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JOUVE Pierre Jean : sa vie et son oeuvre

Publié le 30/12/2018

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jouve

JOUVE Pierre Jean (1887-1976). L’œuvre de Pierre Jean Jouve est sans doute l'une des plus originales et des plus exemplaires de ce siècle. Néanmoins, à l’image de son ambitieux dessein, elle demeure d'un accès difficile et non dépourvu de mystère — « la Poésie est soumise à une secrète interdiction », proclama Jouve —, ce qui peut expliquer le relatif silence dont l’entoure la critique. Pourtant, d’un recueil à l’autre, Jouve n’a cessé d’affirmer une même exigence de perfection formelle et de vérité. Par là même, il faisait de l’exercice de la poésie, seule activité capable de répondre aux formes obscures et prolixes du Mal, l'instrument privilégié de sa libération.

 

L’originalité fondamentale de l’entreprise, outre le fait qu'elle ne se départit jamais de sa confiance dans le pouvoir du Verbe — « la Poésie est l’expression des hauteurs du langage » —, résidait dans le reniement maintes fois réaffirmé par l’auteur de toute l’œuvre antérieure à 1925. « Pour le principe de la poésie, écrivait Jouve en 1928, le poète est obligé de renier son premier ouvrage» («Postface» à Noces). Ainsi l’année 1925 est-elle l’amorce d’une vita nuova : Jouve entreprenait une œuvre nouvelle, fondée sur la « distance » et le refoulement des « années profondes ».

 

L’œuvre se scindait en deux ensembles : une œuvre bannie, que Jouve s’emploiera toujours à occulter, et une œuvre assumée, seule valable à ses yeux et « différant complètement de l’écriture passée — comme après métamorphose » (En miroir, 1954).

 

L'œuvre reniée (1909-1924)

 

On relèvera aisément deux constantes essentielles dans l’œuvre du jeune Jouve : une même attitude altruiste qui le poussait à se choisir un père auquel il se dévouât; une même thématique du désir sexuel, du sang et de la mort, grands thèmes que l’œuvre ultérieure parachèverait.

 

De fait, Jouve adopta successivement trois figures du père, qui influencèrent tour à tour sa manière d’écrire et jusqu’au choix de ses thèmes. Né à Arras, étudiant à Lille et à Poitiers, victime dès son adolescence d’une santé fragile, il lance, en 1906, les Bandeaux d'or, petite revue dont Debussy dira du titre qu’il est tout un programme. Il se donne alors pour disciple des néosymbolistes, en particulier Vielé-Griffin. Installé à Paris en 1908, fréquentant le groupe de l'Abbaye, il publie dans sa revue, outre ses propres poèmes, des textes de poètes qu'il admire : Verhaeren, Régnier, Vildrac et Duhamel. Puis, fasciné par l’autorité de Jules Romains, il se range sous les bannières de l’unanimisme (les Ordres qui changent, 1911 ; les Aéroplanes, 1911, poèmes; la Rencontre dans le Carrefour, 1911, roman; les Deux Forces, 1913, théâtre). Ayant pris ses distances vis-à-vis de Romains, Jouve devait élire en Romain

 

Rolland la plus haute figure du père tant recherché, dont il adoptera l’idéal pacifiste (Poème contre le grand crime, 1916; Danse des morts, 1917; Tragiques, 1922, le plus beau de ses recueils d’alors; Hôtel-Dieu, « récits d'hôpital en 1915 », 1919; et, hommage suprême, Romain Rolland vivant, 1920).

 

Cependant, l’éloignant « de plus en plus cruellement de son domaine », confie-t-il dans son Journal sans date, ce choix lui inspira des œuvres dont « la bonne conscience et la générosité ne tempéraient pas l’affreuse médiocrité » (En miroir).

 

Dès les premiers textes se manifestaient des forces profondes et parfois antagonistes, qui projetaient sur les êtres et les paysages l'étrange fascination de la sexualité. Tel lac entr’aperçu entre deux collines évoque « un sexe d’or ». Les différents ouvrages demeuraient fidèles à quelques obsessions :

 

L'amour nu entièrement

 

D'une femme impure et sauvage

 

Ou Dieu, ou bien du génie,

 

Ou des insurgés pleins de sang!

