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HUGO Victor Marie : sa vie et son oeuvre

Publié le 14/12/2018

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hugo

HUGO Victor Marie ( 1802-1885).

 

VICTOR HUGO AVANT L’EXIL

 

Totalité et fractures

 

Hugo est une totalité. Lui-même l'affirme : « L'ensemble de mon œuvre fera un jour un tout indivisible. Je fais (...] une Bible, non une Bible divine, mais une Bible humaine. Un livre multiple résumant un siècle, voilà ce que je laisserai derrière moi [...]. J’existerai par l’ensemble. On ne choisit pas telle ou telle pierre de la voûte ». Totalité du projet : tout dire, mais aussi totalité du destinataire : tout dire pour tous. Et tout dire de toutes les façons possibles : qu’il n'y ait aucun canton dans l’aire de la parole qui échappe à l’investissement du poète. On comprend à la fois comment on a pu dire que la poésie moderne datait d'après Hugo — comme s’il avait bouché l’horizon — et comment un simple coup d'œil permet de voir que les formes les plus nouvelles de la poésie, le surréalisme et l’après-surréalisme, sont contenues dans Hugo. Pour tous, Hugo est le Poète, mais il a écrit peut-être le plus grand roman du XIXe siècle, ces Misérables si dostoïevskiens. Et dans le domaine du théâtre, il est plus novateur qu’on ne croit. Mais surtout l'écriture de Hugo transcende la distinction des genres, faisant poésie de tout — de toute la prose, et même de la critique (voir son William Shakespeare) — et inscrivant à l’intérieur du verbe poétique le monde réel, l'histoire, le moi, les hommes.

 

« Mon père, vieux soldat, ma mère vendéenne »

 

En 1794, le soldat « bleu » Léopold Hugo est envoyé par la République pour mater la révolte de Vendée; il y rencontre Sophie Trébuchet, royaliste et vendéenne. Victor Hugo est le troisième enfant de ce couple : l'histoire le fait naître non seulement de la Révolution, mais d’une guerre civile, d'un conflit interne à la nation et comme fratricide.

 

Très vite, les époux se séparent, ne se retrouvant qu'à l’occasion de brefs voyages de Mme Hugo et des enfants en Italie (1807), en Espagne (1810), où le général Hugo est en occupation. La mésentente familiale arrache les enfants à leur mère, d'abord en Espagne, où Victor et Eugène sont placés pour plusieurs mois au collège des Nobles à Madrid; puis lors du procès en séparation des parents Hugo, où ils sont mis à la pension Cordier, avec interdiction d'en sortir, même pour les vacances. Ils vivent tragiquement le conflit de la mère et du père et, en 1815, la séparation définitive qui le conclut.

 

Un brouillon du Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie fait cet aveu caractéristique : « Ce qu’ils (les enfants Hugo] voyaient, entendaient était une contradiction continuelle, leur père, soldat de 92, leur parlait révolution; leur mère vendéenne, droit divin [...]. Jusqu’à l’idée de famille qui était contrariée [...]. Quand ils avaient le père, ils n’avaient pas la mère : jamais les deux! jamais qu’un tronçon de famille — une idée était à peine formée qu’elle s’évanouissait, l’une chassait l’autre [...]. Ils allaient de l’affirmation à la négation, le roulis était continuel ». Les enfants vivent charnellement

 

ce clivage de la société française, que les événements historiques mettent cruellement en lumière.

 

Or, tout se passe comme si le projet hugolien était de combler le fossé, de réconcilier l’irréconciliable et, en disant oui et non à la fois, de trouver les interlocuteurs les plus opposés, tous les interlocuteurs. Tout dire pour tous, c’est unir par l’écriture les oppositions. Telle est la position permanente de Victor Hugo écrivain. Si l’opposition des contraires « que les esprits superficiels nomment antithèse » passe pour le trait distinctif du style de Hugo, elle n'est pas chez lui juxtaposition, ou exclusion de l’un des termes, mais synthèse; plus que l’antithèse, c’est l’oxymoron, présence au même lieu d’objets et de réalités contraires, qui est la figure clef de l’écriture poétique hugolienne.

 

Expériences

 

A la suite de son père, Hugo parcourt l’Europe méditerranéenne conquise. Il est l’enfant du vainqueur, position parfois inconfortable, il ne s'en aperçoit que trop, avant de devenir l’enfant du vaincu — le général Hugo oppose une belle résistance aux Prussiens dans Thion-ville assiégée —, ce qui ne vaut guère mieux. Là encore son expérience embrasse les deux positions antagonistes.

 

Il est aussi l’enfant du martyr : dans la maison des Feuillantines, où les fils de Sophie passent avec celle-ci leurs plus belles années, il y a un proscrit, un opposant à l’Empire, le général Lahorie, parrain de Victor et aussi — peut-être ne le sait-il pas — amant de sa mère. Ce « père idéal » est arrêté dans la maison, puis fusille. La mort violente est là, toute proche, inscrite dans le vécu. Et comment faire place simultanément à l’admiration pour la Grande Armée et pour son épopée — et à la haine pour l’oppression sanguinaire? A ce vécu irréconciliable se rattachent non seulement la vocation littéraire et son extraordinaire précocité mais aussi son caractère propre : le «je » s’adresse à tous, pour intégrer et dominer les tensions internes.

 

Avant de tout dire, il faut tout lire : le cabinet de lecture Royol, le libéralisme intellectuel de Sophie — qui, passablement despotique au demeurant, laissait à ses fils la plus grande liberté de penser et de lire —, la prison du collège font du jeune Hugo un formidable liseur, qui, destiné d’abord à Polytechnique, intègre toute la culture possible de son temps, de l’Antiquité classique à la science moderne. Il y a un encyclopédisme du jeune Hugo, qui se traduit aussi par la durable passion de l’écrivain pour le dictionnaire.

