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IBSEN: LA RÉVÉLATION DE SAINT PIERRE.

Publié le 04/05/2011

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ibsen

Ibsen alla s'installer à quatre kilomètres de Genzano, car il est toujours retourné volontiers vers les paysages qui lui avaient une fois plu. Il vécut à Ariccia une vie calme, avec sa femme et son petit garçon. Un seul scandinave y était venu cette année-là, un vieux peintre de portraits, qui avait amassé de quoi vivre modestement à Rome, brave homme un peu fou, dont Ibsen écoutait parfois les histoires. Mais la plupart du temps, il était seul. Il se levait de très bonne heure, souvent à quatre heures du matin, et faisait de longues promenades, puis, lorsque venait la grande chaleur, il rentrait, et restait à sa table de travail presque sans interruption jusqu'à la fin du jour. Le soir, il s'asseyait sur les marches de l'église et jouissait de la fraîcheur. Rarement il se dérangeait de cette régularité, se reposant dans quelque auberge et causant avec un scandinave en villégiature dans les environs, qu'il avait rencontré.

ibsen

« rapportait pas de quoi vivre, et il était obligé d'emprunter.

Il ne trouvait pour cela que des usuriers, et sa situationallait s'aggravant.

Dans sa demande de « pension de poète », du Io mars 1863, il déclare que ses dettes montaientalors à 500 spd.

(2.800 fr.

du temps), ce qui représentait sa dépense d'une année.

Il fut réduit, surtout cetteannée-là, à une misère progressive, et que ses amis les plus intimes ne soupçonnaient pas si grande, car il lacachait, et comme ils étaient pauvres eux-mêmes, ils ne voyaient pas entre eux et lui si grande différence.Pourtant, lorsqu'il n'était pas venu, aux jours habituels, chez Paul Botten Hansen, dont l'appartement était lerendez-vous ordinaire de leur groupe, et chez qui l'on trouvait toujours du hareng fumé et des tartines, cetexcellent homme s'inquiétait, et allait voir si rien de fâcheux n'était arrivé à son hôte le plus assidu.

Ibsen était alorsprobablement au café, où il lui arrivait de passer des heures, seul, assis devant un bock vide.

Car il traversait unepériode singulière, où il passait constamment de la prosternation à l'énergie, et de l'aboulie à l'activité.

Le plussouvent, il faisait plus de projets que de besogne, et il ne parvenait pas à se mettre sérieusement au travail.

Unepièce, depuis longtemps conçue, restait sur le chantier.

Il fuyait sans doute aussi l'horreur de son foyer misérable etmaussade, et peut-être les reproches de sa femme qui ne pouvait comprendre cette inaction.

Car Madame Ibsen,dans un moment aussi difficile et pénible, pouvait être admirable en ceci qu'elle ne se plaignait jamais, seulement ilne semble pas qu'elle ait su rasséréner son mari, ni lui rendre son intérieur agréable.

Elle ne récriminait pas contrel'insuccès passé, mais elle n'était contente que lorsqu'elle voyait Ibsen au travail.

On conçoit qu'il n'ait pas eul'esprit très dispos.

Il aurait aimé ne jamais paraître que dans une tenue très soignée, et il n'allait qu'en vêtementsusés et fripés, qui lui causaient un dégoût permanent.

Plus grave était le sentiment de sa responsabilité de père defamille.

Allait-il, pour assurer au moins le manger à sa femme et à son fils, être obligé de renoncer à être poète,malgré la foi robuste qu'il avait en sa « vocation » ? Car il pouvait parfois douter de son talent, non de sa vocation.Il a envisagé ce renoncement douloureux, et comme il n'était qualifié pour aucun métier, il pensait à un des emploisalors les plus méprisés, et se demandait s'il ne lui faudrait pas solliciter un poste de douanier.

Il ruminait ainsi toutseul, sans communiquer ses réflexions à ses amis, ni probablement à sa femme, et son découragement était profond.Et cependant il voulait être poète, et s'obstinait dans cette volonté.

Cet état d'esprit s'exprime dans un des poèmesanciens qu'il corrigea au commencement de 1863 : « le Mineur ». Roc, éclate avec fracassous les coups du lourd marteau !Vers le bas je fraie ma voie,tant qu'enfin le métal sonne !Ai-je fait erreur ? Et n'est-ce pas la voie vers la clarté ?Je suis aveuglé pourtant, si je cherche à voir en haut.Non,- je-dois creuser en bas, où la paix règne à jamais.Lourd marteau, fraie-moi la voie vers le coeur où tout se cache.Coup sur coup de mon marteau, jusqu'au terme de la vie.Nul rayon n'annonce une aube ; nul soleil d'espoir ne point.Ce poème datait de 1851 et il est étrange qu'un jeune homme de vingt-trois ans ait pu écrire des vers aussidésespérés.

Mais à cette date il s'agissait surtout d'un désespoir philosophique, et la dernière strophe était lasuivante : Coup sur coup il continue,Puis s'affaisse faible et las ;Nul rayon n'annonce d'aube,Nul soleil de clarté ne point. Certes, il a eu raison de modifier le « soleil de clarté », mais il a ici changé complètement le sens, car la « clarté » —il en est déjà question deux strophes plus haut exprime évidemment l'intelligence des hauts problèmes.

Plussubjective est l'expression nouvelle : sans « nul soleil d'espoir », il continuera quand même, cette fois, «jusqu'auterme de la vie ».

A l'idée raisonnable de chercher un emploi quelconque, il oppose une obstination désespérée.

Ilest buté, tout prêt à travailler avec une merveilleuse ardeur sitôt que se sera organisé dans son esprit l'un dessujets qu'il a médités, mais en attendant, morne et hargneux, même parfois dans son cercle d'amis, et incapable deredevenir gai et bavard autrement qu'en lançant des propos ironiques et des paradoxes.

Comme le disait l'un despiliers du groupe de Botten-Hansen, « sa part de méconnaissance, de soucis et même de misère, a dépassé cequ'un homme peut normalement supporter ».Un événement heureux survint dans sa vie en juillet 1863.

Il était invité aux fêtes qui devaient réunir, à Bergen, ungrand nombre de sociétés chorales.

Il se ressaisit au cours de ce voyage qui changeait son atmosphère grise.

Ilavait demandé le 27 mai, à défaut de la « pension de poète » permanente, qui lui avait été refusée, une bourse devoyage de 600 spd.

(3.320 fr.

d'alors), et il apprit que le succès de cette demande était assez probable.

Enfin, — etce fut ce qui contribua le plus à remonter son courage, — il rencontra sur le bateau Björnstjerne Bjôrnson, revenudepuis peu d'un long séjour à l'étranger, et qui se rendait aussi aux fêtes de Bergen.Les relations entre Ibsen et Bjôrnson ont toujours été singulières, mais la plupart des Norvégiens les imaginentdéterminées par la jalousie, tantôt celle de Bjôrnson à l'égard de son aîné, plus souvent celle d'Ibsen à l'égard deson trop talant cadet.

Cette opinion était courante autrefois, et l'est encore aujourd'hui : c'est une erreur qu'ilimporte de dissiper.

Il est vrai que l'on observe une sorte de parallélisme dans leurs carrières.

Tous deuxsuccessivement élèves du même « four à bachot », ils avaient renoncé l'un et l'autre, l'ex-men passé, à continuerles études universitaires.

Ibsen avait passé six ans au théâtre de Bergen, première tentative pour fonder une scène. »

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