Jean de LA FONTAINE : Les Animaux malades de la peste
Publié le 17/01/2022
Extrait du document
- Sire, dit le Renard, vous êtes trop bon Roi ; Vos scrupules font voir trop de délicatesse ; Et bien, manger moutons, canaille, sotte espèce, Est-ce un péché ? Non, non. Vous leur fîtes Seigneur En les croquant beaucoup d'honneur. Et quant au Berger l'on peut dire Qu'il était digne de tous maux, Etant de ces gens-là qui sur les animaux Se font un chimérique empire. Ainsi dit le Renard, et flatteurs d'applaudir. On n'osa trop approfondir Du Tigre, ni de l'Ours, ni des autres puissances, Les moins pardonnables offenses. Tous les gens querelleurs, jusqu'aux simples mâtins, Au dire de chacun, étaient de petits saints. L'Ane vint à son tour et dit : J'ai souvenance Qu'en un pré de Moines passant, La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et je pense Quelque diable aussi me poussant, Je tondis de ce pré la largeur de ma langue. Je n'en avais nul droit, puisqu'il faut parler net. A ces mots on cria haro sur le baudet. Un Loup quelque peu clerc prouva par sa harangue Qu'il fallait dévouer ce maudit animal, Ce pelé, ce galeux, d'où venait tout leur mal. Sa peccadille fut jugée un cas pendable. Manger l'herbe d'autrui ! quel crime abominable ! Rien que la mort n'était capable D'expier son forfait : on le lui fit bien voir. Selon que vous serez puissant ou misérable, Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.
• Le renard incarne la ruse. Son discours constitue un exemple type de la flatterie du courtisan. Il s'adresse au lion avec humilité : la polyptote « Sire « (vers 1), « Seigneur « (v.4) (les deux mots sont issus du même radical latin) traduit sa flagornerie. Il commence par disculper totalement le lion en le présentant comme « trop bon « (v.1) et insiste encore sur cette bonté supérieure à deux reprises, « trop de délicatesse « (v. 2), « beaucoup d'honneur« (v.5). Il valorise le lion en mettant ses « scrupules « (v. 2) en position de sujet, ce qui permet de souligner les prétendues qualités morales du roi.
I. Questions
1. Analysez les ambiguïtés rhétoriques dont témoigne le discours du Renard. 2. Dégagez les caractéristiques de la confession de l'âne. 3. Identifiez et expliquez les interventions de l'auteur.
II. Travaux d'écriture
1. En une cinquantaine de lignes, dites dans quel but et comment cette fable parodie la cour. 2. Quelle idée de la justice peut-on se faire d'après ce texte? Sur quoi se fonde-t-elle ? Appréciez-en la validité, en une trentaine de lignes, à partir de votre expérience personnelle. 3. En conservant la leçon énoncée par La Fontaine, rédigez, vous aussi, une fable sur le même canevas. Vous dénoncerez l'injustice de la société sans chercher, forcément, à écrire une fable en vers.
«
moutons en s'intéressant à eux.
Enfin, le renard dont le mépris est lisible dans l'emploi de la particule « -là », chargele berger de tous les maux ; il fait du roi un héros vengeant la communauté d'un individu prétentieux, qui se croitsupérieur aux animaux (« un chimérique empire», y.
9).Brillant orateur, le renard prétend se référer à la morale en soi («péché »), qui réprouve le crime, mais, en fait, ilidentifie le droit du féodal au mépris de la personne humaine (les moutons sont des canailles) et au pur et simple«droit du talion », qui engage à répondre à la violence du berger par la violence du lion.
Au travers de ce discours,La Fontaine donne une représentation bien péjorative de l'aristocratie...
Question 2: Dégagez les caractéristiques de la confession de l'âne.
• Alors que le renard se contente de justifier le lion sans faire allusion à ses propres méfaits, l'âne semble s'exprimerau tribunal de la confession — impression suggérée par l'allusion aux moines et au diable.
Il représente le naïf, qui nesait pas manier la langue française avec autant de brio que le renard.
En témoignent : les archaïsmes —«souvenance » pour «souvenir » (v.16) et la tournure « en un pré » pour «par un pré» (v.