 

Son univers affectif est également conflictuel; non seulement l’amour qu’il porte à son père et à sa mère est angoissant parce que divisé, mais l’affection qui l’unit à son frère — quasi-gémellité, solitude à deux en pension, commune passion pour leur mère — est aussi rivalité : rivalité poétique — ils briguent ensemble les prix de l’Académie française et des Jeux floraux —, rivalité amoureuse auprès de leur jeune amie Adèle Foucher. Sur tous les terrains, le cadet, Victor, gagne, tandis qu’Eu-gène, lentement, s’enfonce dans la schizophrénie. Autre drame d’amour : la mère refuse son consentement à l'amour de Victor et d’Adèle; les très jeunes fiancés correspondent clandestinement, et ce sont les admirables, naïves et tragiques Lettres à la fiancée. En 1820, Mme Hugo meurt de tuberculose, et Victor, qui souffre de ce deuil, s’empresse pourtant de renouer avec sa fiancée, qu’il épouse en 1822. Le jour du mariage, Eugène a une crise terrible : il faut le soigner, puis l’interner. Perte très douloureuse que celle du « doux et blond compagnon de toute ma jeunesse ». Puis, c’est la mort du premier enfant. La vie de ce garçon de vingt ans est semée de deuils. Deuils que ne compensent ni la tendresse un peu froide d’Adèle ni la réconciliation avec le père retrouvé. Le cœur du poète est déjà plein de « fractures ».

 

Apprentissages : le Conservateur littéraire

 

A seize ans, Hugo embrasse la carrière du journalisme littéraire : aidé de ses frères, il fonde le Conservateur littéraire [voir Conservateur littéraire], à l’ombre et dans la marge du Conservateur de Chateaubriand. Le journal, qui comptera trente livraisons de 1818 à 1821 avant de se saborder, est d’abord, d’après Chateaubriand et sur son modèle, l’affirmation par la pratique des pouvoirs de la littérature. L’existence même d’un organe littéraire à côté du Conservateur politique est une déclaration d’indépendance; défenseur du Trône et de l’Autel, il n’en revendique pas moins la liberté de l’esprit.

 

Organe polémique, le Conservateur littéraire fait siennes certaines options : en faveur de ce qu’on appelle déjà le romantisme et en faveur du théâtre et du roman; de là l’importance du grand article sur Walter Scott. Polémique contre les « nouveaux » hommes politiques — les libéraux, en particulier —, c’est un apprentissage de la satire dont le Hugo de la maturité se souviendra.

 

Défenseur de la langue et du travail formel sur l’écriture, il acquiert la pratique d’une écriture rapide et régulière; et le journal lui donne la possibilité de vivre, fût-ce difficilement, de son travail d’écrivain, lui montrant le chemin d’une indépendance non seulement financière et matérielle, mais morale.

 

Poésie

 

Les Odes sont à la fois une collection de lieux communs royalistes et un cahier d’exercices, où Hugo joue de plus en plus librement avec les mètres de la poésie lyrique traditionnelle, avant de ressusciter, dans les Ballades, les tentatives prosodiques de la Pléiade.

 

Le plus intéressant peut-être, dans cette suite de poèmes où se fait entendre la voix la plus convenue — où le nom est précédé de l’épithète la plus attendue —, est la volonté de grandeur : « sublime » du ton, majesté de la thématique, liens de l’histoire et du cosmique, chute des empires, présence biblique de Dieu à l’intérieur de l’histoire humaine; un Hugo visionnaire est déjà à l’œuvre, et la volonté, ou la nostalgie, du dire prophétique s’affirme :

 

On dit que jadis le Poète

 

Savait à la terre inquiète Révéler ses futurs destins.

 

Au fil de leurs quatre éditions successivement enrichies, les Odes varient davantage leurs rythmes, s’éloignant des mètres classiques — ainsi Rêves, de 1828 —, et acceptent la thématique « romantique » de l’intimité et de l’horreur. Au destinataire classique Hugo tente de joindre le jeune lecteur romantique; et le romantisme aussi évolue, de 1823 à 1829, passant du cléricalisme monarchique au libéralisme. A ce nouveau lecteur rêvé, les Odes ne suffisent plus, et les Ballades les relaient (novembre 1826-août 1828), les dernières étant plus provocantes par le jeu avec des mètres « impossibles » et par les plaisanteries anticléricales ou grivoises.

 

A partir du moment où la mutation politique de Hugo s’opère, ce retour au Père qu’il raconte dans les Miséra

 

bles sous le couvert du personnage de Marius, il lui faut prendre ses distances par rapport à la politique immédiate. Les Orientales marqueront sa nouvelle orientation. Le souci du public est là : l’Orient des années 1827-1829 est plus qu’une mode, c’est une préoccupation générale; Hugo y trouverait à la fois un point de contact avec ses lecteurs et un moyen d’échapper à la politique présente, en un moment où l’évolution de la monarchie des Bourbons lui rendrait de plus en plus intenable la vieille fidélité : l’art pour l’art est parfois le refuge nécessaire de la liberté.

 

« Génie lyrique, être soi, génie dramatique, être les autres », écrit Hugo. Mais comment, étant soi, dire à la fois le monde et soi-même? C’est la question que posent les quatre recueils de ce qu’on peut appeler la première maturité : les Feuilles d'automne, les Chants du crépuscule, les Voix intérieures, les Rayons et les Ombres.

