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La confession truquée - La Chute

Publié le 14/08/2014

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Parler de La Chute comme s'il s'agissait d'un récit classique n'aurait pas de sens. Toute la force du texte vient en effet de la forme singulière que Camus expéri­mente dans ce livre. De la première à la dernière ligne du roman s'impose l'évidence d'une voix qui entraîne avec elle le lecteur.

Rappelons la nature du procédé mis en oeuvre par Camus. Tout au long du livre, un individu parle et sa parole emplit tout l'espace du texte. L'on n'entendra pas d'autre voix que la sienne. Nous ne sommes pour­tant pas dans l'ordre du récit à la première personne ni dans celui du monologue. Les conventions n'ont pas cours ici qui voudraient que le narrateur feigne en quelque sorte de s'exprimer pour lui-même dans l'isole­ment du texte, visant au-delà de lui l'oeil du lecteur ou l'oreille du spectateur.

Clamence, en effet, du début à la fin, s'adresse à un personnage que le roman dote d'une identité certes assez vague, mais bien réelle. En ce sens, La Chute relèverait du dialogue. Mais dans ce dialogue, l'une des voix est manquante. L'interlocuteur de Cla-mence s'exprime bien, mais ses mots ne parviennent pas jusqu'à nous; nous n'en avons connaissance que lorsque Clamence daigne les reprendre en s'en faisant l'écho.

Ce procédé a un nom. Il s'agit du «soliloque avec interlocuteur muet «. La critique a établi depuis long­temps que Camus avait pu rencontrer cette technique littéraire dans un texte de Dostoïevski : Ecrit dans un souterrain. Le romancier russe définissait lui-même ce procédé ainsi : «Tantôt l'homme se parle à lui-même, tantôt il s'adresse à quelque auditeur invisible, à une

« sorte de juge».

On trouverait dans la littérature anté­ rieure d'autres exemples de «soliloques» de ce type : Roger Quilliot cite les noms de Hugo, Balzac et Mus­ set.

Après Camus, des écrivains d'avant-garde tels que Michel Butor et Italo Calvino monteront de sophisti­ quées machines littéraires qui ne sont pas sans analo­ gies avec La Chute.

Le procédé évoque irrésistiblement le monologue théâtral : Clamence est un comédien et les hommes de scène ont été tentés quelquefois par l'adaptation du texte romanesque.

L'on songe également à la confes­ sion.

Ce rapprochement a été voulu et calculé par Camus et il est sans doute le plus légitime de tous.

Encore faut-il préciser que la confession qu'il nous est donné ici d'entendre est une «confession truquée».

Le baptême et la damnation S'il est juste de parler de confession -au sens que l'Eglise catholique donne à ce mot -c'est bien en­ tendu d'abord en raison de la nature du discours que tient Clamence dans La Chute: le juge-pénitent s'ac­ cuse de ses péchés devant un homme qui, pour l'essen­ tiel, se tait et l'écoute.

Mais la dimension religieuse du texte est plus large et plus complexe.

Clamence ne cesse de se référer aux Saintes-Ecritures qu'il semble connaître jusque dans le détail.

Camus se serait-il donc converti au christia­ nisme? Certains critiques catholiques, avides de récu­ pérer un écrivain prestigieux, ont cru pouvoir l'affir­ mer.

Avec La Chute, Camus manifesterait une angoisse proprement religieuse qui serait déjà comme un pre­ mier pas vers la conversion.

L'interprétation est peu convaincante.

Camus, d'ailleurs, le soulignera lui­ même : son héros se proclame «sicilien et javanais», «pas chrétien pour un sou».. »

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