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La configuration psychique de Goriot («Le commerce des grains... bizarreries morales», pp. 126-127) - Le père Goriot de Balzac

Publié le 17/01/2022

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Le commerce des grains semblait avoir absorbé toute son intelligence. S'agissait-il de blés, de farines, de grenailles, de reconnaître leurs qualités, les provenances, de veiller à leur conservation, de prévoir les cours, de prophétiser l'abondance ou la pénurie des récoltes, de se procurer les céréales à bon marché, de s'en approvisionner en Sicile, en Ukraine, Goriot n'avait pas son second. A lui voir conduire ses affaires, expliquer les lois sur l'exportation, sur l'importation des grains, étudier leur esprit, saisir leurs défauts, un homme l'eût jugé capable d'être ministre d'État. Patient, actif, énergique, constant, rapide dans ses expéditions, il avait un coup d'oeil d'aigle, il devançait tout, prévoyait tout, savait tout, cachait tout ; diplomate pour concevoir, soldat pour marcher. Sorti de sa spécialité, de sa simple et obscure boutique sur le pas de laquelle il demeurait pendant ses heures d'oisiveté, l'épaule appuyée au montant de la porte, il redevenait l'ouvrier stupide et grossier, l'homme incapable de comprendre un raisonnement, insensible à tous les plaisirs de l'esprit, l'homme qui s'endormait au spectacle, un de ces Dolibans parisiens, forts seulement en bêtise. Ces natures se ressemblent presque toutes. A presque toutes, vous trouveriez un sentiment sublime au coeur. Deux sentiments exclusifs avaient rempli le coeur du vermicellier, en avaient absorbé l'humide, comme le commerce des grains employait toute l'intelligence de sa cervelle. Sa femme, fille unique d'un riche fermier de la Brie, fut pour lui l'objet d'une admiration religieuse, d'un amour sans bornes. Goriot avait admiré en elle une nature frêle et forte, sensible et jolie, qui contrastait vigoureusement avec la sienne. S'il est un sentiment inné dans le coeur de l'homme, n'est-ce pas l'orgueil de la protection exercée à tout moment en faveur d'un être faible ? joignez-y l'amour, cette reconnaissance vive de toutes les âmes franches pour le principe de leurs plaisirs, et vous comprendrez une foule de 30 bizarreries morales. [La partie commentée s'arrête ici.] Après sept ans de bonheur sans nuages, Goriot, malheureusement pour lui, perdit sa femme : elle commençait à prendre de l'empire sur lui, en dehors de la sphère des sentiments. Peut-être eût-elle cultivé cette nature inerte, peut-être y eût-elle jeté l'intelligence des choses du monde et de la vie. Dans cette situation le sentiment de la paternité se développa chez Goriot jusqu'à la déraison. Il reporta ses affections trompées par la mort sur ses deux filles, qui d'abord satisfirent pleinement tous ses sentiments.

« On distinguera trois compartiments dans la structure d'esprit et de cœur du personnage : - d'abord est exposée son excellence professionnelle, son parfait fonctionnement mental, le débordement de sonactivité ; - ensuite, hors du négoce, apparaît sa nullité entière, le vide total de l'esprit, et, dans le loisir, la stagnation,l'immobilité végétative ; - enfin est évoquée l'intensité de la vie affective, la fixation sur l'amour conjugal. Le narrateur a usé des diverses possibilités de la phrase énumérative pour mettre en lumière les capacités dupersonnage.

Ces énumérations en série montrent trois dispositions intérieures étanches l'une à l'autre : activitédébordante du métier, passivité de la vie courante, débordements de la vie affective.

Trois hommes coexistent enun seul, sans communiquer entre eux. L'excellence du professionnel {«Le commerce...

soldat pour marcher») C'est le premier volet de ce portrait.

Il tend à montrer les qualités exceptionnelles de ce négociant, sa maîtrise detout et sa vivacité. L'idée directrice est énoncée dans la phrase initiale, fil conducteur autour duquel va progresser l'analyse : «Lecommerce des grains semblait avoir absorbé toute son intelligence».

Un examen précis de la progression du textemontre que cette intelligence se décline en trois phrases, dont chacune est close sur une expression approbative : -Phrase 1 : «S'agissait-il...

Goriot n'avait pas son second.» - Phrase 2 : «A lui voir...

capable d'être ministre d'État.» -Phrase 3 : «Patient...

diplomate pour concevoir, soldat pour marcher.» La maîtrise du concret se lit dans la variété des termes désignant les aspects fondamentaux de la profession, laconnaissance des produits, leurs variétés, leurs origines : «blés...

farines...

grenailles...

qualités...

provenances...conservation...

récoltes...

céréales».

Citons aussi les pays producteurs, Sicile, Ukraine.

Ce lexique dit le talent d'unhomme à l'aise dans son métier. En outre, cette diversité de son information est contenue dans une période développée sur six lignes, depuis«S'agissait-il» jusqu'à «n'avait pas son second», qui suggère la compréhension globale des phénomènes : tout lecontenu d'une même tête est exposé entre la majuscule initiale et le point final.

L'allégresse du rythme, lajuxtaposition de groupes de mots brefs coupés par des virgules, cette phrase qui progresse par rebonds, tout celatraduit la vivacité et la variété des opérations mentales chez un homme qui brasse avec bonheur les réalitésconcrètes. La maîtrise des activités mentales se lit dans les verbes, qui appartiennent au registre abstrait : on relève d'abord«reconnaître leurs qualités...

prévoir les cours...

prophétiser l'abondance».

Toute cette phrase est significative : «Alui voir conduire ses affaires, expliquer les lois sur l'exportation, sur l'importation des grains, étudier leur esprit, saisirleurs défauts...», Goriot s'élève jusqu'à l'abstraction dans l'analyse du cadre juridique qui régit son commerce.

Iciencore, effet d'énumération par infinitifs juxtaposés pour montrer les domaines variés de l'analyse.

Un mot résumel'éloge : «ministre». Le recours à rémunération convient à ce genre de portrait laudatif.

C'est d'abord celle des épithètes élogieuses :«Patient, actif, énergique, constant, rapide dans ses expéditions, il avait un coup d'oeil d'aigle...».

Ensuite cettemême phrase entamée autour des adjectifs se poursuit par une autre énumération, celle des imparfaits, à laquelles'ajoute le parallélisme des constructions : «il devançait tout, prévoyait tout, savait tout, cachait tout». Enfin, viennent les métaphores, pour parachever l'éloge : «il avait un coup d'œil d'aigle» ; puis une seconde, qui estredoublée : «diplomate pour concevoir, soldat pour marcher» ; diplomate, c'est la réflexion subtile, l'habileté dunégociateur ; et soldat, ce n'est pas la subordination passive, mais l'action énergique, la vitesse d'exécution pourmener à bien l'offensive. Le vide mental de l'homme privé Ce deuxième volet du portrait contraste avec le premier : il ne montre plus que les traits négatifs du personnage.Hors de son négoce, Goriot est aussi bête qu'un sac de son ; la bêtise de l'homme privé est magnifiée en uneimposante période de huit lignes («Sorti de sa spécialité...

en bêtise»), englobant l'attitude physique et les lacunesintellectuelles du personnage. Son enfermement dans le commerce se perçoit dans les expressions qui le montrent enchaîné à sa boutique, dont il. »

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