 

Prolongeant la quête des Odes et Ballades, ils parlent à l’aide de formes éprouvées et des thèmes que tout le monde reconnaît : Napoléon, la Charité, le Printemps, le Souvenir ou la Liberté. Rien d’étonnant que ces recueils soient semés de poèmes d’autant plus célèbres qu’ils correspondent à la vue traditionnelle d’un Hugo poète au lyrisme un peu convenu, écho sonore de son siècle : « Oceano Nox », « Tristesse d’Olympio ». Il y a pourtant là moins conformisme que recherche d’un rapport poétique du moi à son destinataire.

 

En même temps Hugo inaugure sa recherche d’une histoire du moi, qui lui permettrait non seulement de se dire mais de se reconstituer; les quatre recueils sont la monnaie dispersée du projet des Contemplations : tresser sa propre histoire avec l’Histoire. Le premier poème des Feuilles d'automne est le célèbre « Ce siècle avait deux ans », où se disent le désir de réconcilier les parents ennemis et l’affirmation d’une destinée du Moi.

 

Roman

 

D’emblée, le roman hugolien présente ses caractères permanents. Il procède de la reprise biaisée d’une forme familière : forte et à la mode. Han d'Islande est un faux roman noir, sous-genre frénétique, comme Notre-Dame de Paris aurait pu être roman historique. De là leur ton « ironique et railleur », qui correspond aussi à l’indécision des convictions de Hugo jusqu’à l’exil. Y échappent cependant Claude Gueux et le Dernier Jour d'un condamné, tenus à la gravité par leur utilité dans le débat sur la pénalité judiciaire et sur la peine de mort.

 

Toute une vision du monde est ébranlée lorsque sa forme esthétique est subvertie. Le roman hugolien est critique et non « thétique ». D’abord, vis-à-vis de l’actualité, non politique (domaine qu’il aborde de préférence dans la poésie), mais sociale. Un bric-à-brac romanesque encombre Han d'Islande : chevalerie

 

sentimentale, par laquelle Hugo dit le dévouement de sa passion pour Adèle; épouvante, à demi enjouée, avec l’abominable Han, ce petit monstre bestial ravageant les contrées pour venger la mort de son fils, dans le crâne duquel il boit du sang humain; intrigue politico-policière d’usurpation et de cassette à documents dont dépend le sort du royaume. Mais c’est l’un des premiers romans du siècle à montrer une révolte ouvrière de la misère — et non sans sympathie. Hugo, écrit J. Seebacher, « y illustre jusqu’à les retourner les thèses de Joseph de Maistre sur le pouvoir et le bourreau » et, à la violence vindicative de l’absolutisme théocratique, oppose la générosité d’une entente entre l’ardeur de la nouvelle génération, pure des crimes révolutionnaires, la sagesse traditionnelle d’une monarchie régénérée et la bonne volonté du peuple, une fois soulagée sa misère.

 

Toile de fond pour Han, l’actualité historique est au centre de Bug-Jargal, récit d’un épisode de la révolte des Noirs à Saint-Domingue, en 1791. Les débats à la Chambre sur l'indépendance de l’île ont sans doute déterminé Hugo à développer en court roman la nouvelle écrite sur un pari en 1819; surtout, l'intrigue, fondée sur le dévouement et le sacrifice, explore, au travers de l’asservissement colonial, les réalités humaines et sociales de la Terreur et de la domination de classe. Les deux versions de Claude Gueux et le Dernier Jour d'un condamné — avec leurs importantes préfaces — font également référence aux discussions en cours sur la législation pénale et aux scandales de l’exploitation des prisonniers par l’industrie, mais vont aussi au-delà. Au-delà même d’une dénonciation juridique et morale de la peine de mort, ils mettent en évidence la contradiction entre l’assassinat légal et les fondements civils et éthiques de la vie sociale. Inversant le raisonnement commun, ils considèrent la société elle-même du point de vue de la peine de mort et la montrent monstrueuse, jusqu’à l’impensable.

 

Estompé par l’éclat du modèle balzacien, ce réalisme risque aussi d’être éclipsé par d'autres modes de rapport au réel. Autre trait distinctif du roman hugolien : il s’offre à lire simultanément aux trois niveaux de la saisie des réalités contemporaines, de la pensée et de la résonance des scènes de l’imaginaire.

 

Assez restreint — l’inventaire en a été brillamment établi par M. Baudouin —, organisé autour du processus du sacrifice de soi et structuré par le schéma de l’inversion — retournement des occasions de bonheur en catastrophes et des promesses en malédictions —, le matériel fantasmatique est mis en œuvre de telle sorte qu’il conserve son inquiétante et violente étrangeté. Le Dernier Jour d'un condamné, écrit par Hugo au lendemain de la mort de son père, détaille, du rêve à la syncope, toutes les formes de l’angoisse; moins systématique, tel texte — celui, par exemple, où la Sachette, dans Notre-Dame de Paris, d’un seul geste de possession désespérée retrouve sa fille et la voue à la mort — s’adresse plus directement encore à l’inconscient, par-delà l’analyse réflexive mais non pas à l’insu du lecteur. Plus généralement, chaque personnage apparaît comme une instance élémentaire et primitive du moi : la personnification d’une force, d’une conduite, d’un désir ou d’une souffrance. Si bien que l’ensemble des personnages figure une personnalité complète et que l’action forme une vaste psychomachie — si l’on ose dire —, d’une autre vérité que celle de l’analyse psychologique.

