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JANIN Jules Gabriel : sa vie et son oeuvre

Publié le 30/12/2018

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JANIN Jules Gabriel (1804-1874). Par la critique, Janin règne sur son temps. Elle lui vaut des amitiés qui le grandissent (Balzac, Gautier) ou des haines qui l’honorent. Mais certains remarqueront qu’un « feuilleton de Jules Janin, lu dans un volume à soixante ans du jour où il l’écrivit, n’a plus de sens ». Balzac, plaçant la Confession (1830), roman marquant de l’« école du désenchantement », aux côtés du Rouge et le Noir, Baudelaire, rappelant au critique cauteleux que celui-ci fut d’abord l’auteur visionnaire de l'Âne mort et la Femme guillotinée (1829), mettent peut-être Janin face à son avenir. De fait, cette partie dédaignée de son œuvre, conçue probablement dans des intentions parodiques ou divertissantes, demeure, des rééditions récentes en font foi, la plus neuve et la plus convaincante.
 
Du « Jeune-France » au bourgeois orléaniste
 
Tout porte Janin à des établissements pleins de quiétude; son père médecin, sa jeunesse studieuse et sans orage, sa conception de la littérature des temps nouveaux, qui lui semble favoriser un embourgeoisement de l’écrivain : « L’homme de lettres d’aujourd'hui a cela de particulier, c’est qu'avec sa plume il a une existence assurée et conquise, tout aussi bien que les avoués et les notaires». Aussi n’attend-il que 1833 pour morigéner ses débuts frondeurs d’opposant à l’ancien régime politique et littéraire dans les colonnes du Figaro (1825) : « Nous étions très jeunes, tous honnêtes gens, tous sans ambition, tous méchants sans méchanceté et cruels sans le savoir! » (préface des Contes nouveaux, 1833). Il tient déjà depuis trois ans le feuilleton de critique dramatique au très conventionnel Journal des débats — l’essentiel de ses articles sera publié sous le titre Histoire de la littérature dramatique (1853-1858) —, mais n’est demeuré que deux années à la Quotidienne, l’organe le plus enflammé de la réaction monarchiste. Janin se veut libéral. Aux ennemis d'Antony, il demande si « tout le théâtre antique n'était pas fondé sur l’inceste et tout le théâtre classique moderne sur l’adultère ». Il proclame : « L’opposition a été ma vie à moi, comme à d’autres la défense du pouvoir est leur vie ». L’orléanisme lui tend les bras et lui offre la sérénité douillette dont il aime
 
s’entourer dans sa maison de Passy, « rococo, toute pleine encore des souvenirs de Louis XV, avec des amours partout, des bergères partout, des moutons partout » (Balzac).
 
Or, cet idéal d’une vie ouatée et étriquée, Janin semble le honnir quand il le reconnaît dans la littérature. Le héros de la Confession, Anatole, est étouffé par une « société de milieu, des croyances de milieu, des littérateurs de milieu », écrasé par une « monotone indifférence ». Ailleurs, Janin raille « la poésie nationale, comme on dit, pour ne pas dire la poésie médiocre », telle que l’illustre Delavigne. Il hait le théâtre de Scribe, ce monde de « petites soubrettes », « petits boudoirs », « petits jardins », qui « n’a jamais ressemblé à rien ni à personne ». Peut-être comprend-il, tout comme Sainte-Beuve, que Scribe « exprime fort bien le rêve et la conception de la vie dont s’entretient la bourgeoisie moyenne... », et dont Janin ne peut se départir, condamné à admirer au loin Hugo sur le rocher de son exil et tous ceux qui vivent dangereusement : « C’est vous, Maître, qui êtes la vie et le mouvement, la parole et le bruit, la justice et le châtiment; nous autres, nous sommes l’apathie, le silence, l’abnégation et la pitié » (1854).
 
« Le prince de la critique »
 
Une critique qui n’exercerait que la police de la littérature ne satisferait pas Janin. Il désire l’élever au rang d’un art et contribue à la faire reconnaître telle. Ce qui lui vaut, peut-être, son élection à l’Académie au fauteuil de Sainte-Beuve (1870). S’il lie sa destinée littéraire au journalisme, c'est qu’il est persuadé de la nouvelle grandeur de l'instant, de l’éphémère, du présent : « La poésie n’est plus dans les poètes, la poésie est dans les faits ». D’où son appel à un réalisme moderne et hardi. A propos de l’adaptation à la scène d'Eugénie Grandet (1838), il s'exclame : « Il a fallu le grand nom de Balzac pour faire admettre Grandet au théâtre. Quelle est cette prudence du public qui exclut de la scène tout sujet qui palpite dans la société? ». Le causeur rêve de créer et vénère son rêve à travers ceux qui le vivent.


