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LA DESTITUTION DU DUC DU MAINE DE SAINT-SIMON

Publié le 10/02/2012

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maine

Enfin le garde des sceaux ouvrit la bouche, et dès la première période il annonça la chute d'un des frères et la conservation de l'autre. L'effet de cette période sur tous les visages est inexprimable. Quelque occupé que je fusse à contenir le mien, je n'en perdis pourtant aucune chose. L'étonnement prévalut aux autres passions. Beaucoup parurent aises, soit équité, soit haine pour le duc du Maine, soit affection pour le comte de Toulouse; plusieurs consternés. Le premier président perdit toute contenance; son visage, si suffisant et si audacieux, fut saisi d'un mouvement convulsif; l'excès seul de sa rage le préserva de l'évanouissement. Ce fut bien pis à la lecture de la déclaration. Chaque mot était législatif et portait une chute nouvelle. L'attention était générale, tenait chacun immobile pour n'en pas perdre un mot, et les yeux sur le greffier qui lisait. Vers le tiers de cette lecture, le premier président, grinçant le peu de dents qui lui restaient, se laissa tomber le front sur son bâton, qu'il tenait à deux mains, et, en cette singulière posture et si marquée, acheva d'entendre cette lecture si accablante pour lui, si résurrective pour nous.

 

 

Moi cependant je me mourais de joie. J'en étais à craindre la défaillance; mon coeur, dilaté à l'excès, ne trouvait plus d'espace à s'étendre. La violence que je me faisais pour ne rien laisser échapper était infinie, et néanmoins ce tourment était délicieux. Je comparais les années et les temps de servitude, les jours funestes où, traîné au parlement en victime, j'y avais servi de triomphe aux bâtards à plusieurs fois, les degrés divers par lesquels ils étaient montés à ce comble sur nos têtes; je les comparais, dis-je, à ce jour de justice et de règle, à cette chute épouvantable, qui du même coup nous relevait par la force de ressort. Je repassais, avec le plus puissant charme, ce que j'avais osé annoncer au duc du Haine le jour du scandale du bonnet, sous le despotisme de son père. Mes yeux voyaient enfin l'effet et l'accomplissement de cette menace. Je me devais, je me remerciais de ce que c'était par moi qu'elle s'effectuait. J'en considérais la rayonnante splendeur en présence du roi et d'une assemblée si auguste. Je triomphais, je me vengeais, je nageais dans ma vengeance; je jouissais du plein accomplissement des désirs les plus véhéments et les plus continus de toute ma vie. J'étais tenté de ne me plus soucier de rien. Toutefois je ne laissais pas d'entendre cette vivifiante lecture dont tous les mots résonnaient sur mon coeur comme l'archet sur un instrument, et d'examiner en même temps les impressions différentes qu'elle faisait sur chacun.

Vous ferez un commentaire composé de ce texte en montrant comment l'art de la narration et l'imagination du mémorialiste sont mis au service de la passion.

• Les chansonniers du 17e S. nomment Saint-Simon «le petit furibond «.

• Caumartin traite sa voix de «filet de vinaigre«.

• Le Duc de Saint-Simon, épris des titres et prérogatives d'une noblesse à laquelle il aurait aimé voir reprendre une place

prépondérante en politique, nous offre dans ses Mémoires

(oeuvre de toute sa vie) :

- une « tragi-comédie de la cour« de Louis XIV, puis de la Régence, présentée avec un art de la narration où la force satirique est inséparable de la richesse de l'analyse (1er thème).

- un caractère, à la complexité inquiétante : Lui-même, ses espoirs, ses déceptions, ou ses rancoeurs qui vont jusqu'à la haine (2e thème).

maine

« LA DESTITUTION DU DUC DU MAINE Enfin le Garde des sceaux ouvrit la bouche, et dès la première période U annonça la chute d'un des frères (1) et la conserva­ tion de l'autre (2).

L'effet de cette période sur tous les visages est inexprimable.

Quelque occupé que je fusse à contenir le mien, je n'en perdis pourtant aucune chose.

L'étonnement prévalut aux autres passions.

Beaucoup pal'Urent aises, soit équité, soit haine pour le duc du Maine, soit affection pour le comte de Toulouse ; plusieurs consternés.

Le premier président perdit toute contenance ; son visage, si suffisant et si auda­ cieux, fut saisi d'un mouvement convulsif; l'excès seul de sa rage le préserva de l'évanouissement.

Ce fut bien pis à la lecture de la déclaration.

Chaque mot était législatif et portait une chute nouvelle.

L'attention était générale, tenait chacun immoblle pour n'en pas perdre un mot, et les yeux sur le greffier qui lisait.

Vers le tiers de cette lecture, le premier président, grinçant le peu de dents qui lui restaient, se laissa tomber le front sur son bâton, qu'll tenait à deux mains, et, en cette singulière posture et si marquée, acheva d'entendre cette lecture si accablante pour lui, si résurrective (3) pour nous.

Moi cependant je me mourais dejoie;j'en étais à craindre la défaillance; mon cœur, dllaté à l'excès, ne trouvait plus d'espace à s'étendre.

La violence que je me faisais pour ne rien laisser échapper était infinie, et néanmoins ce tourment était délicieux.[ •• ;] (4).

Je triomphais, je me vengeais, je nageais dans ma vengeance; je jouissais du plein accomplissement des désirs les plus véhéments et les plus continus de toute ma vie.

J'étais tenté de ne me plus soucier de rien.

Toutefois je ne laissais pas d'entendre cette vivifiante lecture, dont tous les mots résonnaient sur mon cœur comme l'archet sur un instrument, et d'examiner en même temps les Impressions différentes qu'eUe faisait sur chacun.

SAINT-SIMON (Mémoires pour l'année 1718).

(1) Le duc du Maine, bâtard de Louis XIV.

qui perd ses prérogatives de prince du sang.

(2) Le comte de Toulouse, autre bâtard du roi.

(3) Mot forgé par Saint-Simon.

(4) Dans ce passage supprimé l'auteur rappelle les motifs de son ressentiment.. »

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