 

On s’explique que le même personnage puisse être image de pulsion en même temps que signe d’une idée : il indexe toujours une réalité partielle de la conscience, préservant le lecteur des empoissements de l’identification. Han, comme l’Habibrah de Bug-Jargal, figure toutes les difformités : allégoriquement, le mal lui-même, et son histoire — Y. Gohin l’a bien montré — manifeste « la mystérieuse loi de justice immanente selon laquelle le crime se retourne contre le criminel et devient son châtiment ». Claude Gueux, héros homonyme de tous les misérables, désigne la scandaleuse perversion qui, pour eux, inverse en honte et en crime ce qui est valeur et vertu dans la société — le sens de la justice, la générosité, l’amour — et qui leur interdit d’être bons.

 

La logique de la combinaison des trois lignes de signification dont le tressage forme le héros n’a guère été envisagée par la critique; non sans motif. De quelle philosophie ou « méthodologie » dispose-t-elle qui soit capable de conceptualiser l’objet même du roman hugolien : saisir la totalité de la vie des individus, sujets en même temps qu’objets de leur histoire, de leur conscience et de leur propre condition d’hommes — articulation problématique de trois contradictions?

 

De là cette sorte de blancheur des héros hugoliens, réputés dénués d'épaisseur, en réalité simples et compo

 

sites. On ne les imagine que comme des silhouettes opaques, sans visage, se mouvant dans un décor profond, lui, et coloré. Ils sont devant le lecteur, non en lui, et le fil de leurs aventures forme une succession de scènes spectaculaires. C’est exprimer le dernier trait caractéristique des romans de Hugo : leur théâtralité. Elle ne tient pas seulement au mode d’existence des personnages — sollicitant l’illustration comme ceux du théâtre demandent un interprète —, à l’esthétique de la discontinuité qui brise le récit, au génie visuel propre à Hugo, à l’absence du monologue intérieur et des techniques de restriction de champ, au primat de la représentation des actions sur l’analyse de leurs motifs — tous caractères communs aux romanciers qui, comme Balzac, cherchent aussi, après Walter Scott, la formule d’un roman « dramatique »; elle tient surtout au mode de l’énonciation romanesque : éviction complète ou mise en représentation du narrateur.

 

Bug-Jargal et le Dernier Jour d'un condamné sont le récit, ici écrit et là oral, du protagoniste : technique romanesque — déjà usée — lorsque la situation de parole du narrateur-héros est de quelque manière déliée des circonstances vécues par le héros-narrateur; technique proprement théâtrale lorsque l’énonciation du discours participant à son objet, la narration est un moment de l’action. Ainsi le récit du capitaine d'Auverney lui vaudrait la guillotine s’il n’avait pas été le testament de son suicide; le condamné n’écrit, au fur et à mesure, que ce qu’il vit et ne vit rien d'autre que l’écrire. Surenchère : l’épilogue de Bug-Jargal est une « Note », étayée de pièces officielles, ajoutée, après recherches, par l’éditeur-auditeur du récit; la dernière page du Dernier Jour est le fac-similé d’une chanson, annotée de la main du condamné.

 

Han d'Islande et Notre-Dame de Paris relèvent d’une autre théâtralité : celle des marionnettes, qui s’instaure lorsque la voix du récitant se distingue comme telle. L’émetteur se dissocie, ici par l’ironie, de son récit et le livre, en plus des figures humaines qu’il fait mouvoir, met en scène, comédien interprétant un personnage, l’auteur dans le rôle du narrateur, chacun parlant tour à tour — ou ensemble.

 

Claude Gueux emprunte aux deux systèmes. La neutralité du narrateur et l’abondance des dialogues et monologues font du récit une page de théâtre où les indications scéniques seraient seulement très étendues; d’autre part, une vaste péroraison transforme tout le livre en un discours fait à la Chambre et, rétroactivement, le récit lui-même en un grand exemplum, dit et mimé par l’orateur. Une « Note », ici encore, consacre cet effet. C’est la lettre d’un certain « Charles Carlier, négociant », demandant au directeur de la Revue de Paris, qui avait publié la nouvelle, d’en faire tirer à ses frais « autant d’exemplaires qu’il y a de députés en France, et de les leur adresser individuellement et bien exactement ». Spectaculaire détournement de l'origine du livre : écrit par Hugo mais envoyé par M. Carlier aux députés afin que l’un d’eux s’en empare, et le prononce en discours à imprimer au Moniteur. Le mérite de ce négociant — s’il a existé — avait été de bien lire; celui de Hugo de tirer un plein parti de ce geste pour la mise en scène de son texte.

 

A cette date — 1834 —, Hugo était déjà un homme de théâtre confirmé. Dans sa carrière d’avant l’exil, tout se passe comme si le dramaturge avait fait ses armes chez le romancier avant de lui prendre la parole.

 

Théâtre

 

Pour trouver un contact immédiat avec le public, rien ne vaut, surtout au xixe siècle, le théâtre — au reste, financièrement avantageux. Mais quel théâtre? La scène alors peut être celle, officielle, des subventionnés, l’Opéra ou la Comédie-Française, repaire des genres traditionnels et de la survivance classique — ou bien les scènes populaires du boulevard du Crime, où l’on joue mélodrames et vaudevilles. Ici encore, Hugo témoigne du clivage de la société, non plus politique mais social; c’est à quoi correspond, avec un humour cruel, dans Notre-Dame de Paris, la mésaventure du poète dramatique Gringoire, dont le peuple déserte la belle œuvre pour assister à un concours de grimaces. Comment faire un théâtre à la fois artistique et populaire?

 

Hugo rencontre ici le désir de la jeune génération de bouleverser la vieille tragédie pour faire entrer sur scène le monde contemporain et l’histoire. De cette rencontre naît la Préface de Cromwell [voir Romantisme].

