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Julien Gracq, Le Rivage des Syrtes.

Publié le 17/01/2022

Extrait du document

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La Seigneurie d'Orsenna et le Farghestan qui lui fait face «par-delà la mer des Syrtes » sont en guerre depuis trois cents ans, mais les hostilités ont depuis longtemps cessé. Or voici qu'un certain nombre d'incidents menacent de ranimer le conflit. Aldo, un jeune officier d'Orsenna, et son amie Vanessa se rendent à l'île de Vezzano, dernier territoire d'Orsenna avant le Farghestan. Lorsque les falaises très blanches sortirent du miroitement des lointains de mer, Vezzano parut soudain curieusement proche. C'était une sorte d'iceberg rocheux, rongé de toutes parts et coupé en grands pans effondrés avivés par les vagues. Le rocher jaillissait à pic de la mer, presque irréel dans l'étincellement de sa cuirasse blanche, léger sur l'horizon comme un voilier sous ses tours de toile, n'eût été la mince lisière gazonnée qui couvrait la plate-forme, et coulait çà et là dans l'étroite coupure zigzagante des ravins. La réflexion neigeuse de ses falaises blanches tantôt l'argentait, tantôt le dissolvait dans la gaze légère du brouillard de beau temps, et nous voguâmes longtemps encore avant de ne plus voir se lever, sur la mer calme, qu'une sorte de donjon ébréché et ébouleux, d'un gris sale, qui portait ses corniches sourcilleuses au-dessus des vagues à une énorme hauteur. Des nuées compactes d'oiseaux de mer, jaillissant en flèche, puis se rabattant en volutes molles sur la roche, lui faisaient comme la respiration empanachés d'un geyser ; leurs cris pareils à ceux d'une gorge coupée, aiguisant le vent comme un rasoir et se répercutent longuement dans l'écho dur des falaises, rendaient l'île à une solitude malveillante et hargneuse, la muraient plus encore que ses falaises sans accès.   Sous la forme d'un devoir composé, en évitant de séparer la forme et le fond, vous commenterez ce texte de Julien Gracq. Vous pourrez par exemple étudier comment sont disposés et utilisés les di fférents éléments de la description, par quels procédés l'auteur chercher à créer une atmosphère de menace et de danger, et comme il laisse présager l'évolution de son récit vers le drame. Introduction L'univers romanesque de Gracq est organisé autour de l'attente : attente d'une femme (La Presqu'île); d'un ami qui ne revient pas (Le Roi Cophétua); de la guerre (Un balcon en forêt); ou, dans Le rivage des Syrthes, de la sortie d'une situation d'habitude et d'engluement (les trois cents ans de guerre sans guerre avec le Farghestan), mais qui signifie en même temps la reprise des hostilités, la destruction d'Orsenna, la mort. Cette attente est vécue par Aldo, le héros-narrateur, sous la forme d'une fascination à l'égard de la côte d'en face, au-delà d'une mer évacuée d'un accord tacite par les deux partis. Aldo va ainsi se faire le catalyseur de la catastrophe (la rupture de l'attente) en menant le navire qu'il commande faire « une croisière» — provocation devant la côte farghienne. Dans ce rôle, il est fortement poussé par sa maîtresse, Vanessa, qui subit la même fascination que lui. C'est justement Vanessa qui conduit son amânt jusqu'à l'île de Vezzano, le territoire d'Orsenna le plus proche de la côte farghienne, et d'où est visible un volcan qui surplombe cette côte, le Tàngri. La vision du Tàngri termine d'ailleurs la journée dans l'île de Vezzano. C'est dans cette perspective qu'il faut lire cet extrait. A travers l'apparition presque fantômatique de l'île, dont les contours sont rendus quasi immatériels — encore qu'écrasants — par les yeux de blancheur et de lumière, J. Gracq fait progresser sourdement une menace qui est porteuse de la guerre. S'étant fait envoyer, pour tromper l'ennui d'une vie oisive dans l'engourdissement prospère d'Orsenna, sur le « front des Syrtes », Aldo y voit céder les uns après les autres, les maillons du code d'oubli qui maintient l'équilibre et le sommeil des deux pays. Cette visite en est une étape décisive.
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« 2.

Falaise et fortification.L'île de Vezzano est en fait un îlot rocheux et escarpé, isolé dans la mer des Syrtes.

Gracq va insister sur lecaractère abrupt de ses côtes : « le rocher jaillissait à pic de la mer » ; ses corniches surplombent les vagues «àune énorme hauteur ».

Sa côte est toujours désignée par le mot « falaises », employé quatre fois, la dernière foisavec le qualificatif « sans accès ».

Mais l'à pic est encore évoqué sous une forme métaphorique : le donjon.

Enfin, J.Gracq précise que les cris coupants des oiseaux, seuls habitants de l'île, la « muraient » encore plus dans sa solitudehostile.

L'île ressemble donc à une forteresse (cf.

infra). 3.