« rection, tout comme il aime, à son lever, le bain frais et le linge blanc ».

Sourcier d'universel dans un quotidien chaotique, impalpable à force de frivolité et de profu­ sion, le critique s'engage à son tour dans la voie vertigi­ neuse des grandes «recherches>> , où s'aventurent déjà poètes et romanciers.

Au-delà d'un genre, le feuilleton se fait essai, repoussant de jour en jour les frontières du projet créateur dans lequel s'obstine l'écrivain.

Sainte Beuve en est conscient : «M.

Janin a l'honorable ambi­ tion de faire un livre [ ...

].

Ce livre auquel il songe tant, il le fait chaque jour sans y songer, ou plutôt le livre se fait, bon gré mal gré, de lui-même >> (Causeries du lundi, V).

Livre à venir que l'auteur élabore opiniâtrement dans ses contes (Contes fantastiques et littéraires, 1832; Contes nouveaux; Contes du chalet, 1859; Contes non estampillés, 1862) ou ses romans.

(lJ «La Confession, par l'auteur de l'Âne mort et la Femme guillotinée » Ainsiparut, en 1830, la Confession, sans nom d'au­ teur.

L'Ane mort et la Femme guillotinée, il est vrai, avait, deux ans plus tôt, défrayé la chronique.

Imitant la manière de Radcliffe, de Walpole et des romantiques fascinés par Je roman noir, Janin prétendait y démontrer que « rien n'est d'une fabrication facile comme la grosse terreur>> .

Raillant les stéréotypes de l'époque (courtisa­ nes maudites, jeunes gens geignards et désespérés) et les débats à la mode (le chapitre xxv emprunte son titre à Victor Hugo:« le Dernier Jour d'un condamné >>), l'au­ teur accumulait les horreurs.

Baudelaire en dresse l'acca­ blant inventaire : «Jules Janin ne veut plus d'images chagrinantes.

Et la mort de Charlot? Et le baiser dans la lunette de la guillotine? Et le Bosphore si enchanteur du haut d'un pal? Et la bourbe? Et les capucins? Et les chancres fumant sous le fer rouge?>> .

En faisant de la Confession l'enfant d'un même père, Janin, outre le clin d'œil publicitaire, veut-il faire entendre que la dérision présiderait encore à son entreprise? La Confession.- Anatole attend ses quarante ans pour prendre un état dans la vie politique et se laisse marier à une charmante jeune femme.

Il a mené jusque-là une vie studieuse et rangée.

Faisant à travers son mariage la pre­ mière expé-ience de la désillusion, il étrangle son épouse au cours dn la nuit de noces.

Son crime n'est pas décou­ vert.

mais t1natole se trouve rapidement saisi de remords.

Après avoir vainement cherché dans l'étude un remède à la «maladie morale>> qui le ronge, songé à se livrer à la jus­ tice, il cède à un sentiment religieux hérité de l'enfance et veut se co·1fesser à un prêtre afin d'obtenir l'absolution.

Mais où do·1c en trouver un, en ce siècle laïcisé? Ceux à qui il s'adresse en premier, jeunes curés peu assurés en leur foi, se dérobent.

D'autres, prélats casuistes, mécènes mondains.

ne veulent pas comprendre la signification exceptionn 311e de sa confession.

Oua nt aux moines qu'Anatole va visiter dans leurs couvents, ils n'ont à lui offrir que d-3s lamentations papelardes sur la perte de leurs richesses, de leur bien-être et de leur puissance.

Après avoir accumulé les expériences d'un clergé déclassé, inca­ pable de l'entendre et de lui répondre.

Anatole, feuilletant.

dans le presbytère d'un curé de campagne.

un Dictionnaire des cas de conscience, conclut : «Je suis en dehors de ce livre, en dehors de la confession de ce prêtre.

qui, après m'avoir entendu, ira feuilleter dans son dictionnaire, et ne saura que me répondre quand il verra que mon meurtre n'est pas prévu! » Finalement, il songe au suicide; mais « nous [hommes du XIX8 siècle] en avons trop abusé comme de tout le reste».

Il se raccroche une dernière fois à son projet initial.

Il vient d'entendre louer un prêtre espagnol de grande vertu.