17) —; ainsi quel'oxymore «Je tondis de ce pré la largeur de ma langue » (v.
20) : employer « tondre » pour une aussi petitesurface, ce n'est pas user du terme adéquat ! Il est maladroit et trop scrupuleux : comme pour nourrir sonargumentation qui tient en une seule phrase, il donne toutes les précisions possibles sur son unique forfait.
Il secherche des fautes tout en cherchant à se disculper en produisant une accumulation de motifs : « La faim,l'occasion, l'herbe tendre [...] Quelque diable...
» (v.18- 19).
Ayant avoué son « péché », il se charge en insistantsur sa faute : «Je n'en avais nul droit...
» (v.21).
Il se désigne donc lui-même comme un bouc émissaire.
Question 3: Identifiez et expliquez les interventions de l'auteur.
La présence du conteur se manifeste tout au long de la fable par une série d'interventions qui fonctionnent un peucomme les indications de régie d'un metteur en scène : «Ainsi dit le Renard, et flatteurs d'applaudir / On n'osa tropapprofondir / [...] ni des autres puissances, / Les moins pardonnables offenses » (v.
10 à 13).
«Sa peccadille futjugée un cas pendable» (v.
26).
Assurant la liaison d'un discours à l'autre, ces commentaires permettent au lecteur de prendre ses distancesvis-à-vis des examens de conscience produits par les différents intervenants ; ils ponctuent le texte en exprimant lepoint de vue du narrateur.Cette fable, très dramatisée, donne à voir le spectacle de la cour où chacun intervient pour exprimer son point devue mais où les jugements se font en fonction de la capacité de chacun à se défendre.
Le point de vue du conteurs'exprime aussi à travers la modalité exclamative, qui permet de brouiller les perspectives et d'ironiser sur lesprétendues valeurs des puissants : «Manger l'herbe [.
1 abominable ! » (v.
27) ; l'hyperbole insiste encore sur la charge ironique.
Le conteur semble donner la parole à l'opinion aristocratiquepour en souligner le caractère partisan.Enfin, la leçon qui clôt la fable revêt l'allure d'une véritable sentence : elle établit une équivalence mathématiqueentre deux antithèses, «puissant ou misérable » et «blanc ou noir» (v.
30-31).
Le conteur s'adresse directement au lecteur pour tirer la conclusion logique, mais immorale, de sonapologue.
Travaux d'écriture
1.
En une cinquantaine de lignes, dites dans quel but et comment cette fable parodie la cour.
La fable s'impose comme un genre privilégié pour élaborer une satire de la société.
Courte, emblématique, elle inciteà la réflexion mais elle débouche aussi sur l'énoncé d'une morale.
La Fontaine use d'une fiction transparente afin deremettre en cause la malveillance de la cour.En effet, quel est son but? Il cherche à montrer comment les courtisans, tout dévoués au pouvoir, pèsent sur lesdécisions royales en justifiant l'exercice de la force.
Comment l'apologue laisse-t-il entendre que la diversité desopinions converge pour dénoncer le faible et faire de lui un bouc émissaire ? Essentiellement au travers de ladramatisation de la fable.
La Fontaine veut suggérer l'existence d'un milieu où domine l'opinion publique.
Il cherche àmontrer que les conseils donnés au Roi ne viennent pas d'une analyse lucide de la situation, mais ne résultent quede l'asservissement total au monarque, comme en témoigne le discours du Renard, ainsi que du culte de la force,comme le prouve le discours rapporté du Loup.Pour donner une impression de foule, l'auteur varie les sujets grammaticaux : dans notre extrait, après l'allocution duRenard, le narrateur gratifie, de façon significative, du qualificatif de «flatteurs » (v.10) l'assemblée dans sonensemble.
Le pronom personnel indéfini « On » (v.
11, 22 et 29) la désigne comme l'organe des décisions collectives : ainsi, personne n'est responsable plus qu'unautre, mais tous sont coupables de prononcer des jugements injustes.
C'est cette collectivité qui est désignéecomme agissante par La Fontaine.
Nous comprenons que prononcent, successivement, leur propre discours : leTigre, puis l'Ours, les « autres puissances » (v.
12), « Tous les gens querelleurs», les mâtins (v.14) et, enfin, le.
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