 

Elle est le manifeste de la liberté au théâtre, liberté non pas abstraite, mais réglée par trois éléments : l’usage et la pensée de l’histoire, éclairant à la fois le passé et le présent; la poésie — rigueur et force du style, usage du vers : machine à éloigner le philistinisme bourgeois —; enfin le grotesque, image mystifiée mais vivante de la réalité populaire introduite au cœur du drame.

 

Cromwell lui-même est fidèle à cette triple perspective. Ses 6 000 vers composent l'image de ces masses qui entrent dans l’histoire; grandeur poétique, exhaustivité de l’histoire, présence populaire dans les personnages et dans le grotesque — chansons des Fous, facéties burlesques de Rochester, dérision de la puissance —, l’œuvre — théorie et pratique — apparaissait capable de faire sauter le verrou de la tragédie vieillie et de renouveler le théâtre. Drame de l’histoire, Cromwell pose en termes immédiatement accessibles le problème de l’action politique : qui prendra en main, après une série de convulsions, les destins d’un monde complexe et décadent?

 

Au théâtre, la victoire ne se remporte que sur le terrain : Cromwell, ce géant, ne pouvait être ni joué ni réduit. En 1829, Hugo écrit coup sur coup deux pièces où il trouve sa propre formule du drame romantique : drame de l’être double cherchant dans les luttes de l’histoire et les vicissitudes de l'amour son identité et l’impossible réconciliation d’un moi déchiré — Didier et Hernani comme Louis XIII et don Carlos —, mais aussi le sens et le rôle du pouvoir.

 

Marion Delorme interdite par la censure de Charles X, Hugo aussitôt écrit Hernani, qui est joué au printemps 1830, non sans remous. La vigueur provocante du style, la violence ou le comique des situations — le roi d'Espagne dans un placard —, la grandeur paradoxale des personnages, l'amour impossible, la présence permanente de la mort ravirent une jeunesse qui voyait dans l’œuvre non seulement le mépris libéral des rois — nuancé d’une pointe de bonapartisme —, mais l’étendard enfin brandi de la liberté dans l'art, et qui y reconnaissait ce mélange diffus d'espérance et de nostalgie qui précéda et suivit la révolution de 1830. La bataille d’Hernani, plus idéologique et littéraire que politique, se joue dans le public, mais Hugo avait déjà dû engager un combat contre les Comédiens-Français, incapables d'accepter de telles offenses à la tragédie. Apres juillet 1830, Hugo peut faire jouer Marion, libérée de la censure; il change de théâtre et choisit la scène — plus « populaire » — de la Porte-Saint-Martin.

 

Conscient du fait que, pour le théâtre dont il rêve, il n’y a pas vraiment de public, surtout après l’échec immédiat des espérances que la révolution de 1830 avait suscitées, Hugo s'efforce non seulement de trouver un public, mais de le créer un : à la fois bourgeois et populaire. Pendant l’été 1832 — année des émeutes contre le régime —, il adopte une double démarche croisée : pour le Théâtre-Français une sorte de tragédie en alexandrins, mais dont la structure et le personnage principal — un

 

bouffon — sont grotesques; pour la porte Saint-Martin un drame en prose, mais de structure et de personnages parfaitement classiques. La première, Le roi s'amuse, essuie au Théâtre-Français, devant un public d’artistes, d’intellectuels et de grands bourgeois, un échec retentissant; interdite le lendemain, elle est l'occasion d’un procès où Hugo défend les droits de la liberté dans l’art contre toute censure. La seconde, Lucrèce Borgia, drame de l’amour incestueux et de la culpabilité fatale, proche de ces « grands mélodrames en prose » qu'aimera Artaud, et dont le dernier acte est un chef-d’œuvre de construction poétique et de violence hallucinatoire, eut un succès immense et mérité. Ce fut aussi, pour Hugo, l’occasion de la rencontre d'une petite comédienne, très belle, entretenue par un prince qu’elle quitta pour lui, Juliette Drouet, qui l'aima passionnément et vécut avec lui un amour qui dura cinquante ans.

 

Le drame en prose qui suit dans le même théâtre, Marie Tudor, est peut-être la meilleure pièce de Hugo; ce drame historique, âpre transposition de la révolution de 1830, dérouta les spectateurs par sa complexité. Et Hugo, par amour de Juliette, s’était laissé piéger dans les intrigues de théâtre. Déçu, il retourne à la Comédie-Française, qui accepte un drame en prose mais exige des concessions : Hugo s’y plie, renonce à l’histoire et au grotesque et obtient un vrai succès de public avec Angélo, tyran de Padoue.

 

Une solution : créer une salle où le drame romantique serait chez lui; c'est ce que tentent Dumas et Hugo. Pour l’inauguration du théâtre de la Renaissance, il écrit J?wy Blas. Il y pose les problèmes qui lui paraissent essentiels : celui de l’agonie d’une monarchie, cette mort des rois qui l’obsède depuis Cromwell, et surtout il met en lumière l’impossibilité pour l'artiste — l’intellectuel ou l'homme du peuple — de l’emporter face à la coalition des privilégiés. Ruy Blas est la mise en accusation de toute utopie politico-sociale.

 

Après le succès discuté de Ruy Blas, Hugo entreprend la composition des Jumeaux, qu’il laisse inachevés; puis il revient à la scène avec une formule nouvelle, la grande « trilogie » des Burgraves. Trilogie parce qu’elle convoque le passé, le présent et l’avenir, unit la tragédie passée et la rédemption future, et entreprend cette réconciliation du « moi » et des forces ennemies que n’avait pu tenter seulement le moi fracturé de Ruy Blas, le laquais-ministre.

