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La culture pour vivre

Publié le 10/08/2014

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culture

Jacques Rigaud

LA CULTURE POUR VIVRE (ÉDITIONS GALLIMARD, 1975)

La culture est-elle un facteur de division ou d'union ?

Puisque le temps des certitudes spirituelles est révolu, que les idéolo¬gies, les convictions et les intérêts nous divisent, et que la croissance éco¬nomique ne peut plus passer pour une réponse à tous les problèmes, il n'y a qu'un terrain de rencontre possible, c'est la culture.

5 Ne lui demandons pas de régler tous nos problèmes — elle n'est qu'une

manière de les poser —, ni de résoudre nos contradictions — elle n'est qu'une façon de les vivre —. Il serait même vain d'espérer d'elle une réconciliation entre les hommes : elle est l'expression d'aspirations contradictoires et porte en elle tous les germes de ce qui peut nous opposer les uns aux autres. Mais elle est au moins un langage commun pour exprimer nos différences et pour nous en enrichir mutuellement. L'unani¬mité qui vibre un instant, les soirs de grâce, dans une foule rassemblée par la musique ou le théâtre, n'est peut-être pas le signe d'une fraternité vécue ; mais c'est encore là que des êtres que tout sépare trouvent dans et

[5 par leur rassemblement l'occasion d'un commun dépassement. Tant que pourra naître cette ferveur, la culture nous préservera du retour à la barba¬rie.

Il faut, dira-t-on, bien de la hardiesse pour proposer la culture comme réponse aux interrogations du temps, alors que chacun est confronté à des D problèmes beaucoup plus concrets et lancinants et que ce mot de culture, chargé d'ambiguïtés, suscite l'indifférence ou l'hostilité.

Pourtant, il traduit une aspiration confuse mais réelle. Ce qu'il y a eu de plus profond dans la crise de 1968, c'était bien ce désir de changer la vie, de trouver le temps de vivre. Sans doute, cette revendication a-t-elle été

5 bientôt détournée, en raison des pesanteurs sociales, vers les exigences matérielles. Les institutions culturelles n'ont pu, de leur côté, répondre instantanément au besoin nouveau qui se manifestait ; leurs limites, leurs contradictions ont entravé l'élan qui les portait à la rencontre de ce nou¬veau public qui se révélait enfin ; du moins, y a-t-il eu un début de réponse. Mais depuis, que de temps perdu, alors que l'urgence s'aggrave !

Si elle n'est pas soutenue, l'aspiration à la culture sera bientôt submergée par les revendications quantitatives et les calculs politiques, et l'on s'aper¬cevra trop tard qu'elle était la seule issue aux impasses de la société de consommation.

35 La vie nous l'enseigne : consommer, c'est consumer ; mais cultiver, c'est faire naître ; c'est travailler un sol dans l'espérance d'une récolte ; c'est durer en transmettant ; c'est protéger pour recevoir. Une société ne s'inscrit dans l'histoire et dans le coeur des vivants que par sa culture.

Pourtant, la culture qui devrait nous unir et nous combler nous divise et 40 nous hérisse. Il n'y a pas d'indice plus révélateur de la difficulté d'être des sociétés contemporaines.

On n'a jamais autant parlé de culture que depuis qu'elle est en ques¬tion. Le mot pendant longtemps ne fut utilisé que pour décrire un état individuel ou collectif, la relation de l'homme au patrimoine de la civilisa 

45 tion. « Si ce siècle n'est pas celui des grands talents, écrivait Voltaire en 1766, il est celui des esprits cultivés. « C'est l'idéologie sociale et poli¬tique du X,Ce siècle qui a accrédité l'idée moderne de culture, considérée non plus comme un état mais comme une action, tendant à la diffusion sociale des biens de l'esprit. On y mit une naïveté d'ardeur militante qui

50 suscita pour longtemps l'ironie, la méfiance ou l'hostilité. On put voir se pencher sur le berceau de la jeune culture les deux fées grimaçantes que symbolisent les fameuses boutades : « La culture, c'est ce qui reste quand on a tout oublié «, et : « Quand j'entends le mot culture, je tire mon pistolet. «1 Si cruel qu'il soit d'associer ainsi Herriot et Goebbels, on ne peut

55 manquer d'établir un parallèle entre l'agrégé qui jette son dictionnaire et la brute qui brandit son arme. Les deux allégories2 restent bien vivantes : ceux qui ont « de la culture « ont aussi ce qu'il faut de pudeur et d'égoïsme pour dissimuler qu'elle leur est nécessaire comme l'air qu'ils respirent. Ceux qui redoutent l'emprise de la culture sur les masses qu'ils

60 prétendent dominer s'en méfient comme de la peste, à moins qu'ils ne cherchent à en faire un instrument de leur domination. Jardin secret des nantis de l'intelligence, outil de domestication des esprits : la culture n'échappe pas à cet écartèlement.

1. La première de ces « boutades « est attribuée à Herriot, professeur agrégé et homme politique français ; la seconde à Goebbels, ministre de la propagande sous le régime nazi.

