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« L' Astrée » et autour de « L' Astrée »

Publié le 23/03/2018

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au bonheur, possibles chez une héroïne de Marivaux mais non chez cette fière, pudique et intègre bergère. Le dénouement adopté par Baro est un dénouement d'opéra qui n'est pas sans pathétique spectaculaire, mais qui ne procède pas dé la transformation des cœurs; Borstel de Gaubertin eut l'idée d'un dénouement plus vraisemblable (Galathée, qui a déjà vu Céladon déguisé en fille, éveille les soupçons d'As trée; celle-ci, inquiète, partagée entre l'espoir et la honte, surprend un monologue où Céladon, s'interpellant lui-même, révèle son identité), mais par là même soulignait l'invraisemblance des prémisses : car comment croire qu' Astrée eût si longtemps vécu dans l'intimité d'Alexis sans concevoir aucun doute? Aussi, pas plus que d'Urfé, Borstel ne put-il mener l'œuvre à sa fin. Sans ignorer les causes accidentelles de l'inachèvement (d'Urfé mourut de maladie au cours d'une campagne militaire, Borstel fut peut-être découragé par la publica­tion des deux livres de Baro), on peut lui supposer une cause plus profonde dans la matière romanesque elle-même : il en sera de même pour les romans de Marivaux, il en avait été de même pour le Conte du Graal. L'impuissance à conclure est à l'honneur du romancier, quand elle s'explique par le dédain du banal et du facile.

« L' Astrée » et autour de « L' Astrée »

 

Le roman pastoral en France avant L' Astrée n'est représenté que par quelques œuvres médiocres, dont la plus importante fut les Bergeries de Julliette par Ollenix du Mont-Sacré, parues de 1585 à 1598 en cinq livres. L'Arcadie de Sannazar et la Diane de Montemayor avec ses continuations avaient pourtant été traduites. On peut se demander s'il n'y avait pas incompatibilité entre la fiction pastorale et la tendance générale du roman moderne, car le très grand succès de L' Astrée n'entraîna pas d'imitations remarquables - M. Magendie assure même qu'il découragea les imitateurs 7 -, alors que la pastorale dramatique connut une

A défaut d'une unité de conception qui eût demandé le génie d'un Tolstoï ou d'un Proust, L' Astrée possède une unité de signification, puisque tous les personnages sont des amoureux désireux de voir clair dans leur cœur ou de concilier leur bonheur et leur dignité, et une unité d'assemblage : à l'histoire centrale, celle des amours d'As trée et de Céladon, se rattachent directement les histoires de Galathée, de la rivalité entre Lindamor et Polémas, et par conséquent de la guerre déclarée par Polémas à Amasis; parallèlement à l'histoire centrale, et presque aussi importante en raison de l'amitié des deux bergères inséparables, court l'histoire des amours de Diane et de Silvandre, couple symétrique, au dénouement, du couple formé par Astrée et Céladon, et à cette histoire se rattachent directement à leur tour l'histoire de Diane et de Filandre, l'histoire de Paris, l'histoire de Philis et du jaloux Lycidas; plus arbitraire, mais encore plausible si l'on accepte la fiction fondamentale du Forez, est l'insertion des histoires de bergers résidant près du village d' Astrée ou d'amoureux venus consulter l'oracle, Tircis et Laonice, Célidée, Thamyre et Calydon, Daphnide et Alcidon, Doris et Palémon, etc. Le personnage d'Hylas qui apparaît presque au début du roman et quj tient le rôle capital de l'inconstant, adversaire de l'honnête amitié, sert à introduire, grâce à une rencontre au cours d'une promenade, l'histoire de Palinice et de Cyrcène, puis celle de Parthenopè, de Florice et de Dorinde. On ne peut énumérer tous les récits de L' Astrée, ni rendre un compte détaillé de leur articulation et de leur entrela.cement; rares sont les histoires vraiment indépendantes, chaque histoire se relie toujours à quelque autre par un personnage qui l'a vécue, qui y a un instant figuré ou qui l'a entendu raconter; à de longues distances, d'Urfé ménage des correspondances et des continuations qui sont d'un compositeur très adroit, sinon d'un puissant créateur : l'histoire d'Ursace touche successivement et séparément à celle de Céladon et à celle de Silvandre; l'histoire de Ligdamon et celle de Lydias, qui se ressemblent comme des jumeaux sans se connaître, se croisent et se recroisent de la plus curieuse façon; la guerre autour de Marcilly rassemble plusieurs personnages que le destin avait séparés ou qui étaient jusqu'alors étrangers les uns aux autres : ainsi s'ébauche une unité d'action qui n'était pas impliquée dans les données initiales. Cette marqueterie savante, ce tissage dont

« immense vogue sous Henri IV d'abord, entre 1625 et 1635 ensuite.

