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Jugement de Stendhal sur son oeuvre

Publié le 27/06/2015

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Annexes

Jugement de Stendhal sur son oeuvre

Stendhal a lui-même commenté son oeuvre dans un « Projet d'article sur Le rouge et le noir « écrit en automne 1832, et envoyé au comte Salvagnoli, avocat et écrivain florentin. Pour plus de liberté, et par un procédé très fréquent chez lui, il signait d'un pseudonyme : « D. Gruffot Papera «.

Après avoir exposé l'ennui des moeurs françaises sous la Restauration et lui avoir attribué « l'immense consommation de romans qui a lieu en France « il définit l'originalité de « M. de Stendhal «.

PREMIÈRE AUDACE : Le rouge décrit la société contempo¬raine et ne sacrifie pas à la précision anecdotique :

« Le génie de Walter Scott avait mis le moyen âge à la mode; on était sûr du succès en employant deux pages à décrire la vue que l'on avait de la fenêtre de la chambre où était le héros; deux autres pages à décrire son habillement, et encore deux pages à représenter la forme du fauteuil sur lequel il était posé. M. de S[tendhal], ennuyé de tout ce moyen âge, de l'ogive et de l'habillement du xve siècle, osa raconter une aventure qui eut lieu en 183o et laisser le lecteur dans une ignorance complète sur la forme de la robe que portent Mme de Rênal et Mile de La Mole, ses deux héroïnes, car ce roman en a deux, contre toutes les règles suivies jusqu'ici. «

DEUXIiiME AUDACE : le roman décrit les formes aberrantes que revêt l'amour dans la société parisienne de l'époque et, d'une façon plus générale, fait le portrait de la « France morale« de 1830.

« L'auteur a osé bien plus, il a osé peindre le caractère de la femme de Paris qui n'aime son amant qu'autant qu'elle se croit tous les matins sur le point de le perdre.

Tel est l'effet produit par l'immense vanité qui est deve-nue à peu près la seule passion de cette ville où l'on a tant

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d'esprit. Ailleurs, un amant peut se faire aimer en protestant de l'ardeur de sa passion, de sa fidélité, etc., etc., et en prou-vant à sa belle ces louables qualités. A Paris, plus il persuade qu'il est fixé à jamais, qu'il adore, plus il se ruine dans l'esprit de sa maîtresse. Voilà une chose que les Allemands ne croi¬ront jamais, mais j'ai bien peur cependant que M. de S[tendhal] n'ait été peintre fidèle.

La vie des Allemands est contemplative et imaginative, celle des Français est toute de vanité et d'activité.

La morale, exécrable aux yeux des belles, qui résulte du livre de M. de S[tendhal] est celle-ci :

Jeunes hommes qui voulez être aimés dans une civilisa-tion où la vanité est devenue sinon la passion, du moins le sentiment de tous les instants, chaque matin persuadez avec politesse à la femme qui la veille était votre maîtresse adorée, que vous êtes sur le point de la quitter.

Ce nouveau système, s'il prend jamais, va renouveler tout le dialogue de l'amour. En général, jusqu'au moment de la prétendue découverte de M. de S[tendhal], quand un amant ne savait que dire à sa belle, quand il était sur le point de s'ennuyer, il se rejetait vivement dans la protestation des sentiments les plus vifs, dans l'extase, dans les transports du bonheur, etc. M. de S[tendhal] arrive avec ses deux volumes amusants pour démontrer aux pauvres amants que ces propos, qu'ils croyaient sans conséquence, sont leur ruine. Suivant cet auteur, quand un amant s'ennuie auprès de sa maîtresse, ce qui, à toute force, peut arriver quelquefois dans ce siècle si moral, si hypocrite, et par conséquent si ennuyeux, ce qu'il y a de mieux à faire, c'est tout simplement de ne pas nier son ennui. C'est un accident, c'est un malheur tout comme un autre. Ceci paraîtra tout simple à notre Italie, le naturel dans les façons, dans les discours, y étant le beau idéal; mais en France, pays plus affecté, ce sera une grande inno-vation.

Le naturel dans les façons, dans les discours est le beau idéal auquel M. de S[tendhal] revient dans toutes les scènes importantes de son roman et il y en a de terribles à en juger seulement par la vignette que le libraire Levavasseur, fidèle à la mode, a placée sur la couverture enjolivée de son livre : on y voit l'héroïne, Mile de La Mole, qui tient entre ses bras la tête de son amant que l'on vient de couper. Mais avant d'arriver à cet état-là, cette tête a fait bien des folies, et ces folies étonnent sans cesser d'être naturelles. Voilà le mérite de M. de S[tendhal].

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Dans les folies des héros de roman vulgaire, il n'y a de bonne que la première parce qu'elle étonne. Toutes les autres sont comme les originalités des sots dans la vie réelle, on s'y attend, partant elles ne valent rien, elles sont plates. Le genre plat est le grand écueil du roman in-12, écrit pour les femmes de chambre. Mais le grand bonheur des écrivains de ce genre de roman, c'est que ce qui semble plat dans les salons de Paris est intéressant pour la petite ville de huit mille habitants au pied des Alpes ou des Pyrénées et encore plus pour l'Amé¬rique et l'étranger où vont finir des milliers de volumes de romans français.