L'Espagne, terre de l'Inquisition et de l'ex­ trême fanatisme religieux! Ayant assisté à la confession d'une jeune femme qu'il a suivie en cachette jusqu'au saint homme, au cours de laquelle ce dernier s'avoue pris en défaut et confie à la belle, Juanp.

une introduction auprès du« plus g'and confesseur de l'Eglise romaine », un jésuite proscrit, A1atole séduit Juana et trouve le confesseur.

Il reconnaît en lui un mystérieux personnage qui, lors des obsèques de sa femme, l'avait obscurément menacé; il se confesse, s'en trouve si ébranlé que «ses parents furent obligés de l'enfermer six mois dans une maison de fous ».

Puis il devient prêtre, rejoignant ainsi l'idéal d'une vie miè­ vre et végétative que décrivaient les moines pleurards.

Si pastiche il y a, il se fait plus amer que souriant.

«Assez déplorable histoire>> d'un «honnête homme coupable >>, la Confession revendique l'héritage de Cré­ billon fils : « Nous avons toujours [ ...

] comme type du roman de toutes les sociétés finies, le roman comme le faisait Crébillon fils >>.

On soulignera à loisir que le romancier Janin, friand d'allusions, féru de dissertations morales et esthétiques, reste bien proche du critique et du causeur mondain.

Le préfacier s'adresse à un certain Ariste, dont se souviendra peut-être le journaliste quand il choisira, pour signer se� articles, dans l'Indépendance belge, le pseudonyme d'ERASTE.

Ecrivant à la hâte, au mépris de la vraisemblance, il fait surgir sur le chemin de son héros, Anatole, un mystérieux et redoutable confesseur, sans expliquer comment ce démiurgique per­ sonnage peut tout savoir du drame du jeune homme.

Désinvolture ou feinte? Janin ne maîtrise plus ses canulars.

Son imagination s'y est débridée dans des dimensions qui l'inquiètent assez pour lui faire renoncer à insérer la Confession parmi sesA Œuvres diverses.

Oubliées les modes dont se gausse l'Ane mort et la Femme guillotinée, demeure une œuvre sulfureuse et satanique, que le lecteur peut par­ courir du même songe dont l'auraient entretenu les Contes d'un buveur d'éther ou les Histoires extraordi­ naires.

Ce que Janin renie, Balzac le recueille et l'offre avec la Peau de chagrin comme une preuve supplémen­ taire que « la raillerie est toute la littérature des sociétés expirantes>> .

Corseté dans l'institution critique, Janin n'ose clamer trop haut qu'il étouffe à jouer les chiens de garde de l'entendement bourgeois.

Quand le héros de la Comédie humaine, s'apprêtant à entrer dans «le grand bagne où il perdra ses illusions >>, laisse à l'écrivain l'es­ poir d'une immense quête, celui de Janin se hâte d'ache­ ver le cycle de son désenchantement.

Dès qu'il ne trouve «plus d'espérance dans [son] âme, plus de larmes dans [ses] yeux, plus de fleurs dans [ses] mains >>, il laisse la parole au préfacier, qui bredouille ses justifications face à l'autorité qui encense ou condamne.

L'auteur de Séraphita sourit, et, pour montrer à Janin jusqy' où l'on va trop loin, il écrit un trentième chapitre à l'Ane mort et la Femme guillotinée: «le Couteau à papier>> .

BIBLIOGRAPHIE Romans et contes.

-Outre les Œuvres diverses publiées de 1876 à 1883 par la Librairie des Bibliophiles (12 vol.), on relè­ vera la Religieuse de Toulouse, Paris, Michel Lévy, 1850, et les Gaîtés champêtres, Paris, Michel Lévy, 1851.

L'Ane mort et la Femme guillotinée et la Confession oqt fait l'objet d'une réédi­ tion chez Flammarion, Paris, 1973.

L'Ane mort figure également au catalogue de la « Bibliothèque excentrique >>, suivi d'un cha­ pitre inédit écrit par Balzac (Marabout, Verviers, 1974).

Essais critiques.

-Les feuilletons du Journal des débats en constituent l'essentiel et se trouvent regroupés sous le titre Histoire de la littérature dramatique, Paris, Michel Lévy, 1853- 1858 (6 vol.), le reste figurant dans les Œuvres diverses.

A consulter.

-Jules Janin et son temps, un moment du roman­ tisme, Publications de l'université de Rouen, P.U.F., 1974, qui regroupe les actes du Colloque d'Évreux consacré à notre auteur; J.-M.

Bailbé, Jules Janin (1804-1834), Minard, 1974; J.

Landrin, Jules Janin conteur et romancier, Les Belles Lettres, 1978.

D.

GIOV ACCHINI. »

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