Malgré les extravagances des romans à la Nervèze et les invraisemblances des romans d'aven­ tures et des romans épiques publiés entre 1620 et 1650, les romanciers et leurs lecteurs s'attachaient de plus en plus au naturel ou à ce qu'ils croyaient tel, et à la peinture de caractères et de situations semblables à ceux que la société du temps pouvait offrir.

Cette société -celle du moins où se recrutaient les romanciers et les lecteurs -était de moins en moins rurale.

Les Bretons de Noël du Fail sont les derniers vrais campagnards de notre littérature avant longtemps.

Les rêves bucoliques étaient mieux à leur place dans les genres qui réclament une fo rte transposition artistique, la poésie ou le théâtre, et les bergers idylliques de d' Urfé, courtisans en vacances et déguisés, avaient quelque chose d'incroyable, comme le notera Ch.

Sorel dans sa Biblio thèque françoise .

D' Urfé, dont la première œuvre fut précisément un poème, le Sireine, inspiré de la Diane de Montemayor, et qui écrivit en marge de son Astrée une pastorale dramatique, Silvanire 1, est encore lyrique et théâtral dans son roman.

Il ne faut peut-être pas ajouter aveuglé­ ment foi aux propos de Balthazar Baro : « il vouloit faire de toute son œuvre une tragecomédie pastorale, et [ ...

], comme nos François ont accoustumé de les disposer en cinq actes, chasque acte composé de diverses scenes, il vouloit de mesme faire cinq volumes composez de douze livres, afin que chasque volume fu st pris pour un acte, et chasque livre pour une scene 2 »; il n'en est pas moins vrai que par l'abondance des monologues lyriques et des débats psychologiques, par l'é coulement très ralenti du temps, L' As trée est un roman aussi diférent des romans d'action héroïque qui le suivront que des nouvelles réalistes ou psycho­ logiques postérieures à 1650.

L' Astré e est pourtant bien un roman ; le lyrisme y est subordonné à l'intrigue sentimen tale et à l'analyse morale.

La fiction pastorale, qui se fait oublier pendant de longs épisodes, sert surtout à créer une atmosphère de loisir et de simplicité raffinée.

Les contemporains n'ont eu aucune peine à reconnaître non seulement tel ou tel personnage réel (L' Astrée est un roman à clef s) mais, ce qui est plus important, leurs mœurs et leurs problèmes, leur âme et leur vie, dans une œuvre qui les aidait à se comprendre eux-mêmes, et qui mérite par son réalisme, par sa probité dans la peinture, d'être considérée comme le premier des romans modernes .

L' As trée comporte cinq parties : la première parut en 1607, la secondç: en 1610 , la troisième en 1619 .

D' Urfé mourut en 1625, après avoir publié quatre livres d'une quatrième partie; son secrétaire Balthazar Baro publia en 1627 d'abord cette quatrième partie au complet, puis une cinquième et dernière partie qu'il prétendait avoir rédigée d'après les notes de l'auteur ; un nommé Borstel de Gaubertin avait cependant dès 1625 donné au public une cinquième et une sixième partie 3, que Baro dénonça comme des faux; mais la fidélité des livres r.

J.

MARsAN (La Pastorale dramatique en France à la fin du XVJ e et au déb ut du XV IIe siècle, Paris, 1905) énumère seize pièces inspirées de L' Astrée.

2.

Aver tissement au lecteur, en tête du tome IV de L' Astrée.

3· En réalité, la fin de la IV e partie de d'Urfé, et une ve partie.

Borstel avait certaine­ ment lu le manuscrit de d'Urfé pour la IVe partie.

Sur ce point, comme sur toutes les questions concernant L'Astrée, lire Du nouveau sur L'Astr ée, par M.

Magendie, Paris, 1927.

144. »

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