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INVOCATION. ANDRÉ CHÉNIER

Publié le 02/07/2011

Extrait du document

Salut, belle Syros, deux fois hospitalière! Car sur ses bords heureux je suis déjà venu ; Amis, je la connais. Vos pères m'ont connu : lis croissaient comme vous; mes yeux s'ouvraient encore Au soleil, au printemps, aux roses de l'aurore; J'étais jeune et vaillant. Aux danses des guerriers, A la course, aux combats, j'ai paru des premiers. J'ai vu Corinthe, Argos, et Crète et les cent villes, Et du fleuve Egyptus les rivages fertiles ; Mais la terre et la mer, et l'âge et les malheurs, Ont épuisé ce corps fatigué de douleurs. La voix me reste. Ainsi la cigale innocente, Sur un arbuste assise, et se console et chante. Commençons par les dieux : Souverain Jupiter, Soleil qui vois, entends, connais tout, et toi, Mer, Fleuves, terre, et noirs dieux des vengeances trop lentes, Salut! Venez à moi de l'Olympe habitantes, Muses ! vous savez tout, vous déesses; et nous, Mortels, ne savons rien qui ne vienne de vous.

(ANDRÉ CHÉNIER,...)

MATIÈRE. — 1° A quel poème de Chénier est emprunté ce fragment ?  2° A quel genre littéraire le rattachez-vous? Chénier a-t-il fait revivre ici la poésie homérique ?  3° Montrez la suite des idées.  4° Étudiez : a) la façon dont Chénier s'inspire de l'antiquité homérique; b) la façon dont il imite des passages précis empruntés à Homère. (On trouvera ces passages ci-après.)  5° Montrez les qualités de la versification en insistant plus  particulièrement sur le jeu des coupes et l'emploi des rejets.  Au chant III de l'Iliade, l'aède nous montre sur les remparts d'Ilion, Priam et les vieillards : « Ils étaient assis les Anciens, que l'âge tient éloignés de la guerre, mais parleurs habiles, semblables à des cigales qui, au fond de la forêt sur un arbre assises, laissent tomber leur chant qui a la douceur du lys. « (III, 149 sq.).  Dans le même chant, après que les reproches d'Hector ont décidé Pâris à accepter le combat contre Ménélas, les conditions sont arrêtées entre Agamemnon et Priam. L'Atride invoque les dieux: «O Zeus, ô père, protecteur de l'Ida, très glorieux, très grand, et toi, Soleil, qui vois tout et qui entends toutes choses, Fleuves, Terre, et vous deux qui aux enfers frappez ceux qui ont supporté les fatigues de la vie, s'ils ont violé leur serment, soyez-nous témoins, et veillez sur la foi des traités. « (III, p. 276 sq.).   

« Explication proposée : I Autour du vieillard aveugle qui, d'une voix mélodieuse, invoquait Sminthée-Apollon, trois jeunes pasteurs se sontgroupés : tous trois sont beaux, doux et charitables.

Ils offrent au chanteur tout ce que contenait leur besace, puisécoutent, ravis et émus, le récit de ses malheurs.

Ils conduiront le mendiant à la ville voisine.

Quelle est-elle?demande ce dernier, et les pasteurs répondent : « Syros est l'île heureuse où nous vivons, mon père! » A ce nomharmonieux, l'aède tressaille et, tandis que les enfants se pressent autour de lui pour guider ses pas, il salue ceséjour enchanteur par des vers où le ton de l'idylle s'élève jusqu'à l'épopée. II C'est ici, en effet, que s'opère la fusion entre les deux genres, Chénier est un Alexandrin.

Non seulement il abeaucoup aimé imiter les « Alexandrins » de la Grèce et de Rome, mais il leur a emprunté leurs méthodes de travailet de développement.

Comme ceux-ci, il enrichit les genres en les mêlant entre eux.

Jusqu'à notre passage,L'Aveugle était un poème pastoral ; il va devenir un poème épique, et Chénier montrera que, dans un cadre trèsrestreint, peut tenir toute la peinture d'une civilisation.

La transition entre la poésie pastorale et épique est faite parcette double invocation, où nous allons retrouver tant de souvenirs d'Homère.

Déjà, ces souvenirs apparaissaient,dans l'invocation de l'aède qui nous annonçait une élégie dont le sujet ne devait pas être familier, dont le principalpersonnage serait héroïque.

