous avons dit que, président du consistoire, au sommet de la hiérarchie religieuse, ce pasteur éloquent, tenu au moins à un sermon hebdoma­ daire, avait irrité la Cour par ses sympathies pour la Révolution.

On pourrait ajouter d'autres exemples de son agressivité.

Mais cela n'est qu'un décor qui pâlit et s'efface, alors que la pièce demeure et traverse les temps.

La pièce était bien conforme à la devise que Herder avait choisie Licht, Lieb1, Leben et qu'il voulut que l'on inscrivît sur son tombeau .« Lumière, Amour et Vie », ces trois mots, rehaussés en allemand par l'allitération, expriment bien le fond de son être.

S'il fut combattif, agressif, 1muvent de mauvaise humeur, c'est qu'il s'insurgeait contre la paresse, l'indifférence, la lassitude, la satisfaction vaniteuse et inerte.

Il fut le défenseur de la vie, des âges méprisés, des civilisations jugées barbares parce qu'elles diffèrent de la nôtre, mais dans lesquelles il voyait naître et s'affirmer les volontés et les espoirs d'une humanité qu'un Dieu bienveillant et sage guidait vers de plus hautes destinées.

Il haïssait la guerre, et s'il fut « nationaliste • c'était afin de rappeler à tous qu'il faut puiser seulement aux sources vives.

Mais la lutte meurtrière des « patries contre les patries » lui semblait «le plus effroyable barbarisme dans la langue des hommes ».

MAURICE BOUCHER Professeur à la Sorbonne 243. »

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