La minéralité.Vezzano est presque exclusivement faite de roche — à l'horizon de « la mince lisière gazonnée qui couvrait la plate-forme, et coulait çà et là dans l'étroite coupure zigzagante des ravins » : encore cette herbe est-elle marginalisée(à l'extrème sommet) et cantonnée (mince, étroite).Par contre, le caractère minéral et nu est souligné, outre la répétition du mot « falaises » par une série d'autrestermes empruntés au lexique de la montagne : « iceberg rocheux » (n'oublions pas qu'un iceberg estétymologiquement une montagne de glace) ; « rocher » ; « plate-forme » ; « ravins » ; « corniches ».

Et aussi pardes allusions métaphoriques au métal : «Le rocher jaillissait ...

dans l'étincellement de sa cuirasse blanche» — ou àla maçonnerie : « la muraient» (cf.

supra).

La caractéristique du minéral est évidemment la dureté.

Pourtant celle-cin'est évoquée qu'indirectement : il y a « l'écho due des falaises » — Mais on a ici un hypallage 1 : l'adjectif durrenvoie grammaticalement à l'écho mais sémantiquement aux falaises.

Il y a encore les cris des oiseaux, « aiguisantle vent comme un rasoir», qui sont comme organiquement liés à la nature de l'îlot.

Enfin, cette minéralité est à lafois rude (« grands pans » ; « à pic » ; « énorme hauteur » ; « sans accès ») ; et mal équarrie, en cours dedésagrégation : l'herbe y coule « çà et là » dans la « coupure zigzagante» des ravins. 4.

L'irréalité.J.

Gracq insiste en effet — et cela s'oppose à la dureté évoquée supra —sur l'aspect instable, friable, au-delà desaccidents du terrain, de la structure de l'île ; le rocher est « rongé de toutes parts et coupé en grands panseffondrés »; il est « ébréché et ébouleux ».

Bref l'îlot présente un caractère contradictoire, à la fois dur et compact,effrité et blessé (cf.

infra).

Cette instabilité du matériau contribue à lui donner un aspect prégnant et incertain,comme dans certaines toiles surréalistes (mouvement dont Gracq a subi considérablement l'influence) : on pourraitpenser aux « Histoires naturelles » de Max Ernst...

ou encore aux rochers de Magritte.D'autre part, les termes de comparaison qui s'y rapportent renvoient souvent à la légèreté, voire l'a-pesanteur : lerocher lui-même est « presque irréel», « léger sur l'horizon comme un voilier » ; mais ses termes de référence sont latoile, la neige, la « gaze légère du brouillard » qui, d'ailleurs, l'absorbe alors que « la réflexion neigeuse de sesfalaises...

le dissolvait ».

Enfin les oiseaux, qui lui sont organiquement liés, se présentent comme des « nuées »(nuages) avec tantôt la légèreté de la flèche et tantôt d'indolence de « volutes molles » (brume, nuages); et ilsl'entourent d'une sorte de buée (« comme la respiration empanachée d'un geyser »).Enfin, l'impression d'irréalité est accentuée par un usage systématique de la contradiction sémantique : iceberg(glace) rocheux (pierre) ; tours (massivité) de toile (légèreté) ; un brouillard de beau temps ; des nuées (manque dedensité compactes (maximum de densité); l'écho (inconsistant) dur (consistant).

L'île a donc quelque chosed'instable, de féerique, de maléfique : elle a contradictoirement la rugosité d'une forteresse et l'impalpabilité d'unfantôme blanc. II.

Blancheur et lumière. 1.

La blancheur en est, en effet, la tonalité dominante : l'île est faite de « falaises très blanches » ; le roc estcomparable à une «cuirasse blanche ».

Mais la blancheur s'incarne encore métaphoriquement dans d'autres éléments: l'île est un iceberg (la glace) ; elle ressemble à un « voilier sous ses tours de toile » ; ses falaises ont une «réflexion neigeuse » et se dissolvent « dans la gaze légère du brouillard » N'oublions pas qu'un grand nombred'oiseaux de mer sont blancs...

En tout cas, la plupart de ces «incarnations » du blanc ont un caractère commun :léger, aérien.

Le blanc est lié à l'impression d'irréalité.2.

D'autant que cette blancheur est travaillée par une sorte de fermentation de lumière : l'île commence par émerger« du miroitement des lointains de mer » ; les falaises ont une « réflexion neigeuse »-qui produisent un effet argenté.L'effet fantastique produit par l'alliance de la blancheur et du miroitement culmine dans l'expression : « le rocherjaillissait à pic de la mer, presque irréel dans l'étincellement de sa cuirasse blanche.»3.

On a dit que l'île de Vezzano préfigure la côte farghienne et son volcan, le Tàngri.

On ne s'étonnera pas qu'à la findu chapitre, lorsque Vanessa entraîne Aldo au sommet de l'île pour apercevoir le Tàngri, celui-ci soit décrit dans lesmêmes termes, comme une sorte de double idéalisé de Vezzano « Une montagne sortait de la mer, maintenantdistinctement visible sur le fond assombri du ciel.

Un cône blanc et neigeux, flottant comme un lever de lune au-dessus d'un léger voile mauve qui le décollait de l'horizon, pareil, dans son isolement et sa pureté de neige, et dansle jaillissement de sa symétrie parfaite, à ces phares diamantés qui se lèvent au seuil des mers glaciales.

» III.

La progression de la menace.. »

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