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La connaissance et l'imitation des littératures étrangères a-t-elle toujours été un bienfait pour les lettres françaises ?

Publié le 03/03/2011

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Nous supposons que le candidat, initié par ses professeurs à une excellente méthode, n'aura pas besoin de méditer longtemps pour s'apercevoir qu'il faut, dans cet énoncé, distinguer trois parties : 1°) un exposé historique des influences étrangères sur la littérature française à telle et telle époque ; — 2°) en quoi ces influences ont été, pour elle, un bienfait ; — 3°) en quoi elles n'ont pas toujours été un bienfait. Cette troisième partie, c'est le sujet ; mais sans les deux premières, il est impossible de la traiter.

« En quoi ces influences ont-elles été un bienfait ? 1°) Aucune littérature ne s'est fondée, développée, ni surtout renouvelée exclusivement par elle-même.

Soit dansl'antiquité, soit dans les temps modernes, il n'en est point qui, d'abord, n'ait gagné quelque chose à connaître et às'assimiler des éléments étrangers.

Rome avait-elle de grands poètes et de grands orateurs, avant que la Grèce l'ait« conquise »? — L'Allemagne n'a-t-elle pas longtemps imité la France avant de prendre conscience, avec Lessing etKlopstock, de sa propre originalité ? et cette « gymnastique » n'avait-elle pas assoupli son génie naturellement rude? — Il y a là, sans que nous ayons besoin d'y insister, une sorte de loi. 2°) Pour la littérature française en particulier, n'est-ce pas sous l'influence de l'Italie que s'est épanouie laRenaissance ? On objecte, il est vrai, que le Moyen Age avait eu sa grandeur et son charme, avec ses épopées etses chansons.

Mais quand la Renaissance se produit, au XVIe siècle, on venait de traverser la période assez stériledes XIVe et XVe siècles, où, sauf Froissart, Comynes et Villon, aucun nom illustre n'apparaît, et où tous les grandsgenres (sauf le Mistère et la Farce) sont presque épuisés.

— Faut-il regretter, d'autre part, ce qu'il y a d'espagnoldans le Cid et Don Sanche ? et d'italien dans les petites comédies de Molière ? 3°) On ne niera pas non plus que l'esprit français ait gagné quelque chose, au xviii0 siècle, au contact de l'espritanglais.

Sans cette influence que ne manquerait-il pas à Montesquieu et à Voltaire ? et même à Diderot et àRousseau ? Notre roman psychologique ne nous vient-il pas de Richardson et notre théâtre, en attendant larenaissance du XIXe siècle, n'a-t-il pas été tout de même un peu galvanisé par Shakespeare ? 4°) Quant au romantisme, il a des origines essentiellement cosmopolites.

Gœthe, Schiller, Byron, Shelley, WalterScott, Manzoni, y ont tous contribué ; sans compter la reprise d'influences antérieures, comme celle de Pétrarquesur Lamartine.

— Les romantiques étrangers ont contribué à nous faire mieux sentir la relativité de dogmes critiquesconsidérés jusqu'alors comme absolus (les unités classiques), — à créer chez nous un lyrisme plus subjectif, — àdonner au style moins la correction que la couleur et le mouvement. 5°) Plus récemment, n'avons-nous pas tiré profit des romans russes et du théâtre norvégien ? Leur rôle futd'introduire dans notre réalisme trop indifférent et dans notre poésie trop objective (l'art pour l'art), un élémentd'humanité sociale.

Les Dostoïevski, les Tolstoï, les Ibsen, nous ont appris que le roman ou la comédie pouvaient etdevaient être autre chose que de la littérature, et que l'écrivain n'était pas un « ouvrier d'art » ou un « mandarin »,mais un homme à qui son talent même créait des responsabilités.

Ils nous ont guéris tout à la fois et du moiromantique et de l'impassibilité naturaliste. III Mais ces influences étrangères n'ont pas toujours été bienfaisantes. 1°) Nous avons constaté que notre littérature, depuis le XVIe siècle jusqu'à nos jours, n'a cessé de s'inspirer tantôtde l'Italie, tantôt de l'Espagne, — tantôt de l'Angleterre et tantôt de l'Allemagne ; — et nous reconnaissons que cesdiverses influences ont contribué à l'enrichir.

— Mais il faut avouer qu'en certains cas, cette imitation a pu nous êtreplus nuisible qu'utile.

Et pour l'établir, il suffit de rappeler d'abord quelles sont les qualités essentielles de l'espritfrançais : si l'étranger nous en détourne et nous amène à les oblitérer ou à les abandonner, l'influence est mauvaise.D'autre part, un autre danger nous guette : celui qui consiste à tenter de nous assimiler des théories, dessystèmes, des sentiments, un style trop particuliers à une race très différente de la nôtre, et que noustransformons en erreurs ou en défauts. 2°) Ainsi, nous admettons volontiers que la poésie italienne a donné de la délicatesse et de la souplesse à Ronsard ;mais celui-ci n'a pas toujours gardé la mesure et, en pétrarquisant, il est devenu souvent mièvre et précieux.

Quedire de l'obscur italianisme de l'Ecole lyonnaise ? Bien que nos contemporains, habitués par Mallarmé et par PaulValéry à considérer l'obscurité comme la marque du génie poétique, aient remis en grand honneur Heroët et Scève,nous persistons à croire que Maynard a raison quand il écrit : Si ton esprit veut cacherLes belles choses qu'il pense,Dis-moi, qui peut t'empêcherDe te servir du silence. D'ailleurs, les excès de l'italianisme, dans les modes comme dans les lettres, ont frappé Henri Estienne et EtiennePasquier.

Nous renvoyons les élèves aux Dialogues du nouveau langage français itialianisé et aux Recherches de laFrance. 3°) Ne peut-on pas soutenir que l'imitation de l'Espagne, si elle se fût prolongée, aurait pu gâter le génie de Corneille? Au Cid convenait le « panache ».

Mais à partir d'Horace et jusqu'à Nicomède, Corneille, sous l'influence plus sévèredes modèles latins ne garde que la force et l'éloquence qui eussent dégénéré en emphase ou en pointes.

— LaFontaine n'a-t-il pas dans ses Contes un goût fâcheux de libertinage et d'équivoque bien moins gaulois qu'italien ?Les Fables le ramènent à des sources anciennes ; alors son vrai génie se dégage.. »

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