 

Comme tout le théâtre romantique, celui de Hugo souffre de l’inadéquation entre le projet « shakespearien » d'un drame du monde et les blocages techniques — la scène à l’italienne —, institutionnels et politiques de l’appareil théâtral de son temps. Aussi les œuvres théâtrales de Hugo les plus adéquates à son projet — et c’est aussi le cas de Musset — sont-elles peut-être le « monstrueux » Cromwell et ce « théâtre dans l’esprit » qu'est le Théâtre en liberté.

 

Proses

 

En proie aux attaques conjuguées des classiques et des libéraux — ce sont souvent les mêmes —, Hugo publie Littérature et philosophie mêlées, pour montrer à la fois le sens de son évolution politique — du Journal d'un jeune jacobite au Journal d'un révolutionnaire de 1830 — et situer sa place exacte dans le mouvement littéraire. Théorie de l’homme de génie — Mirabeau —, le livre donne la monnaie dispersée d'une théorie de la « substitution des questions sociales aux questions politiques » et du passage de « la langue hiératique à la langue démotique », qui est comme l’utopie d’une littérature du peuple.

 

Dès 1834, Hugo prend l’habitude de voyager un mois, pendant l’été, en compagnie de Juliette. Les nombreux dessins qu'il en rapporte — eux-mêmes infime partie d'une surprenante et abondante œuvre graphique allant de la caricature au véritable tableau — ne témoignent pas seuls de son goût du croquis sur le vif et de l'observation. Publiées après sa mort, les lettres de voyage — France et Belgique, Alpes et Pyrénées — ou de simples notes montrent un autre Hugo : attentif, exact, rapide, gai. La même acuité du regard, appliquée à l'actualité, a rendu célèbre le recueil des Choses vues, rassemblé par G. Simon et récemment enrichi par H. Juin. Ce talent illustre le métier de journaliste, et il demeure étonnant qu'après le Conservateur et la Muse française Hugo n'ait plus jamais écrit pour la presse alors même qu’il inspira deux organes tenus par ses fils et ses proches : l'Événement, de 1848 à 1851. et le Rappel (après 1869).

 

Le livre le Rhin est un livre de voyage, certes, mais très particulier. Le fleuve est son image métaphorique; il charrie avec la plus grande liberté tout ce que véhicule l’imaginaire de Hugo : visions « touristiques », rêves architecturaux, souvenirs d’enfance, expansions du discours au gré des rencontres — les jeunes filles devant la statue du chevalier décapité, le bouffon de Heidelberg —, jusqu’à ce conte du « Beau Pécopin » — préfiguration de Peer Gynt —, dont les errances séculaires montrent le néant de la course ambitieuse du moi. Et l'utopie y trouve sa place politique, qui, effaçant les querelles nées de la Sairte-Alliance, fait du grand fleuve le médiateur des sœurs ennemies, Allemagne et France, le médium de l’Europe de demain. C'est un livre du «je » où le narrateur est témoin de soi et du monde à la fois.

 

Intervalles sombres

 

En septembre 1843, Hugo est en voyage, comme chaque année, avec son amie Juliette Drouet, quand il apprend par un journal la mort accidentelle de sa fille Léopoldine, récemment mariée, noyée à Villequier, avec son mari, le 4 septembre 1843. Drame affreux. Hugo cesse d’écrire, sauf quelques poèmes d’amour. C'est que, par une réaction explicable, il s’est éloigné de Juliette et dès la fin de 1843, s'est pris d'une passion éperdue pour Léonie Biard. femme d’un peintre — « Thérèse la blonde », du poème des Contemplations « la Fête chez Thérèse ». L'aventure aboutit à un constat d'adultère (juillet 1845) qui met en péril la position officielle du poète devenu académicien (1841) et pair de France (1845). Il quitte Paris et commence à écrire son roman les Misères, première version des Misérables. Peut-être fallait-il ce double choc; la douleur paternelle, la réprobation sociale, pour qu’il entreprenne une œuvre aussi profondément non conformiste.

 

En juin 1846, Juliette, qu’il n’avait pas quittée, perd sa fille Claire, morte à vingt ans de tuberculose. Cette mort ranime l’amour pour Juliette et rouvre la source des larmes. Coup sur coup, pendant le second trimestre 1 846, Hugo écrit la série des célèbres poèmes sur la mort de sa fille qui figurent dans les Contemplations sous le titre « Pauca meae » et dont le plus illustre est « A Villequier ». Ces années sombres ouvrent à la fois sur les Misérables et sur les Contemplations.

 

Révolutions et évolution

 

En 1829, Hugo proposait de substituer les questions sociales aux questions politiques : signe d’un sentiment exact de l'inadéquation du débat politique à l'état réel de la lutte des classes, mais aussi demi-refus d'un engagement clair. De là une suite d’apparentes trahisons qui ont été beaucoup reprochées à Hugo. Ultraroyaliste lors du premier recueil des Odes, légitimiste libéral, dans le sillage de Chateaubriand, sous Charles X — dont il célèbre encore le sacre en poète officiel et pensionné —,

 

Hugo se rallie sans éclat à la révolution de 1830 et s’éloigne bientôt de la monarchie de Juillet ébranlée par les grands mouvements sociaux auxquels les Misérables feront écho. En 1832, le procès du Roi s ’amuse le classe dans l’opposition, mais ses succès lui donnent une place progressivement plus brillante dans l’élite intellectuelle que Louis-Philippe, notamment par l’entremise du duc et de la duchesse d'Orléans, parvient à rallier au régime. Bientôt familier du roi lui-même — les Misérables évoquent ces tête-à-tête du Prince et du Poète —, Hugo est assez en faveur pour que l’intervention royale lui permette d'entrer à l’Académie (1841), condition légale — faute de fortune — de sa nomination à la Chambre des pairs (avril 1845).

