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LA CORRESPONDANCE DE DIDEROT

Publié le 15/06/2011

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diderot

Cette correspondance est assurément l'un, des plus intéressantes (à certains égards la plus intéressante) que nous ait laissées le xviiie s. Il est facile d'en voir les défauts. Diderot n'est pas un homme " distingué " ; il lui arrive de manquer de tact, de délicatesse et même de goût. Emile Faguet lui en voulait mal de mort. Il ne faut pas chercher dans ses lettres cette perfection de l'an, cette aisance si sobre et si sûre et cet esprit à la fois aigu et discret qui font le charme de celles de Voltaire ; ni même cette élégance de manière, de propos et de style par quoi Mme du Deffand, aussi longtemps que son amour pour Walpole ne lui a pas brouillé le cervelle, reste une " grande dame " et une honnête homme ". Non pas constamment, mais de temps à autre, Diderot reste peuple. Il suffit, pour l'avouer, de rappeler la place que tient le détail des maladies dans les lettres à celle qu'il aime d'un amour lyrique et romantique, à Mlle Volland.

diderot

« salon du baron d'Holbach, et même l'image vivante et fidèle de la vie qu'on y menait.

Grâce à Diderot, à ses lettres àsa lamine et à Mlle Volland, nous avons l'image la plus complète, la plus directe, de deux milieux français du xviiie s !un milieu de petits bourgeois pieux dans une petite ville de province, celui des Diderot à Langres — un milieu degrands bourgeois riches, philosophes et décidés à combattre pour le triomphe de la philosophie.

Dans ce salon dubaron d'Holbach à Paris et surtout au château du Grandval, aux environs de Paris, on est peu nombreux ; petitesociété d'intimes à laquelle viennent se joindre seulement, de temps à autre, quelque hôte ou visiteur de passage.Entre intimes, tous épris des curiosités de l'esprit, des audaces de la raison, des aventures de l'intelligence, onadore entamer et poursuivre quelque beau problème qui mette en cause les fondements mêmes de la métaphysique,de la morale, de l'économie politique.

Ou du moins Diderot l'adore ; et il entraîne presque tout le monde à sa suite.Mme d'Holbach, généralement, écoute, sans dire mot.

Le baron, qui est souvent d'humeur maussade, parle peu ouse tait.

Mais la joyeuse Mme d'Aine, la belle-mère du baron, se précipite, comme une petite folle, à travers lessujets les plus abstrus ou les plus scabreux.

Grimm, Galiani, puis Le Roy, Suard, Saurin, Naigeon ont leur mot à dire.Poussés, entraînés, amusés ou passionnés par Diderot on discute donc le mystère de la vie organique : comment lamatière morte du blé, d'une carotte, devient-elle, quand il s'en nourrit, la matière vivante d'un animal ? — Est-il vraiqu'il est inutile d'essayer de corriger les hommes ? — Pourquoi le mal existe-t-il ? N'est-il pas en contradiction avecl'idée de la perfection divine ? — La société a-t-elle le droit de tuer sous prétexte de punir ? — Que valent lasociété et la civilisation chinoises ? ou anglaises ? — Qu'est-ce que le goût et que valent les jugements du goût,etc...

etc..., ?En moraliste impénitent qu'il est, Diderot aime particulièrement les cas, de conscience ; et en " immoraliste ", nonmoins impénitent, soucieux de mettre hors de la morale ce qui encourt les sévérités de la morale vulgaire, il nedéteste pas de saisir au passage des cas fort épineux qui font baisser les yeux de Mme d'Holbach, amusent le baronet mettent Mme d'Aine dans la jubilation : le fanatisme religieux ne peut-il pas pousser les gens, comme il arrive auxIndes, jusqu'à des gestes qui nous paraîtraient des obscénités ? — une femme qui n'aime ni les hommes, ni lemariage, mais qui adore les enfants, qui voudrait en avoir un de bonne race, demande à un homme qu'elle connaît etestime de lui faire cet enfant ; avec cette difficulté que l'homme est marié et aime sa femme ;— une femme qui a denombreux enfants, qui est pauvre, dont le mari manque d'entregent et végète, sait qu'elle peut lui assurer unavancement brillant, mettre tous les siens dans l'aisance, en étant une seule fois la maîtresse d'un homme puissant.Que doit-elle faire, etc.

?...D'ailleurs problèmes métaphysiques, problèmes sociaux, problèmes de morale et cas de conscience ne sont pas lemoins du monde débattus dans les formes, avec gravité et continuité.