A présent, le poème s'élargit jusqu'à contenir des fragments d'épopée : les deux genresse rejoignent dans ces dix-neuf vers.Mais c'est surtout d'Homère que Chénier s'est nourri.

En composant comme les Alexandrins, il revient sans cesse à lasource primitive de toute poésie.

Peut-on dire qu'il ait fait revivre la poésie homérique dans cette double invocation?Oui, car, indépendamment des vers 12 et suivants, qui sont des adaptations ou des traductions, le reste offre uncaractère vraiment antique.

L'aède homérique avait un auditoire naïf et patient ; il n'était jamais pressé ; il contaitlargement et avec abondance.

Chénier ramasse davantage, il condense trop, on le lui a justement reproché.

Ici, aucontraire, il prend son temps : l'invocation à Syros exprime la gratitude de l'hôte, la joie de revivre par la pensée lesjours brillants de la jeunesse, la fierté du Grec, habile choreute, athlète robuste, guerrier valeureux, voyageurinfatigable ; puis, c'est la résignation du vieillard affaibli par les ans, privé de la vue, mais à qui Apollon dicted'admirables poèmes.

Il n'y a pas de points de suture entre ce qui est traduit et ce qui ne l'est pas.

Chénier necherche pas, par un labeur de mosaïste, à rapprocher patiemment le plus grand nombre de traits, de détails qui nousapprennent quelque chose sur la vie grecque au temps d'Homère.

Il s'inspire de l'aède, il guide sa voix sur la sienne,et on pourrait dire, du moins de ce passage, en retournant le mot célèbre : Homère chantait, Chénier écrivait.Et, certes, la poésie homérique est plus « humaine ».

Non moins plastique que celle de Chénier, elle est plusprofondément pénétrée d'émotion.

Ces vers français, au contraire, sont d'un homme plus sensible à la beautépittoresque qu'à la beauté morale, et nous en aurons une preuve en voyant comment il transforme ce qu'ilemprunte.

Cependant, il semble qu'il y ait dans ce fragment autre chose que le goût des belles attitudes et desnobles gestes.

Dans ces regrets du vieux mendiant, qui se souvient de sa vaillante jeunesse à l'heure où desmarchands grossiers l'ont insulté brutalement et jeté sur le rivage, on pourrait peut-être surprendre quelquefrémissement caché.

Je n'ose pas dire : de l'émotion, car Chénier est trop préoccupé de fondre artistiquement lescouleurs de son récit pour laisser au sentiment une grande place.

Mais enfin le texte nous permet, en reconstituantla scène, de voir autre chose que des statuettes en marbre de Paros : c'est un homme qui est devant nous, c'estun Grec, c'est un vieillard qui laisse échapper sa joie, en voyant que le dieu de l'hospitalité a répondu aux accordsde sa lyre. III Le plan est harmonieux, et, malgré l'absence de toute liaison (sauf : Mais), qui marque le progrès du développementau risque d'alourdir sa marche, il est bien conduit.

Les Alexandrins composent un poème d'une façon très lâche ;mais les tableaux qui sont à l'intérieur, les descriptions ou les récits qu'ils encadrent dans l'ensemble sont achevésdans toutes leurs parties.

Etudions la suite des idées et des sentiments : 1° Je connais votre patrie, vos pèresm'ont connu, ils étaient jeunes, je l'étais aussi ; 2° un des premiers parmi les Grecs, guerrier courageux, voyageurintrépide : voilà ce que j'étais ; 3° mais, vieilli, malheureux, épuisé : voilà ce que je suis.

Transition : il ne me resteque le chant (comparaison avec la cigale) ; 4° « Donc chantons », et invoquons d'abord les Dieux, puis les Muses.L'ordre est caché, mais réel.

Le poète supprime les intermédiaires, mais il est facile de comprendre par quellesassociations naturelles, prévues, l'aède passe d'une idée à uneautre : par le jeu logique des sentiments, tout s'enchaîne avec grâce et avec souplesse.

La disproportion despremières parties est voulue : sur les souvenirs héroïques ou charmants le vieillard s'arrête le plus volontiers (9 vers): il glisse plus rapidement sur les tristesses présentes (4 vers, et encore 2 se rapportent-ils à la consolation que levieillard trouve dans la poésie).

Au contraire, l'équilibre est parfait entre les deux dernières parties : trois vers pourles Dieux, trois pour les Muses.

Ordonnance variée, lyrique, savante et peut-être même artificielle, mais simplecependant et facile pour qui se laisse entraîner par le chant du rhapsode ingénieux.. »

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