La France morale est ignorée à l'étranger, voilà pourquoi avant d'en venir au roman de M. de S[tendhal] il a fallu dire que rien ne ressemble moins à la France gaie, amusante, un peu libertine, qui de 1715 à 1789 fut le modèle de l'Europe, que la France grave, morale, morose que nous ont léguée les jésuites, les congrégations et le gouvernement des Bour¬bons de 1814 à 183o. Comme rien n'est plus difficile en fait de romans que de peindre d'après nature, de ne pas copier des livres, personne encore avant M. de Stendhal] ne s'était hasardé à faire le portrait de ces moeurs si peu aimables, mais qui malgré cela, vu l'esprit mouton de l'Europe, finiront par régner de Naples à Saint-Pétersbourg.

Remarquez une difficulté dont nous ne nous doutons pas à l'étranger. En faisant le portrait de la société de 1829 (époque où ce roman a été écrit), l'auteur s'exposait à déplaire aux laids visages dont il traçait les ressemblances, et ces laids visages alors tout-puissants pouvaient fort bien le traduire devant lm tribunaux et l'envoyer pour treize mois aux galères de Poissy comme MM. Magallon et Fontan. «

Puis Stendhal analyse l'histoire du roman, « fort intéres-sante «, passe en revue les personnages, « peints avec vérité «, et insiste sur l'originalité qu'il y a à montrer un héros qui ne soit pas parfait :

« Au milieu de cette grandeur sordide, de cette richesse si laide d'un enrichi de petite ville, le caractère du jeune Julien qui, obscurément au fond de son coeur si jeune encore, sent profondément toute la laideur du luxe de M. le maire, est peint avec une vérité naïve et pleine de grâce. L'auteur ne traite nullement Julien comme un héros de roman de femmes de chambre, il montre tous ses défauts, tous les mauvais mouvements de son âme, d'abord bien égoïste parce qu'il est bien faible et que la première loi de tous les êtres, depuis l'insecte jusqu'au héros, est de se conserver. Julien est bien le

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« d'esprit.

Ailleurs, un amant peut se faire aimer en protestant de l'ardeur de sa passion, de sa fidélité, etc., etc., et en prou­ vant à sa belle ces louables qualités.

A Paris, plus il persuade qu'il est fixé à jamais, qu'il adore, plus il se ruine dans l'esprit de sa maîtresse.

Voilà une chose que les Allemands ne croi­ ront jamais, mais j'ai bien peur cependant que M.

deS[tendhalJ n'ait été peintre fidèle.

La vie des Allemands est contemplative et imaginative, celle des Français est toute de vanité et d'activité.

La morale, exécrable aux yeux des belles, qui résulte du livre de M.

de S[tendhal} est celle-ci : Jeunes hommes qui voulez être aimés dans une civilisa­ tion où la vanité est devenue sinon la passion, du moins le sentiment de tous les instants, chaque matin persuadez avec politesse à la femme qui la veille était votre maîtresse adorée, que vous êtes sur le point de la quitter.

Ce nouveau système, s'il prend jamais, va renouveler tout le dialogue de l'amour.

En général, jusqu'au moment de la prétendue découverte de M.

de S[tendhal}, quand un amant ne savait que dire à sa belle, quand il était sur le point de s'ennuyer, il se rejetait vivement dans la protestation des sentiments les plus vifs, dans l'extase, dans les transports du bonheur, etc.

M.

de S[tendhal] arrive avec ses deux volumes amusants pour démontrer aux pauvres amants que ces propos, qu'ils croyaient sans conséquence, sont leur ruine.

Suivant cet auteur, quand un amant s'ennuie auprès de sa maîtresse, ce qui, à toute force, peut arriver quelquefois dans ce siècle si moral, si hypocrite, et par conséquent si ennuyeux, ce qu'il y a de mieux à faire, c'est tout simplement de ne pas nier son ennui.

C'est un accident, c'est un malheur tout comme un autre.

Ceci paraîtra tout simple à notre Italie, le naturel dans les façons, dans les discours, y étant le beau idéal; mais en France, pays plus affecté, ce sera une grande inno­ vation.

Le naturel dans les façons, dans les discours est le beau idéal auquel M.

de S[tendhal} revient dans toutes les scènes importantes de son roman et il y en a de terribles à en juger seulement par la vignette que le libraire Levavasseur, fidèle à la mode, a placée sur la couverture enjolivée de son livre : on y voit l'héroïne, Mlle de La Mole, qui tient entre ses bras la tête de son amant que l'on vient de couper.

Mais avant d'arriver à cet état-là, cette tête a fait bien des folies, et ces folies étonnent sans cesser d'être naturelles.

Voilà le mérite de M.

de S[tendhal}.

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