Ils ne sont que des moments dans unepittoresque comédie où Diderot tend sans doute à emplir la scène où les autres jouent aussi bien un rôle animé etpittoresque Mme d'Aine que tout intéresse, qui a toujours son mot à dire, mais qui n'en sait guère plus long que cequ'on lui a appris au couvent, qui s'obstine à appeler Socoplie l'Encyclopédie et curbitude une cucurbite de chimiste; et qui emplit les conversations et la vie du château de ses boutades et de ses gamineries.

Disons même que tellede ces gamineries semblerait de fort mauvais goût même dans une noce de village bas-breton et qu'on excuse mieuxles vulgarités et les manques de tact de Diderot en connaissant les manières que l'on acceptait dans un châteaucélèbre du xviiie siècle ; Ou bien le père Hoop, cet Ecossais " spleenétique s, qui a roulé à travers le monde, quis'est intéressé à tout, qui peut parler de tout et que plus rien n'intéresse, qui reste au château simplement parcequ'il faut bien être quelque part et qui assiste à sa vie et à la vie des autres comme à un spectacle incapable de letoucher ; Ou bien le barron, qui est intelligent, qui est généreux, qui n'est pas mauvais, mais qui est sombre etgrognon, qui ne sait souvent ce qu'il veut et ce qui lui plaît ; Ou bien la baronne qui est douce, charmante, sérieuse,honnête, mais à qui peut-être il arrive de rêver que le frivole, inconstant et galant Le Roy qui lui fait la cour vaudraitmieux que le maussade philosophe son mari ; — Ou bien ce Le Roy, lieutenant des chasses, qui s'est fait aménagerau milieu des bois une maison solitaire, les Loges, où il semble bien avoir goûté une solitude romantique mais où ils'occupe, aussi bien, si l'on en croit Diderot, à mettre à malles paysannes des alentours;Ou d'autres qui passent plus rapidement : le mélancolique et décharné Colardeau qui mourra de consomption ; leménage Suard à la fois honnête, sincèrement épris et habile à jouer les époux modèles et à se pousser.L'autre milieu que Diderot nous a si bien peint, c'est celui de sa famille, c'est-à-dire d'une famille de bourgeois aisés,laborieux, paisibles, pieux de l'ancienne France.

Nulle part, pour aucune époque, nous n'avons d'image aussicomplète, aussi fidèle et, par surcroît, aussi vivante.

Il est difficile de savoir, par exemple, si La vie de mon père, deRestif de la Bretonne, bien qu'on puisse s'y fier pour l'ensemble, n'est pas, dans une certaine mesure, romancée.

Letableau, tracé par Diderot, de la famille Diderot est au contraire direct, spontané, plein d'un relief vigoureux.

Lepère, que Diderot a cruellement tracassé par sa vie de paresse apparente, de misère, d'expédients, par son mariagedéraisonnable, mais qu'il aime profondément, qui lui inspire le plus profond et le plus brûlant des respects, qui n'étaitqu'un coutelier, mais qui était bon ouvrier, commerçant économe et probe, et qui avait tant de droiture et desagesse qu'on venait lui demander des conseils de justice et de bonne conduite ; qui, par surcroît, pleurait de joieen voyant le petit Denis revenir de la distribution des prix chargé de livres et de couronnes ; et qui n'hésitera pas àl'envoyer achever ses études dans un collège de Paris ; — Le frère, chanoine, qui avait, semble-t-il, toutes lesvertus et trop peu de qualités ; profondément pieux, vivant comme un ascète, voué tout entier à des oeuvres decharité ; mais dur, cassant, sec ; non pas, si l'on veut, parce qu'il ne sut jamais pardonner à Diderot de travailler àruiner la foi chrétienne (comment aurait-il pu s'y résigner ?) ; main parce qu'il ne sut pas s'entendre avec sa sœur,ni avec n'importe qui beaucoup mieux qu'avec Denis Diderot ; — La soeur, bonne personne, vieille fille qui nedemande pas mieux que de vivre dans la paix et la concorde, mais qui est vive, un peu tracassière, moinsintelligente et qui se trouve évidemment déconcertée entre le chanoine ascète et le philosophe impétueux.

Affairesdomestiques, affaires de coeur, affaires d'argent et d'héritage qui nous font pénétrer si clairement dans l'économiefinancière des bonnes gens de ce milieu social.

A la famille Diderot il faudrait même joindre celle des Caroillon quenous fait moins bien mais suffisamment connaître la correspondance publiée par M.

Babelon.

La famille, dans laquelleDiderot trouvera son gendre, est d'un ou deux étages au-dessus de celle des Diderot : fonctionnaires et gens definance, beaucoup plus entichée du rang, des relations, beaucoup plus avide d'argent ; beaucoup plus disposée à. »

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