 

C'est le sommet de sa carrière. Les perspectives géopolitiques du Rhin passent pour une démonstration de ses aptitudes — voire une candidature — à la conduite des affaires. Le flagrant délit d'adultère de 1845 l'en écarte pour longtemps. Hugo montra ensuite une si constante aversion pour les dignités et les places qu’on dirait cette maladresse suicidaire. En février 1848, par fidélité plus que par conviction, il sait, inutilement, intervenir en faveur de la régence de la duchesse d’Orléans et n’accepte pas l’instauration de la République sans noter combien d'ambitions déçues y trouvent leur compte.

 

Républicain « du lendemain », mais loyalement respectueux de l'évidente volonté populaire, Hugo, élu dans les rangs de la « droite » — le « parti de l’ordre » —, se montre un député libéral, quoique peu réticent à donner au gouvernement les moyens du rétablissement de l’ordre, conservateur en matière économique et hostile à tout socialisme, mais prêt à des réformes sociales. En juin 1848, il est l’un des soixante députés envoyés aux barricades porter les sommations de l'Assemblée; outrepassant sa mission, il aurait, au moins une fois, conduit l'assaut « pour empêcher l’effusion du sang ».

 

Trois ans après, devenu — non sans un détour bonapartiste — un orateur écouté de la « Montagne », démocrate et socialiste, il prend une part active à l’organisation de la très minoritaire résistance parisienne au coup d’État. L’expérience concrète de la politique : la certitude acquise d’une provocation politico-militaire en juin, l'autoritarisme des républicains conservateurs — Cavai-gnac —, l'hypocrisie d’une droite reconnaissant, dans les couloirs, n’avoir ordonné une enquête sur la misère que pour donner une illusoire satisfaction à quelques « chrétiens-sociaux » égarés, ont montré à Hugo vers quel bord politique l’avaient dès longtemps porté, sans qu'il le sût. ses qualités humaines les plus profondes et ses convictions morales.

 

Surtout, entre 1848 et 1851. Hugo a moins changé que la République. La guerre manifestement engagée contre celle-ci par une bourgeoisie qui se ferme en caste protégée par Louis-Napoléon conduit le régime vers un nouveau despotisme. Le dépérissement de la république la dépouille de son ancienne ambiguïté, montre qu'elle a les mêmes ennemis que les ouvriers de juin et fait voir en elle un processus dynamique de progrès : la solution simultanée et réciproque de la question politique — comme en février — et de la question sociale, à la différence de juin.

 

Enfin, à mesure qu’elle est attaquée et perd sa réalité, la République prend l’aspect d’un programme, d’un « postulat de la raison pratique dont la réalisation n'est jamais atteinte mais qu’il faut constamment rechercher comme but ». Idéale suppression des rapports de classe — et de la division concrète du public — procédant d’un enchaînement de réforme des lois et de libération des consciences auquel le poète participe et qu'il préfigure : telle est la République que l’histoire offre à Hugo, à laquelle il adhère et dont il contribue à former et répandre l’image parce qu’elle est aussi un principe d’écriture.

hugo

« bles, naïves et tragiques Lettres à la fiancée.

En 1820, Mme Hugo meurt de tuberculose, et Victor, qui souffre de ce deuil, s'empresse pourtant de renouer avec sa fian­ cée, qu'il épouse en 1822.

Le jour du mariage, Eugène a une crise terrible : il faut le soigner, puis l'interner.

Perte très douloureuse que celle du « doux et blond compagnon de toute ma jeunesse>>.

Puis, c'est la mort du premier enfant.

La vie de ce garçon de vingt ans est semée de deuils.

Deuils que ne compensent ni la tendresse un peu froide d'Adèle ni la réconciliation avec le père retrouvé.

Le cœur du poète est déjà plein de « fractures >>.

Apprentissages : /e Conservateur littéraire A seize ans, Hugo embrasse la carrière du journalisme littéraire : aidé de ses frères, il fonde le Conservateur littéraire (voir CONSERVATEUR LITTÉRAJRE), à l'ombre et dans la marge du Conservateur de Chateaubriand.

Le journal, qui comptera trente li vrai sons de 1818 à 1821 avant de se saborder, est d'abord, d'après Chateaubriand et sur son modèle, l'affirmation par la pratique des pou­ voirs de la littérature.

L'existence même d'un organe littéraire à côté du Conservateur politique est une décla­ ration d'indépendance; défenseur du Trône et de l'Autel, il n'en revendique pas moins la liberté de J'esprit.

Organe polémique, le Conservateur littéraire fait siennes certaines options : en faveur de ce qu'on appelle déjà le romantisme et en faveur du théâtre et du roman; de là l' importance du grand article sur Walter Scott.

Polémique contre les « nouveaux >> hommes politiques - les libéraux, en particu lier-, c'est un apprentissage de la satire dont le Hugo de la maturité se souviendra.

Défenseur de la langue et du travail formel sur J'écri­ ture, il acquiert la pratique d'une écriture rapide et régu­ lière; et le journal lui donne la possibilité de vivre, fût-ce diff icilement, de son travail d'écrivain, lui montrant le chemin d'une indépendance non seulement financière et matérielle, mais morale.