2. Allégorie : représentation imagée d'une idée.

Questions

1. Résumé (8 points)

Vous résumerez ce texte en 195 mots (une tolérance de 10 % en plus ou en moins est admise). Vous indiquerez à la fin du résumé le nombre de mots utilisés.

2. Vocabulaire (2 points)

Vous expliquerez le sens dans le texte des deux expressions sui 

vantes :

— aspirations contradictoires (1. 8-9),

impasses de la société de consommation (1. 33-34).

3. Discussion (10 points)

La culture est-elle, selon vous, facteur de division ou d'union entre les hommes ?

Si deux individus d'un même pays sont socialement séparés, il n'en reste pas moins vrai qu'ils obéissent globalement aux mêmes codes culturels : l'imagerie populaire veut que les Français mangent de la baguette et du fromage, et boivent du vin. Tous ne le font certes pas, mais il y a pourtant là une réelle unité, qu'on retrouvera aussi bien dans la cuisine, que dans les codes vestimentaires ou sociaux. Les interdits d'une civilisation sont en général également répartis : l'interdit sexuel, et la pudeur, sont par exemple éminemment cultu­rels. Si les Européens partagent des codes à peu près identiques, on sait qu'il n'en est pas toujours de même en Afrique ou en Asie. Ces grands codes sociaux réunissent alors les individus autour de valeurs communes, qui dépassent les frontières. L'opposition persiste entre différents groupes — ainsi, il n'y a rien d'impudique à ce qu'une femme soit légèrement décolletée en France, quand cela apparaît presque obscène en Asie ; à l'inverse, une jupe haut fendue apparaî­tra normale à Pékin, et très osée à Paris — mais ne divise plus l'huma­nité en une multitude de particularismes locaux, mais seulement en quelques grandes tendances. Si l'on examine le tabou de l'inceste, on s'apercevra même qu'il réunit l'humanité entière, comme l'ont mon­tré Freud et Lévi-Strauss.

culture

« RÉSUMÉ-VOCABULAIRE-DISCUSSION Si elle n'est pas soutenue, l'aspiration à la culture sera bientôt submergée par les revendications quantitatives et les calculs politiques, et l'on s'aper­ cevra trop tard qu'elle était la seule issue aux impasses de la société de consommation.

35 La vie nous l'enseigne : consommer, c'est consumer ; mais cultiver, c'est faire naître ; c'est travailler un sol dans l'espérance d'une récolte ; c'est durer en transmettant ; c'est protéger pour recevoir.

Une société ne s'inscrit dans l'histoire et dans le cœur des vivants que par sa culture.

Pourtant, la culture qui devrait nous unir et nous combler nous divise et 40 nous hérisse.

Il n'y a pas d'indice plus révélateur de la difficulté d'être des sociétés contemporaines.

On n'a jamais autant parlé de culture que depuis qu'elle est en ques­ tion.

Le mot pendant longtemps ne fut utilisé que pour décrire un état individuel ou collectif, la relation de l'homme au patrimoine de la civilisa- 45 tjon.

« Si ce siècle n'est pas celui des grands talents, écrivait Voltaire en 1766, il est celui des esprits cultivés.

»C'est l'idéologie sociale et poli­ tique du xxe siècle qui a accrédité l'idée moderne de culture, considérée non plus comme un état mais comme une action, tendant à la diffusion sociale des biens de l'esprit.

On y mit une naïveté d'ardeur militante qui 50 suscita pour longtemps l'ironie, la méfiance ou l'hostilité.

On put voir se pencher sur le berceau de la jeune culture les deux fées grimaçantes que symbolisent les 'fameuses boutades: «La culture, c'est ce qui reste quand on a tout oublié », et : « Quand j'entends le mot culture, je tire mon pisto­ let.

»1 Si cruel qu'il soit d'associer ainsi Herriot et Goebbels, on ne peut 55 manquer d'établir un parallèle entre l'agrégé qui jette son dictionnaire et la brute qui brandit son arme.

Les deux allégories 2 restent bien vivantes : ceux qui ont « de la culture » ont aussi ce qu'il faut de pudeur et d'égoïsme pour dissimuler qu'elle leur est nécessaire comme l'air qu'ils respirent.

Ceux qui redoutent l'emprise de la culture sur les masses qu'ils 60 prétendent dominer s'en méfient comme de la peste, à moins qu'ils ne cherchent à en faire un instrument de leur domination.

Jardin secret des nantis de l'intelligence, outil de domestication des esprits : la culture n'échappe pas à cet écartèlement.

1.

La première de ces « boutades " est attribuée à Herriot, professeur agrégé et homme politique français ; la seconde à Goebbels, ministre de la propagande sous le régime nazi.

2.

Allégorie : représentation imagée d'une idée.

•Questions 1.

Résumé (8 points) Vous résumerez ce texte en 195 mots (une tolérance de 10 % en plus ou en moins est admise).

Vous indiquerez à la fin du résumé le nombre de mots utilisés.

35. »

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