La Chute serait-elle un monologue ?

« mot «traîtres» à not re attente, Camus pique notre curiosité; il nous oblige à chercher la fin de la phrase et lui donne du même coup plus d'importance.

Une invention de Clamence 7 Le texte du récit n'interdit pourtant pas une autre hypo­ thèse.

Supposons qu'il n'y ait pas d'interlocuteur du tout.

Pareille hypothèse serait difficilement envisageable au thélfüe.

Le spectateur ne voit ce rtes pas, dans La Voix humaine, l'amant situé à l'autre bout du fil; mais comme l'actrice monologue, en vertu même du genre théâtral, à haute voix , il faudrait admett re que le personnage qu'elle incarne est une folle ou qu'e lle se livre à une très étrange comédie.

L'hypothèse est plus acceptable dans La Chute : en vertu d'une ambiguïté propre aux œuvres de fiction romanesq ues, rien ne prouve, en effet, que Clamence ne se parle pas intérieurement.

Si nous suivons cette hypo thèse , nous verrons en Clamence un être encore plus affreusement solitaire que nous ne l'avions supposé.

Faisant lui-même les questions et les réponses, il aurait imaginé, afin de meub ler sa soli­ tude, un compagnon à qui il confierait sa dét resse.

Cer­ tains parlent bien à leur chien, au point de croi re instaurer avec lui un dialogue.

_._CONSÉQUENCES DU SOUPÇON Cette hypothèse a rarement été prise en compte par la crit ique.

A vrai dire, elle ne change pas le sens profond de l'œuvre.

Si l'interlocuteur existe, Clamence s'adresse à quelqu'un qui lui renvo ie pou r finir sa propre image.

S'il n'existe pas, on en déduira que, ruminant ses pensées et promenant son désœuv reme nt, il est incapable de commu­ niqu:er a•Jtrement qu 'avec lui-même.

Premier cas: la révéla­ tion que l'autre est un avocat met un terme à sa confession et à son fol espoir.

Deuxième cas : se parlant à lui-même ou plutôt au fantôme qu'il essaie de façonner en policier , il révèle son incapaci té à construire autre chose qu 'un scé­ nario désespérément narc issique.. »