 

(Tragiques}

 

Engluement dans les fantasmes sexuels, évocation de l’ardeur mystique ou de la fièvre révolutionnaire, ces thèmes seront explicités dans le célèbre « Avant-propos » de Sueur de sang (1933): «La révolution comme l’acte religieux a besoin d’amour. La poésie est un véhicule intérieur de l’amour. Nous devons donc, poètes, produire cette “sueur de sang” qu’est l’élévation à des substances si profondes, ou si élevées, qui dérivent de la pauvre, de la belle puissance érotique humaine ». Mais, pour qu’une telle œuvre fût possible, il fallait que Jouve, reniant l'œuvre antérieure, eût tué le père, rencontré celle qui l’initia à la psychanalyse — Blanche Rever-chon — et qu’il se fût « converti » à une haute et exigeante « Idée » religieuse, plus proche de la gnose que du véritable dogme catholique.

 

L'œuvre assumée (1925-1967)

 

En reconnaissant l’ampleur de sa dette envers Baudelaire, auquel il consacrera d’admirables pages critiques (« Tombeau de Baudelaire », 1942, repris dans Défense et illustration, 1943), Jouve ordonnait presque mystiquement son œuvre et sa vie à la figure archétypale, quasi mythique, de l’auteur des Fleurs du mal et de Mon cœur mis à nu. De la même façon, l’œuvre accomplissait les quêtes de Rimbaud et de Mallarmé, sans pour autant s’achever dans la « fureur du transfuge » de l’un, ni conduire au « détachement insensé » de l’autre. Par ailleurs, on ne saurait omettre la vie mystérieuse des « figures tutélaires » (Jean Starobinski) qui, sur fond de drame ou d’opéra, ponctuent les étapes de l’ascension. Agissantes et salvatrices présences que celles du Tasse, de Blake, de Hôlderlin — dont Jouve traduisit les Poèmes de la folie (1930) —, de Novalis, de Berg et de Mozart, guides bienveillants qui dévoileront la présence du Verbe, « puissance inanimée, capable d’extrême amour » dont « le moindre sens est fidélité au monde » et le plus grand sens « émanation de Dieu quand il se crée et retour direct à Dieu quand il est consommé » (Proses, 1960).

 

Si Jouve écrivait précédemment de l’homme qu’il « écoute battre son cœur/Dans l’immensité de sa chair » et que les « millions de soleils bleus/Que peut contenir une nuit/Ne sont pas trop pour son espoir », l’Avant-propos de Sueur de sang, très expressivement intitulé « Inconscient, spiritualité et catastrophe », approfondissait de telles intuitions. En effet, Jouve affirmait très solennellement :

jouve

« la géologie de cet être terrible qui se dégage avec obstina­ tion et peut-être merveilleusement (mais sans jamais y bien parvenir) d'une argile noire et d'un placenta sanglant.

A ces trois mots essentiels (inconscient, spiritualité, catastrophe) il convient d'ajouter ceux qui commandent l'accès de Proses: et les pulsions; et, s'i 1 utilisait les ressources de l'Inconscient, ce n'était pas à la façon des surréalistes : il insista tou­ jours sur la nécessité du lent trl}vail de l'œuvre; mais.

en unissant douloureusement l'Eros freudien au péché mortel, il élargissait le drame humain et retrouvait la misère pascalienne de l'homme sans Dieu (le Paradis perdu, 1929).

«Spiritualité» : en reprenant les termes de la double postulation baudelairienne à Dieu et à Satan, mais en en renouvelant la portée, il exprimait l'aspiration à la Divinité, toujours présente malgré l'obscurité, et que signifiait un réseau d'images : lumière, haut ciel, colombe.

0 DIEU CLAIR, SOUTIENS mes pas chancelants.

Sombre Cerf, fais trébucher mes pas clairs.

(Sueur de sang) Ciel, matière de Dieu! Symbole plus qu'éther.

(Diadème, 1949) Poésie contemporaine, car édifiée sur l'Absence, l'œuvre de Jouve ne s'accomplit vraiment que dans la nuit, presque la Nuit des mystiques, où l'homme implore la venue du. »

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