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Honoré de Balzac, La Cousine Bette, incipit (1846). [Il s’agit ici des premières pages du roman.]

Publié le 06/10/2018

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Vers le milieu du mois de juillet de l’année 1838, une de ces voitures nouvellement mises en circulation sur les places de Paris et nommées des milords cheminait, rue de l’Université, portant un gros homme de taille moyenne, en uni-5 forme de capitaine de la garde nationale.

 

Dans le nombre de ces Parisiens accusés d’être si spirituels, il s’en trouve qui se croient infiniment mieux en uniforme que dans leurs habits ordinaires, et qui supposent chez les femmes des goûts assez dépravés pour imaginer 10 qu’elles seront favorablement impressionnées à l’aspect d’un bonnet à poil et par le harnais militaire.

 

La physionomie de ce capitaine appartenant à la 2' légion respirait un contentement de lui-même qui faisait resplendir son teint rougeaud et sa figure passablement joufflue. 15 À cette auréole que la richesse acquise dans le commerce

 

met au front des boutiquiers retirés, on devinait l’un des élus de Paris, au moins ancien adjoint de son arrondissement. Aussi, croyez que le ruban de la Légion d’honneur ne manquait pas sur la poitrine, crânement bombée à la prus-20 sienne. Campé fièrement dans le coin du milord, cet

 

homme décoré laissait errer son regard sur les passants, qui souvent, à Paris, recueillent ainsi d’agréables sourires adressés à de beaux yeux absents.

Intéresser ensuite : le lecteur ne sait pas à ce stade ce que ce personnage vaniteux vient faire dans l’hôtel particulier des Hulot, mais la curiosité est éveillée par l’attitude conquérante du parvenu, ainsi que par la réaction vive de la grande femme blonde dont on ignore encore l’identité.

 

L’entrée in médias res (on a le sentiment d’entrer dans une action déjà commencée) vise aussi à susciter l’intérêt du lecteur : nous entrons dans l’hôtel particulier en même temps que Crevel, sans que cette entrée du personnage ait été préparée par des explications préliminaires. Nous rejoignons Crevel « en route » si l’on peut dire, et nous sommes immédiatement pris dans l’action.

 

Enfin, les premières pages proposent un contrat de lecture : le lecteur sait rapidement qu’il se trouve face à un roman dit réaliste. La précision quasi documentaire de la description du cadre spatial, la volonté de s’intéresser à la société contemporaine (Balzac publie en 1846 son roman qui débute en 1838) est perceptible dès ces premières pages. Le lecteur, à partir de ces indications initiales, a donc des attentes particulières.

 

Formulation de la problématique

 

Cherchons alors le problème essentiel que pose le texte, en synthétisant nos remarques préalables.

 

Nous sommes confrontés à un incipit traditionnel où le narrateur omniscient situe le roman dans une époque, un lieu et un milieu particulier.

 

Par ailleurs le narrateur ménage ses effets en posant les prémisses d’une intrigue : que vient faire Crevel ? quelles relations entretient-il avec les personnages évoqués, et en particulier avec la belle femme blonde qu’il rencontre ?

 

Enfin, si le narrateur introduit le lecteur d’emblée au cœur d’une intrigue fortement insérée dans un milieu socio-culturel, produisant un fort effet de réel, il pose aussi un regard ironique sur le personnage principal et la situation, en complicité avec le lecteur, qui prend

balzac

« Le milord arrêta dans la partie de la rue comprise entre 25 la rue de Bellechasse et la rue de Bourgogne, à la porte d'une grande maison nouvellement bâtie sur une portion de la cour d'un vieil hôtel à jardin.

On avait respecté l'hôtel, qui demeurait dans sa forme primitive au fond de la cour diminuée de moitié.

30 À la manière seulement dont le capitaine accepta les services du cocher pour descendre du milord, on eût reconnu le quinquagénaire.

Il y a des gestes dont la franche lourdeur a toute l'indiscrétion d'un acte de naissance.

Le capitaine remit son gant jaune à sa main droite, et, sans rien 35 demander au concierge, se dirigea vers le perron du rez-de- chaussée de l'hôtel d'un air qui disait : « Elle est à moi ! » Les portiers de Paris ont le coup d'œil savant, ils n'arrê­ tent point les gens décorés, vêtus de bleu, à démarche pesante ; enfin ils connaissent les riches.

40 Ce rez-de-chaussée était occupé tout entier par M.

le baron Hulot d'Érvy, commissaire ordonnateur sous la République, ancien intendant général d'armée, et alors directeur d'une des plus importantes administrations du ministère de la guerre, conseiller d'État, grand officier de la 45 Légion d'honneur, etc., etc.

Ce baron Hulot s'était nommé lui-même d'Érvy, lieu de sa naissance, pour se distinguer de son frère, le célèbre général Hulot, colonel des grenadiers de la garde impériale, que l'empereur avait créé comte de Forzheim, après la cam- 50 pagne de 1809.

Le frère aîné, le comte, chargé de prendre soin de son frère cadet, l'avait, par prudence paternelle, placé dans l'administration militaire où, grâce à leurs dou­ bles services, le baron obtint et mérita la faveur de Napo­ léon.

Dès 1807, le baron Hulot était intendant général des 55 armées en Espagne.

Après avoir sonné, le capitaine bourgeois fit de grands efforts pour remettre en place son habit, qui s'était autant É É. »

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