Poésie Les Odes sont à la fois une collection de lieux com­ muns royalistes et un cahier d'exercices, où Hugo joue de plus en plus librement avec les mètres de la poésie lyrique traditionnelle, avant de ressusciter, dans les Bal­ lades, les tentatives prosodiques de la Pléiade.

Le plus intéressant peut-être, dans cette suite de poè­ mes où se fait entendre la voix la plus convenue -où le nom est précédé de l'épithète la plus attendue -, est la volonté de grandeur : « sublime >> du ton, majesté de la thématique, liens de l'histo ire et du cosmique, chute des empires, présence biblique de Dieu à l'intérieur de l'his­ toire humaine; un Hugo visionnaire est déjà à l'œuvre, et la volonté, ou la nostalgie, du dire prophétique s'affirme.

: On dit que jadis le Poète Savait à la terre inquiète Révéler ses futurs destin s.

Au fil de leurs quatre éditions successivement enri­ chies, les Odes varient davantage leurs rythmes, s'éloi­ gnant des mètres classiqu es- ainsi Rêves, de 1828 -, et acceptent la thématique «romantiq ue>> de l'intimité et de l'ho rreur.

Au destinataire classique Hugo tente de joindre le jeune lecteur romantique; et le romantisme aussi évolue, de 1823 à 1829, passant du cléricalisme monarchique au libéralisme.

A ce nouveau lecteur rêvé, les Odes ne suffisent plus, et les Ballades les relaient (novembre 1826-août 1828), les dernières étant plus pro­ vocantes par le jeu avec des mètres « impossibles >> et par les plaisanteries anticléricales ou grivoises.

A partir du moment où la mutation politique de Hugo s' opère, ce retour au Père qu'il raconte dans les Misé ra- bles sous le couvert du personnage de Marius, il lui faut prendre ses distances par rapport à la politique immé­ diate.

Les Orientales marqueront sa nouvelle orientation.

Le souci du public est là : l'Orient des années 1827-1829 est plus qu'une mode, c'est une préoccupation générale; Hugo y trouverait à la fois un point de contact avec ses lecteurs et un moyen d'échapper à la politique présente, en un moment où l'évo lution de la monarchie des Bour­ bons lui rendrait de plus en plus intenable la vieille fidélité : 1' art pour l'art est parfois le refuge nécessaire de la liberté.

« Génie lyrique, être soi, génie dramatique, être les autres », écrit Hugo.

Mais comment, étant soi, dire à la fois le monde et soi-même? C'est la question que posent les quatre recueils de ce qu'on peut appeler la première maturité : les Feuilles d'automne, les Chants du crépus­ cule, les Voix intérieures, les Rayons et les Ombres.

Prolongeant la quête des Odes et Ballades, ils parlent à l' aide de formes éprouvées et des thèmes que tout le monde reconnaît : Napoléon, la Charité, le Printemps, le Souvenir ou la Liberté.

Rien d'étonnant que ces recueils soient semés de poèmes d'autant plus célèbres qu'ils correspondent à la vue traditionnelle d'un Hugo poète au lyrisme un peu convenu, écho sonore de son siècle : >,«Tristesse d'Olympio >>.Il y a pourtant là moins conformisme que recherche d'un rapport poéti­ que du moi à son destinataire.

En même temps Hugo inaugure sa recherche d'une histoire du moi, qui lui permettrait non seulement de se dire mais de se reconstituer; les quatre recueils sont la monnaie dispersée du pro jet des Contemplations : tresser sa propre histoire avec l'Histoire.

Le premier poème des Feuilles d'automne est le célèbre «Ce siècle avait deux ans », où se disent le désir de réconcilier les parents ennemis et l'affirmation d'une destinée du Moi.

Roman D'emblée, le roman hugolien présente ses caractères permanents.

Il procède de la reprise biaisée d'une forme familière : forte et à la mode.

Han d'Islande est un faux roman noir, sous-genre frénétique, comme Notre-Dame de Paris aurait pu être roman historique.

De là leur ton «i ronique et railleur >>, qui correspond aussi à l'indéci­ sion des convictions de Hugo jusqu'à l'exil.

Y échappent cependant Claude Gueux et le Dernier Jour d'un condamné, tenus à la gravité par leur utilité dans le débat sur la pénalité judiciaire et sur la peine de mort.

Toute une vision du monde est ébranlée lorsque sa forme esthétique est subvertie.

Le roman hugolien est critique et non «thétiq ue ».

D'abord, vis-à-vis de l'ac­ tualité, non politique (domaine qu'il aborde de préfé­ rence dans la poésie), mais sociale.

Un bric-à-brac roma­ nesque encombre Han d'Islande: chevalerie sentimentale, par laquelle Hugo dit le dévouement de sa passion pour Adèle; épouvante, à demi enjouée, avec l' abominable Han, ce petit monstre bestial ravageant les contrées pour venger la mort de son fils, dans le crâne duquel il boit du sang humain; intrigue politico-policière d'usurpation et de cassette à documents dont dépend le sort du royaume.

Mais c'est l'un des premiers romans du siècle à montrer une révolte ouvrière de la misère -et non sans sympathie.

Hugo, écrit J.

Seebacher, « y illustre jusqu'à les retourner les thèses de Joseph de Maistre sur le pouvoir et le bourreau » et, à la violence vindicative de l'absolutisme théocratique, oppose la générosité d'une entente entre 1 'ardeur de la nouvelle génération, pure des crimes révolutionnaires, la sagesse traditionnelle d'une monarchie régénérée et la bonne volonté du peuple, une fois soulagée sa misère.

Toile de fond pour Han, 1' actualité historique est au centre de Bug-Jargal, récit d'un épisod!e de la révolte. »

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